UN NOTRE MONDE - Alsace & Grand’Est

L’Enfer c’est l’Hyper

vendredi 15 juin 2007 par Grégory Huck

Portrait d’un ogre moderne, véritable citadelle de l’hyper monde de la consommation. Les supermarchés sont un enfer où se croisent de tous cotés les damnés de la terre.

Au commencement était « le libre service »

C’est aux Etats-Unis, sur fond de crise économique, que sont nés les premiers supermarchés. En août 1930 Michael Cullen (considéré comme le père des supermarchés) rassemble des tonnes de marchandises que les fabricants ne parviennent plus à écouler, il invente alors « le prix sacrifié ». Michael Cullen use de la formule du libre service qui est une révolution, la marchandise est préemballée, étiquetée, et mise à la portée de toutes les mains. Le petit commerçant derrière son étal commence à grincer des dents, constatant le succès de cette nouvelle méthode et craignant de disparaître. Il a disparu. Une dizaine d’années plus tard, le modèle est exporté sur le vieux continent. En France, c’est à Paris en 1957 que la « Grande épicerie Bardou » implante une première ébauche de supermarché. Dans les années 70, la formule se démocratise, les prix bas ne sont plus réservés à une petite quantité d’articles, mais à l’ensemble des produits de consommation. Arrive la lecture optique, et somme de concepts qui n’en finissent plus de séduire les clients. Aujourd’hui le modèle « supermarché » à explosé, la formule « prix sacrifié » et « libre service » est disponible partout, sur Internet, dans les PME, et certainement… sur nos fronts.

Pour sacrifier les prix et anéantir les petites structures de commerce dites de proximité, les supermarchés répercutent sur leurs prix une part des réductions cédées par leurs partenaires grossistes. La grande surface devient alors une arme sans précèdent du capitalisme sauvage, produisant de la croissance à outrance et incarnant la meilleure solution pour lutter contre l’inflation. Afin de brider les effets pervers de ce capitalisme sauvage, le législateur (à coups de lois) a tenté de mettre un terme à la « vente à perte » (pratique commerciale controversée, tous les pays n’ont pas pris de mesure pour lutter contre ce fléau). La France s’est montrée particulièrement pugnace pour lutter contre la « vente à perte », or après enquête, je constate que ces lois sont très largement contournées.

Maintenant c’est l’enfer !

Au premier abord le supermarché nous apparaît comme un paradis, ou même les petits oiseaux ont choisi de nicher sur les rambardes d’acier qui retiennent l’édifice. Passées les portes, l’ogre nous avale, et nous pouvons jouir de la corne d’abondance qui gonfle dans son estomac. Des promotions, des couleurs, des tailles, des formes, de toutes catégories pour que tous nous puissions trouver le petit plus que nous n’aurions jamais acheté. Au-dessus, le grand chef se régale, il voit les gentils chariots à roulettes se remplir, et il jouit en entendant les pompes aspirantes pleines de fric qui montent des caisses jusqu’à lui. En dessous les petits chefs victimes des pressions de la direction et assujettis au dogme du chiffre, deviennent mesquins, et écrasent à leur tour celui qui se trouve tout en bas de la pyramide. La souffrance au travail est ici une réalité, pour 900 euros et 35 heures de travail acharné, les petits employés subissent tous les maux physiques et psychologiques possibles. Ce sont eux les victimes de cet enfer. Le client lui, se croit au paradis (limité certes par sa carte bancaire), il faut croire que tous les paradis prennent corps dans un enfer. Le client, parce qu’il paye, est en droit de réclamer, de ne pas faire œuvre de politesse, puisqu’on lui a appris que tout est compris dans le prix. Pourquoi le client ferait-il un effort, alors que tout dans le supermarché suggère la distraction et le prêt-à-l’emploi ?

Or, si le client se croit au paradis, ce n’est là qu’une illusion de plus générée par le grand marché. Qu’a-t-il gagné dans cette sombre histoire ? Le supermarché est une usine qui le déshumanise, le rend stérile dans son comportement social, il court pour être le premier à la caisse, remplit son chariot de produits qui finiront plus souvent tôt que tard dans la grande poubelle. Le client est aussi un salarié, écrasé ailleurs dans son enfer particulier. L’argent qu’il a gagné à la sueur de son front il va le claquer en deux visites dans son supermarché de quartier. Il est essentiel de se nourrir, de se vêtir, mais l’usine à créer du plaisir superficiel ne cesse d’envahir les étals des magasins avec ses objets. Que faisons-nous en consommant ? sinon compenser nos journées de travail. Il parait que l’humeur des ménages est calculé selon leur degré de consommation, plus il consomme, plus il est joyeux… c’est une hérésie… je consomme donc je suis !

Nous ne sommes plus très loin d’une certaine idéologie, certes enjolivée… Arbeit mach Frei ! Le travail rend libre… mais de quelle liberté parlons-nous ?

Grégory Huck


Sources :

- F. Carluer-Lossouarn, "L’Aventure des premiers supermarchés", un livre Linéaires, 2006

- Rapport d’information déposé par la Commission de la production et des échanges sur l’évolution de la distribution, présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, Assemblée nationale, 11 janvier 2000.

- Témoignages de salariés travaillant en grande surface et désirant rester anonymes.

- A lire sur ce sujet : « Au Bonheur des dames » de Zola


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