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Le district de Tibériade (n°13 de notre série de 14 districts) Le district de Tibériade (n°13 de notre série de 14 districts)

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Les informations fournies dans les articles de cette nouvelle rubrique proviennent du remarquable ouvrage All that remains : The palestinian villages occupied and depopulated by Israel in 1948 (ed. Walid Khalidi )- Traduction : Philippe Lewandowski.

L’ouvrage édité par Walid Khalidi et publié en 1992 (second tirage : 2006) par
the Institute for Palestine Studies (Washington, D.C.) recense, district par district,
l’ensemble des 418 villages qui ont disparu de la carte.

Nous nous proposons
d’en publier des extraits permettant de faire connaître aux lecteurs francophones
la réalité de la Nakba (c’est-à-dire la catastrophe), nom donné par les Palestiniens
à l’évènement tragique dont le gouvernement israélien, dans une vaine tentative
d’effacer l’histoire réelle, prétend même interdire la commémoration.

Pour chacun
des 14 districts traités, nous reproduirons la liste de tous les villages concernés avec
leur population estimée en 1944/45, et en traduisant entièrement l’article consacré à
l’un d’entre eux.

Les Palestiniens aussi ont droit à leurs livres du souvenir.

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Les districts de la Palestine avant 1948

District de Tibériade

Les villages détruits du district

‘Awlam (720 habitants) ; al-Dalhamiyya (410) ; Ghuwayr Abu
Hadatha (520) ; al-Hamma (290) ; Hittin (1.190) ; Kafr Sabt
Ma’dhar (480) ; al-Majdal (360) ; al-Manara (490) ; al-Manshiyya (?) ; al-Mansura
(2.140) ; Nasir al-Din (90) ; Nimrin (320) ; al-Nuqayb (740) ; Samakh (3.460) ; al-
Samakiyya (380) ;
al-Samra (290) ; al-Shajara (770) ; al-Tabigha (330) ; al-‘Ubaydiyya (870) ; Wadi al-
Hamam (?) ; al-Wa’ra al-Sawda’, Khirbat (1.870) ; Yaquq (210).

Hittin

Le village était localisé sur les rives d’un petit wadi (rivière à sec une partie de
l’année), au pied nord du Mont Hittin. Historiquement, le village avait une importance
stratégique et commerciale parce qu’il dominait la plaine de Hittin. La plaine s’ouvrait
à l’est sur les basses terres côtières du lac de Tibériade, et l’ouest était relié aux
plaines de basse Galilée par des cols de montagne. Ces plaines, de par leur
passage est-ouest, avaient servi de routes pour des caravanes de marchands et
des invasions militaires tout au long des âges. Le village a pu être construit sur la
ville cananéenne de Siddim ou Ziddim, qui au troisième siècle avant J.-C. prit le nom
hébreu de Kefar Hattin (« village du grain [de blé] »). Il était connu sous le nom de
Kfar Hittaya dans la période romaine, et servit de siège rabbinique au quatrième
siècle.

La plaine de Hittin fut le site de la célèbre bataille de Hittin (1187),

dans laquelle Salah al-Din al-Ayyubi (Saladin) vainquit les armées des Croisés, sauvant ainsi toute la Galilée.

Hittin était également le lieu de naissance ou d’inhumation de nombreux
personnages éminents de la jeune période islamique. Leurs noms furent liés au
village par plusieurs géographes et chroniqueurs arabes de ces temps, y compris
Yaqut al-Hamawi (mort en 1228)

et al-Ansari al-Dimashqi (mort en 1327), qui fut lui-
même appelé le Shaykh de Hittin. ‘Ali al-Dawadari, l’écrivain, exégète coranique
et calligraphe, mourut dans la village en 1302. En 1596, Hittin était un village de la
nahiya (la plus petite division fiscale dans le premier système administratif ottoman)
de Tibériade (liwa’ [province] de Safad), avec une population de 605 habitants. Il
payait des taxes sur plusieurs récoltes, incluant du blé, de l’orge et des olives, ainsi
que sur d’autres types de produits, comme les chèvres et les ruchers. Au début du

dix-neuvième siècle, le voyageur suisse Burckhardt le décrivit comme un petit village
dont les maisons étaient construites en pierres. À la fin du dix-neuvième siècle, Hittin
était entouré d’arbres fruitiers et d’oliviers ; les 400 résidents du village cultivaient
une part de la plaine environnante.

Le tracé du village moderne avait une forme triangulaire. Ses rues étaient
planes et droites en raison de l’absence de relief du site. Le centre du village,
localisé au nord-ouest, comprenait un petit marché, une école élémentaire (établie
vers 1897 sous la domination ottomane), et une mosquée pour la population
entièrement musulmane. Les points de repère religieux du village incluaient le
tombeau du prophète (nabi) Shu’ayb sur le côté sud-ouest de Hittin. Ce tombeau
était particulièrement vénéré par les personnes de foi druze, qui y faisaient un
pèlerinage tous les mois d’avril. Le tombeau avait plusieurs pièces pour les visiteurs,
et une salle de prière qui était considéré comme abritant la sépulture et une
empreinte du pied du prophète Shu’ayb. Une source proche de la tombe procurait de
l’eau fraîche aux visiteurs.

Le terrain était bien recouvert de bonne terre et bénéficiait de nombreuses
pluies et d’eau de sources, en particulier dans la partie nord de la plaine, où se
trouvait un groupe de sources et de puits. Combinés à un climat tempéré, ces
attributs permirent le développement d’une économie agricole généreuse. La plupart
des villageois s’engagèrent dans l’agriculture, qui était basée sur les céréales et
les fruits, incluant les olives. En 1944, 10.253 dunums (1 dunum = 919 m²) étaient
plantés en céréales ; 1.936 dunums étaient irrigués ou utilisés comme vergers.

Le
village était construit sur les vestiges archéologiques d’implantations antérieures ;
ces vestiges étaient dispersés de par tout le village. Il y avait aussi de nombreuses
khirbas (ruines) dans le voisinage.

Occupation et nettoyage ethnique

La première expérience directe de la guerre par les villageois eut lieu le
9 juin 1948, lorsqu’une attaque israélienne contre le village proche de Lubya fut
repoussée juste avant le début de la première trêve. Interviewés quelques vingt-cinq
ans plus tard, des villageois dirent que lorsque l’unité blindée israélienne faisait
retraite vers l’est, les miliciens de Hittin ouvrirent le feu sur les véhicules depuis leurs
positions surplombant la grande route Nazareth-Tibériade. Après avoir obligé l’unité
israélienne à se retirer plus loin, la plupart des miliciens retournèrent au village pour
prendre part à la procession funéraire d’un de leurs camarades tombés. Les
sentinelles qui étaient restées sur les « Cornes de Hittin » - les deux hautes collines
séparées par une vallée qui constituent les repères de l’ancien champ de bataille –
virent bientôt une unité blindée accompagnée d’infanterie avançant vers le village,
provenant de la direction de l’implantation juive de Mitzpa. L’un des participants décrivit les événements qui suivirent à l’historien palestinien Nafez Nazzal : « Nous gagnâmes nos postes de garde sur les Cornes de Hittin. Numériquement, nous étions
moins nombreux ; néanmoins, nos positions surplombaient les leurs… Nous voyions
tous les mouvements qu’ils faisaient. Lorsqu’ils avancèrent vers nous… nous nous
battîmes bravement pendant plus de quatre heures, et nous les forçâmes à s’arrêter.
Quelques-uns d’entre nous descendirent de la montagne et se cachèrent derrière
des rochers ; lorsqu’ils ouvrirent le feu, les Juifs pensèrent qu’ils étaient tombés dans
un traquenard et décidèrent de battre en retraite. »

L’attaque suivante fut montée par la Septième (sheva’) brigade après la fin
de la première trêve, lors de l’Opération Dekel. Des villageois dirent à Nazal que
lorsque Nazareth tomba (le 16 juillet), entre vingt-cinq et trente soldats de l’Armée
de Libération Arabe stationnés à Hittin commencèrent à se retirer. La plupart des
villageois s’enfuirent dans la nuit du 16 au 17 juillet, et se réfugièrent à Salama, qui
se situait entre Dayr Hanna et al-Mughar. Un des miliciens, qui était resté en arrière,
raconta ce qui se passa cette nuit :

« Nous restâmes sur les Cornes de Hittin jusqu’à la dernière minute. Nous
voyions avancer l’unité blindée juive… Nous étions trop peu nombreux et ne
disposions que d’une quantité trop limitée de munitions pour résister à l’assaut…
Lors de la première attaque juive, beaucoup de villageois avaient utilisé toutes les
munitions qu’ils avaient… Nous nous retirâmes au village et, en compagnie des
quelques villageois qui restaient, nous nous enfuîmes vers le nord. »

Peu après la prise du village, la seconde trêve entra en vigueur. Dans les
quelques jours qui suivirent, cinq hommes y retournèrent pour vérifier la possibilité
de reprendre le village, mais ils furent pris pour cibles par les soldats israéliens.
Finalement une personne parvint à rentrer pour chercher ses parents et les aider à
partir. Les villageois dirent aussi qu’ils étaient restés dans les alentours du village
tout un mois, guettant une possibilité de rentrer. En fin de compte, ils se rendirent au
Liban

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Implantations israéliennes sur les terres du village

Israël établit l’implantation d’Arbel au nord du site du village en 1949. Kefar
Zetim fut implanté un an plus tard, au nord-est. Tous deux sont situés sur les terres
du village. Kefar Chittim, fondé en 1936 à l’est du village, et Mitzpa, fondé en 1908 à
l’est, sont tous deux proches du site du village, mais ne se situent pas sur ses terres.

Le village aujourd’hui

Le site est recouvert d’herbe, et parsemé d’amas de pierres.

Des plantes
aquatiques poussent dans les ruisseaux peu profonds qui le traversent. La mosquée
est désertée ; son minaret est intact, mais ses arcs croulent.

Des mûriers, des
figuiers et des eucalyptus, ainsi que des cactus, croissent sur le site. Les terres
environnantes dans la plaine sont cultivées, alors que les terres montagneuses sont
utilisées comme pâturages. Le tombeau de al-Nabi Shu’ayb, sur la pente d’une
colline près du village, est toujours un lieu saint pour les pèlerins druzes.

Images : Palestineremembered.com

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