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Par Paul JORION

LE TEMPS QU’IL FAIT LE (JEUDI) 16 AVRIL 2015 – (retranscription)

Jeudi, 23 avril 2015 - 10h03 AM

jeudi 23 avril 2015

FAIRE HONTE
ndlr

[.....lenteur » ? Euh, oui, probablement, oui probablement. C’est pour ça que ça remet en question la manière dont j’ai envisagé les choses dans mon prochain bouquin. Qu’est-ce que je vais faire ? Je voulais – et vous m’avez vu faire ça cent fois, mille fois – dire : « Ça y est les amis, on sait ce qu’il faut faire, retroussons nos manches, eh bien allons-y ! allons-y gaiement ! chantons une petite chanson scoute et on va arriver à quelque chose ! » Hmm ! Eh bien, ça, ça ne marchera pas.

Ça ne marchera pas. Qu’est-ce qu’il faut faire d’autre ? Euh, j’ai une idée. J’ai une idée : il faut faire honte. Voilà, il faut faire honte. Il faut faire honte à ces gens, voilà, les grands dirigeants du business etc. Est-ce que ça va marcher ? Je ne sais pas. Mais ce que je vais faire .....] Paul Jorion

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Retranscription de Le temps qu’il fait le (jeudi) 16 avril 2015. Merci à Olivier Brouwer  !
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Bonjour, nous sommes le jeudi 16 avril 2015, et d’habitude, je fais cette vidéo, vous le savez, un vendredi, parfois au prix d’efforts désespérés pour y arriver, et demain, c’est absolument impossible, donc je la fais jeudi. Pourquoi ? Parce que demain, je serai essentiellement dans le train, avec un petit séjour à Paris, entre la Bretagne et Bruxelles. Pourquoi Bruxelles, eh bien parce que lundi, je donne un cours à la V.U.B. (Vrije Universiteit Brussel), c’est à 16h, c’est ouvert au public et ce sera consacré à la crise des subprimes. Et samedi, samedi nous avons une réunion au Vicomte, à Ixelles, à 17h30, [de] 17h30 à 22h. Nous nous réunissons, et, bon, on est [dans la troisième ou peut-être même] dans la quatrième année, mais ça marche, ça marche bien, et venez si vous êtes par là.

Mon séjour à Paris, mon petit séjour à Paris entre la Bretagne et Bruxelles, ce sera pour discuter d’un projet de nouveau livre. Et ce projet de nouveau livre, j’en parle plus ou moins dans des billets déjà, j’évoque ça aussi parfois déjà dans des vidéos, mais le fait est que j’ai changé. Depuis que j’ai mis les idées sur le papier, que j’en ai fait une sorte de sommaire qui allait me guider, une table des matières, eh bien, ma conception de ce qu’il faudrait faire a évolué et c’est de ça que je voudrais vous parler.

Le blog existe depuis un peu plus de [huit] ans. Qu’est-ce que j’ai essayé de faire ? Eh bien, j’ai essayé de convaincre le public – avec l’aide des billets invités – de convaincre le public que les politiques que nous avons en économie et d’un point de vue politique proprement dit, que ça ne marche pas, et j’essaye de convaincre de changer de cap, de faire autre chose. Et ma méthode, en fait, on peut bien la résumer par une phrase que j’ai trouvée chez John Maynard Keynes, quand il veut s’adresser à un de ses correspondants et qu’il dit : « Je désespère personnellement d’obtenir des résultats par tout autre moyen qu’en disant la vérité violemment et brutalement ; cela finira par marcher, même si c’est avec lenteur. »

Si j’ai bon souvenir, c’est à Kingsley Martin qu’il écrit ça, quelqu’un qui dirigeait pour lui – parce qu’il en était en réalité le propriétaire – le New Statesman, une publication qui existe toujours et qui représente les idées de la gauche en Grande-Bretagne. Et donc, voilà sa conviction : il faut marteler, il faut répéter inlassablement ce qui est la vérité – du moins comme on la découvre soi-même – en espérant que ça marche. Alors, est-ce que ça a marché dans le cas de Keynes lui-même ? Très partiellement. Très partiellement. Je dirais, peut-être pour les choses un peu inoffensives, mais pas véritablement sur le fond, et, bon, je dirais, c’est le sujet, essentiellement, du bouquin sur Keynes qui va paraître en septembre chez Odile Jacob et qui est bien avancé puisqu’on travaillait hier sur la quatrième de couverture – ce qui est toujours un très bon signe !

Ça n’a pas vraiment marché pour Keynes, ça n’a pas vraiment marché pour moi, je dirais, au cours des huit dernières années. Oui, on m’écoute, oui, on m’invite parfois à la radio, à la télévision, oui, il y a un nombre invraisemblable maintenant de vidéos où on peut m’écouter dire ce que je pense, mais est-ce que les politiques prises par les gouvernements ont été influencées ? Eh bien non. Et cela, en soi, ça aurait pu me convaincre. Ça aurait pu me convaincre que je suis dans la mauvaise direction, que ce n’est pas comme ça qu’il faut faire.

Mais en fait, le changement de cap, il n’est pas venu, je dirais, de la persuasion, de l’auto-persuasion qui aurait pu me venir des faits, il est venu en fait d’un article. Un article que j’ai lu il y a quelques temps, et que j’ai déjà montré au petit groupe des amis du blog de Paul Jorion, et ça a déjà suscité de bonnes discussions, et j’espère qu’à la suite de ma petite vidéo, il y a une partie de ces discussions internes, je dirais, qui vont apparaître en surface et qui seront publiées ici. Cet article, c’est un article qui s’appelle : Testing Theories of American Politics. Voilà. Et ce n’est pas fait par des petites pointures, c’est fait par Monsieur Gilens et par Monsieur Page, et Monsieur Gilens qui a un CV à rallonge, est professeur à Princeton University, bon, ce qui est déjà pas mal, et Professor Page, lui, il est professeur à Northwestern. Vous ne connaissez peut-être pas Northwestern, mais c’est une des grandes universités de Chicago, et c’est une grande université à l’échelle américaine, de très bonne réputation.

Et donc, dans ce papier, qu’est-ce qu’ils essayent de faire, dans cet article qui a paru en septembre 2014 ? Eh bien, ils essayent d’évaluer dans quel type de démocratie nous évoluons. Et ils ont différentes catégories qu’ils testent à partir de, eh bien, ils regardent un très grand nombre d’opinions qui sont exprimées – c’est de l’ordre de 1000 ou de près de 2000 – et ils regardent quel résultat ça a. Est-ce qu’il y a des applications de ces politiques, oui ou non, etc. Et ils arrivent à la conclusion – et cette conclusion est très intéressante – la conclusion, c’est la suivante : « les préférences de l’américain moyen semblent avoir un impact sur les politiques qui sont suivies minuscule, proche de zéro et non significatif sur un plan statistique ».

Bon. C’est-à-dire que l’opinion de la majorité est ignorée dans les décisions qui sont prises. Ce n’est pas ça qui compte. Et ça ne se retrouve pas dans les politiques qui sont prises. Si, disent-ils, ça se retrouve parfois, dans la mesure où l’opinion du public en général, l’opinion majoritaire, coïnciderait avec celle d’une petite, toute petite minorité. (Euh… il y a encore quelques passages que je voudrais vous lire… Ah oui !) Ils se demandent si les groupes d’intérêts d’origine citoyenne – par exemple comme les syndicats, les organisations de consommateurs – si leurs opinions se retrouvent, sont appliquées. Alors, ils disent oui, dans une certaine [mesure], elles sont appliquées. Le problème, c’est qu’elles ne coïncident pas, généralement, avec [celles] de la majorité de la population. C’est que les groupes, ces groupes d’intérêts censés nous représenter ont souvent (comment dit-on ?) des objectifs qui sont les leurs et qui ne correspondent pas à ceux de la majorité.

Alors, oui, comme je vous ai dit tout à l’heure, ça ne veut pas dire que l’opinion des citoyens ordinaires ne se retrouve jamais représentée – mais en réalité, uniquement si elle coïncide avec celle d’une petite minorité. Est-ce que ça veut dire que l’opinion de la majorité sur ce qu’il faudrait faire est discutée et puis est rejetée par une majorité de parlementaires ? Non. Ce qui se passe, c’est que les demandes, les souhaits de la majorité de la population ne se retrouvent même jamais exprimés au niveau du Congrès, du Sénat américain, c’est-à-dire en fait, au niveau du Parlement et du Sénat ici. Et alors, une petite phrase qui est là : « la majorité ne dirige pas les affaires », et le « ne » est en italique. C’est un peu le résumé de cet article.

Alors, cet article n’est pas écrit, vous l’aurez compris, n’est pas écrit par des révolutionnaires professionnels. Ce sont des gens qui essayent de faire un boulot – ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas des opinions, ils ont sûrement des opinions – mais ils essayent de faire un boulot de scientifiques, et ça a l’air d’être fait selon les règles de la statistique.

Et qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que même si, comme j’essaye de m’en convaincre, et comme, heureusement, il y a quand même quelques signes qui vont dans cette direction-là, même si les opinions qui sont exprimées ici, sur le blog, représentent celles d’une majorité de la population, comme notre système n’est probablement pas très différent de celui qui existe aux Etats-Unis – il suffit de voir le remplacement des gouvernements les uns après les autres, élus sur des plates-formes différentes, sur des programmes différents, et de s’apercevoir qu’ils font exactement les mêmes politiques – en fait, c’est sans doute exactement cela qui se passe. Les auteurs ne parviennent pas à définir exactement qui est ce petit groupe, ce petit groupe qui dirige les affaires, mais enfin, bon, c’est un tout petit groupe.

(Je voulais regarder encore autre chose). Ils suggèrent que ce tout petit groupe est dominé par les « powerful business organisations » et un petit nombre d’Américains extrêmement riches. Voilà. Bon, ce n’est pas précis d’un point de vue statistique, mais enfin ça nous dit clairement de quoi il s’agit.

Et donc, qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien, vous le voyez, c’est écrit un peu partout : nous pouvons dire ce que nous voulons, nous pouvons crier dans toutes les directions, et ça n’a pas d’importance, parce que nos systèmes ne sont plus faits pour représenter les opinions majoritaires. Ce qui se passe, ce qui est décidé représente les intérêts d’un tout petit groupe : milieux d’affaires plus quelques personnes très fortunées. Voilà.

Alors, est-ce que ça dément l’opinion de Keynes : « obtenir des résultats en disant la vérité violemment et brutalement, cela finira par marcher, même si c’est avec lenteur » ? Euh, oui, probablement, oui probablement. C’est pour ça que ça remet en question la manière dont j’ai envisagé les choses dans mon prochain bouquin. Qu’est-ce que je vais faire ? Je voulais – et vous m’avez vu faire ça cent fois, mille fois – dire : « Ça y est les amis, on sait ce qu’il faut faire, retroussons nos manches, eh bien allons-y ! allons-y gaiement ! chantons une petite chanson scoute et on va arriver à quelque chose ! » Hmm ! Eh bien, ça, ça ne marchera pas.

Ça ne marchera pas. Qu’est-ce qu’il faut faire d’autre ? Euh, j’ai une idée. J’ai une idée : il faut faire honte. Voilà, il faut faire honte. Il faut faire honte à ces gens, voilà, les grands dirigeants du business etc. Est-ce que ça va marcher ? Je ne sais pas. Mais ce que je vais faire : je vais leur dire la chose suivante. Au lieu de dire : « [Retroussons] nos manches ! », je vais dire la chose suivante. Je vais dire : « Voilà où on en est. » Voilà où on en est : si on continue tout droit, c’est le précipice, c’est la fin de l’espèce humaine. Il y aura peut-être, oui, peut-être que dans cent ans, il y aura encore des petites poches ici ou là, bon, ça arrive, mais ce ne sera plus du tout avec des villes de dix millions d’habitants comme on fait maintenant.

C’est quelqu’un qui faisait la réflexion hier, en disant : « Dans une ville comme les nôtres, après trois jours sans électricité, il n’y a plus d’eau dans les robinets. » Bon, euh, il faut savoir ça. Il y a une capacité de désorganisation des systèmes dans lesquels nous sommes qui est tout à fait considérable. Alors, qu’est-ce que je vais faire ? Eh bien, je vais dire : « Voilà : il y avait un truc qui s’appelait ‘l’espèce humaine’, ça a fonctionné comme ça. »

Nous, nous ne sommes apparemment pas du tout outillés pour faire face à un danger comme celui de l’extinction. Notre capacité à faire face à un danger comme celui-là, malgré notre capacité de réflexion, est probablement égale à [celle] des dinosaures, nous ne savons pas ce qu’il [faut] faire et nous allons droit vers… Si ! Nous savons exactement ce qu’il faut faire ! C’est ça la distinction que je fais parfois entre le Prince et le Philosophe. Je crois que le philosophe sait ce qu’il faut faire alors que le prince, oui, il le sait aussi, mais il fait le contraire parce que ça ne l’arrange pas ! Mais si on laisse les princes faire les choses, eh bien, c’est le précipice, ça se terminera.

Alors, je n’aurai pas vraiment de conclusion dans mon livre, je dirai : « Voilà, c’est ça hein, on est comme ça, euh, on fonctionne de cette manière-là, on n’est vraiment pas outillés – jusqu’ici ! – on n’a pas la preuve qu’on est outillés pour faire face à une extinction comme celle qui nous menace à l’échelle de deux ou trois générations (ce sont les calculs des physiciens, des chimistes, des paléontologues, etc.) Nous ne sommes pas outillés pour le faire, nous ne le ferons probablement pas, mais je mets les choses noir sur blanc, sur le tapis. C’est notre choix maintenant. On le fait ou on ne le fait pas ! » Bon, avec l’idée de, non pas, comme je le disais, peut-être plus de convaincre les « z’élites », entre guillemets, qui nous conduisent au précipice, mais leur dire : « Voilà la donne ! » Et devant l’opinion : « Si vous ne changez pas de cap, si vous continuez à faire toutes vos petites magouilles, votre électoralisme, vos machins, ceci-cela, eh bien c’est terminé, voilà, c’est terminé ! »

Le problème ne se posera pas après de savoir que… c’est uniquement, je dirais, c’est uniquement aux yeux des robots qu’on saura que ces gens-là ont empêché que ça aille dans la bonne direction, que l’espèce survive, et dans les livres que les robots écriront et qu’ils liront eux-mêmes, ils sauront que, voilà, qu’il y avait des gens qui gueulaient et qui voulaient pas que ça se passe de cette manière-là, pour une raison, comme je l’ai déjà dit, je ne pourrais pas trop la justifier mais enfin bon, c’est une sorte d’attachement, je dirais, sentimental [au genre] humain, parce que les gens que j’aime bien y appartiennent…

On va essayer de faire les choses comme ça, et non pas, non pas, comme je le disais avant, « esprit boy-scout », ça c’est terminé, parce que l’article de Messieurs Gilens et Page nous montre qu’on n’est pas dans un système où ça peut changer par des décisions qui sont prises par les parlements et autres choses. Les intérêts qui sont représentés là, ce ne sont pas ceux de la majorité. La majorité ne dirige pas les affaires, et en général, quand une opinion est celle de la majorité, c’est le contraire de ce qui va être fait : ce qui sera fait sera le contraire de l’opinion majoritaire.

Alors voilà. J’espère qu’il y aura un débat. Je vais mettre évidemment le lien vers cet article. J’encourage les gens qui ont déjà discuté de cet article à l’intérieur des amis du blog de Paul Jorion [à] me tirer des papiers de leurs discussions pour qu’on les publie, et vous aussi, vous aussi, intervenez, vous pourrez intervenir au niveau des commentaires, et vous pouvez aussi intervenir comme vous le faites tous les jours, en fait, en me disant : « Voilà, j’ai écrit ceci, et j’aimerais bien que ce soit publié comme billet invité. Est-ce que vous pourriez le regarder et prendre la décision de le publier ou non, et, si vous le prenez pas, en m’expliquant la décision ‘pourquoi non’ ? »

Voilà. Alors, on va faire comme ça. Euh, c’est un autre type d’approche. On va voir. On va peut-être encore changer de cap, ou bien, comment dire, mettre la clef sous le paillasson et aller cultiver les betteraves quelque part dans la montagne, dans la plaine ou ailleurs, en attendant que ça se passe.

Voilà. Allez, à bientôt ! À la semaine prochaine !