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En attendant le « bulletin météo » hebdomadaire de Paul Jorion.

ET MAINTENANT ?

Vendredi, 15 juin 2012 - 6h52 AM

vendredi 15 juin 2012

TOUT SE TIENT !

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Et maintenant ? Que va-t-on faire ? Maintenant que l’Espagne a perdu l’accès au marché des capitaux pour sa dette ?

Oui, la dégradation par Moody’s, hier dans la soirée, de la cote de l’Espagne de trois crans, de A3 à Baa3, n’a pas arrangé les affaires. Mais enfin, elle ne nous apprend rien qu’on ne sache déjà depuis le weekend dernier : avec un taux à 10 ans de sa dette souveraine, scotché au niveau des 6,75% (*), les carottes étaient de toute façon cuites pour ce qui est de financer sa dette sur le marché des capitaux.

Qu’est-ce qui s’était passé ? Les 100 milliards d’euros de plus obtenus des fonds européens par l’Espagne, et dont la nation elle-même est maintenant redevable, les règlements européens interdisant les renflouements directs de banques par leurs instances.

Vous avez remarqué que les règlements européens sont truffés de clauses de suicide programmé, dont on découvre toujours les implications comme aujourd’hui, dans l’urgence ? Certains, convaincus du pouvoir sans limite de la volonté humaine, vous expliqueront que c’est voulu : prévu de longue date pour la mise en branle un jour, du Grand Plan Secret. C’est plus banalement qu’il s’agit d’inventions humaines dans lesquelles la sélection naturelle n’a pas encore eu le temps de faire le tri.

Mais les Américains y étaient bien arrivés, à faire une grande nation avec plein de petits bouts ! Oui, mais justement : dans ce cas-là, la méthode par essais et erreurs a été utilisée à grande échelle : les États-Unis d’aujourd’hui ont dû passer par une guerre civile atroce pour clarifier un peu les choses. Et certaines cicatrices sont encore bien fraîches.

Déjà garder la Grèce dans la famille, c’est très dur. Plus le Portugal, plus l’Irlande, plus – aujourd’hui, en fin de matinée, Chypre. Mais l’Espagne, et on l’a dit tout de suite, dès la première alerte au début 2010, c’est trop à avaler pour ce qu’il restera de zone euro : ce n’est pas possible. Sans compter l’Italie très pâle elle aussi, sur une chaise dans le couloir du dispensaire.

Alors ? Et maintenant ?

Je l’avais expliqué le 5 avril 2010 – deux ans déjà ! – dans une chronique du Monde-Économie intitulée « Le fil rouge » : « Les gouvernements d’unité nationale sont pour bientôt, quand il sera devenu évident aux yeux de tous qu’aucun parti ne connaît à lui tout seul la solution des problèmes insolubles qui se posent, suivis alors de Comités de Salut Public, quand il sera clair que même tous ensemble ils n’y comprennent rien et – si Dieu nous prend alors en pitié – suivi enfin d’un nouveau Conseil National de la Résistance, au moment où il faudra, par-delà les divergences conçues aujourd’hui comme irréductiblement inconciliables, lancer une ultime tentative de sauver ce qui peut encore l’être ».

M. Hollande n’a pas encore atteint ce stade-là, convaincu qu’il est que si la croissance est ce qui convient à la France, le traitement de cheval de l’austérité convient mieux au tempérament grec. Pasok et Nouvelle Démocratie sortant vainqueurs des élections en Grèce, c’est ce qu’il souhaite aux Grecs. Et il n’a pas hésité hier à le leur dire. La reproduction en petit sans doute du couple à la Dubout France-Allemagne qui nous est offert en ce moment. La formule gagnante lui semble être celle de l’union d’un parti socialiste de droite avec un parti libéral, convaincus tous deux que mettre l’État-providence dans la naphtaline est beaucoup plus urgent que de mettre au pas la finance.

Notez que les Américains sont dans le même état d’esprit : hier M. Jamie Dimon, patron de J. P. Morgan Chase, était sur la sellette devant le Comité bancaire du Sénat américain. On lui demandait d’expliquer comment il se fait que sa banque a perdu par distraction entre 3 et 10 milliards de dollars. Les sénateurs du parti républicain ont consacré tout le temps de parole qui leur était donné à affirmer – et à vouloir que M. Dimon le confirme avec enthousiasme – que le grand souci en ce moment, c’est une réglementation trop stricte de la finance. À certaines époques, c’est comme cela, vous dis-je : le suicide programmé se retrouve absolument partout. Et je vous épargne les exemples les plus comiques.

Enfin, gageons qu’on travaille dur en ce moment-même à trouver des solutions à Bruxelles, qu’on nous concocte quelques plans astucieux qui pourront être mis en œuvre en 2014 ou en 2018. Pourquoi ces formules-miracles sont-elles toujours remises – c’est le cas de le dire – aux calendes grecques ? Pour laisser du temps au temps. Sauf qu’aujourd’hui, 14 juin 2012, c’est ça qui manque le plus : le temps précisément.

Paul Jorion