UN NOTRE MONDE - Alsace & Grand’Est
Cycle ’’Histoires(s) de télévision’’, coordonné par Vidéo Les Beaux Jours

Autre époque autres moeurs ?

vendredi 30 mars 2007 par Mariette Feltin

Dans le cadre du cycle " Histoires(s) de télévision", du 20 mars au 4 avril, une bonne palette de documentaires qui mettent en images la littérature, avec des portraits d’écrivains très divers, nous est proposée au Palais universitaire de l’Université Marc Bloch, à la Maison de l’image, au Musée d’art moderne et contemporain et à la BMS-Neudorf.

Eh oui, grâce à Vidéo Les Beaux Jours, nous avons l’opportunité, ici à Strasbourg, de voir un grand choix de films documentaires tout au long de l’année.

Le cycle " Histoires(s) de télévision" est coordonné par Vidéo Les Beaux Jours, en partenariat avec l’INA Grand-Est, l’action culturelle de l’université Marc Bloch, la SCAM, l’Académie de Strasbourg, le CRDP, le Musée d’art moderne et contemporain, la BMS, le TNS, Arte.

Le mardi 27 mars, j’ai eu l’opportunité de voir, en présence de leur réalisateur Alain Jaubert (plus connu pour son émission "Palettes"), un film sur l’écrivain mexicain Octavio Paz, "Paroles en forme de tourbillon" ( 1989), et un film sur le poète et peintre "Henri Michaux" ( 1995). Films, il faudra le souligner sans relâche, qui témoignent d’une époque bel et bien révolue de la télévision de service public, d’un âge d’or où l’accès à la culture par le biais de la télévision ne semblait pas encore devoir relever d’une gageure insensée, et l’idée d’un public capable de s’y intéresser, ne pas être une proposition forcément incongrue.

Eh oui, je me souviens de cette époque finalement pas si lointaine où grâce au petit écran, je découvrais à la fois l’écriture documentaire et des pans d’histoire culturelle riches et variés !

Mais fi de la nostalgie, voir des documentaires, surtout à Strasbourg, si ça nous tente, il nous suffit de faire l’effort de sortir le petit bout de notre nez. Certes, il nous faut aussi savoir où c’est visible tout ça, si c’est pas vu à la télé ! Mais nous sommes là pour vous donner l’envie de vous enquérir vous-mêmes de cette offre proposée par Vidéo les Beaux Jours, qui gagne à être mieux connue et fréquentée par un public en quête de sens, de connaissances, de questionnements, d’intelligence, de respirations...

Octavio Paz, l’écrivain mexicain très connu, un des plus grands poètes de langue espagnole du XXème siècle, je dois vous avouer que je ne le connaissais que de nom. Ce documentaire m’a donné envie de le lire, tant ses poèmes que ses essais, et d’en découvrir un peu plus sur sa réflexion et son engagement politiques, qui me paraissent toujours d’actualité.

Mais revenons au film, et avant tout, à ses conditions de production, inimaginables aujourd’hui. Le film a été réalisé dans le cadre de l’émission Océaniques, et au dire du réalisateur lui-même, "fait à la va-vite", ce qui dans ce cas précis n’a rien de péjoratif et témoigne au contraire d’une grande liberté de production qui s’explique par le contexte de son émission, "Océaniques". Cette grille, proposée dans les années 80 sur FR 3 aux heures tardives, de 22 heures 30 ( tout est relatif n’est-ce pas ?) à 24 heures, chapeautée par Pierre André Boutang, était diffusée deux à trois fois par semaine. Son but était de "remplir avec des produits culturels", toujours selon le dire du réalisateur. Un atelier de production à France 3 était entièrement voué à ce programme. Intéressant, à l’heure où les unités de production régionales sont en train de s’éteindre, entraînant de facto l’extinction de la coproduction de films documentaires de création sur cette chaîne !

Octavio Paz étant de passage à Paris chez son éditeur Gallimard, le réalisateur Alain Jaubert propose tout de go de saisir l’opportunité de tourner un entretien avec lui. Sitôt dit, sitôt fait ! Cette spontanéité, qui permet la réalisation d’ une trace que l’on peut à juste titre considérer nécessaire au regard de l’oeuvre du personnage, n’est plus de mise aujourd’hui sur une chaîne de service public. Autre époque, autres moeurs ? Il s’avère que cet entretien est le seul que Paz ait fait pour la télévision en langue française. Une fois la parole mise en boîte, le réalisateur a eu ensuite le temps nécessaire au montage et au tournage de banc-titres complémentaires.

Si la forme du film reste classique, son contenu permet de découvrir la pensée de Paz, et l’acuité de sa réflexion politique, qui récuse toute forme de fascisme, qu’il soit de droite... ou de gauche, position complexe et difficile dans le contexte manichéen de l’époque. Quant à la poésie et au rôle du poète, cet entretien donné à 75 ans exprime une résistance toujours actuelle, qui nous touche aujourd’hui, nous qui souhaitons une parole et un monde plus libres. Pour Octavio Paz, "la poésie est au centre de la clandestinité", la poésie moderne, "la voix des solitaires lue par les solitaires". Octavio Paz ne voit pas de société possible sans poète, car la parole est la poésie, et la poésie, elle ne se lit pas, elle s’écoute. A côté des moments d’entretien, ce film a l’intelligence de nous offrir des fragments de sa poésie lue par Paz lui-même. Il nous donne le goût de poursuivre cette découverte.

Michaux, lui, je pensais le connaître un peu à travers ses textes et son oeuvre picturale. Le film m’a permis d’ancrer le personnage dans la radicalité de son cheminement vital et créatif. L’écriture du film, travaillée en amont, appréhende le personnage Michaux, le "poète sans visage", l’homme qui ne se laissait jamais filmer, dans le respect de cette position de non visibilité. Le réalisateur a bâti le film autour de l’image impossible et refait le parcours de sa vie sous forme d’enquête. Là aussi, l’éloge de la liberté et de la création donnent du baume au coeur, conforte un besoin humain que je défends comme légitime, à ne surtout pas étouffer. Michaux, le poète de la colère permanente, dans ce film, nous donne à entendre son "charabia dont il tire des merveilles", loin du brouhaha médiatique. Pour ce qui est des conditions de production, il est intéressant de rappeler que le film s’inscrit dans la collection "Un siècle d’écrivains", immense opération que FR 3 avait lancé pour relancer la production et se donner une image culturelle. 260 portraits d’écrivains ont ainsi pu être réalisés en 5 ans. Dernier sursaut avant la mort programmée ?

Cette manifestation "Littérature et TV" se déroule dans le cadre d’une mission que l’INA développe depuis 1975, pour préserver les trésors de la télévision publique française. Depuis 3 ans, avec Vidéo les beaux jours, ces fameux "trésors" sont montrés en lien avec une thématique. Ce travail de mémoire a le mérite de nous rappeler qu’une télévision culturelle a été possible, et qu’elle répond à un besoin bien réel de public. Mais prenons-nous à rêver, non pas d’un retour du même, mais d’une télévision où le documentaire aurait de nouveau sa place. Pour reprendre les mots de Paz, pour qui il n’y a pas de société possible sans poète, une société sans documentaire me semble elle aussi difficile. Comme disait un réalisateur chilien qui a beaucoup travaillé sur la mémoire bafouée de son pays, une société sans documentaire c’est comme une famille sans photo.
Le documentaire est un cinéma qui construit du lien, de la mémoire, de la réflexion sur le monde.

Même si la télévision a bien changé, nous, en tout cas, avons toujours soif de documentaires qui font appel à notre intelligence, à notre besoin de poésie. Nous ne souhaitons pas nous distraire du monde à tout prix, mais au contraire continuer à le questionner. Et le documentaire a la capacité de le faire, et même d’aller plus loin, de nous permettre de nous interroger sur nous-mêmes, loin de l’inanité des reality shows.

Je signale dans le cadre de cette manifestation un "Hommage à Pierre Dumayet Re-Lectures pour tous" ( 2007, inédit) réalisé par Robert Bober, qui sera montré au Palais universitaire Université Marc Bloch, le MARDI 3 avril 2007 à 20 heures, en présence du réalisateur. Pierre Dumayet était le producteur "Re-Lectures pour tous" ( 1953-1968), émission emblématique de la télévision consacrée à l’actualité littéraire. Dumayet était convaincu que la lecture était un plaisir largement partagé par tous.

Autre époque, autres moeurs ?


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