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Source : Les Inrocks

2011 : les combats d’un monde en colère

Lundi, 26 décembre 2011 - 9h01 AM

lundi 26 décembre 2011

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La crise, les révolutions arabes, le mouvement des indignés, la relégation des classes sociales défavorisées, l’espérance trahie de la jeunesse… Les combats de l’année 2011 dessinent les contours d’un monde en colère.

Refonder l’économie

Sur fond de crise de l’euro et de la dette des Etats, de nombreux économistes, notamment ceux qui s’autodésignent comme “atterrés”, remettent en cause les pouvoirs exorbitants de la finance. Frédéric Lordon (lire p. 44), André Orléan, Philippe Askenazy, Paul Jorion et d’autres iconoclastes déconstruisent les fondements d’un système néolibéral à l’agonie et proposent une refondation de la pensée économique. Une pensée qui intègre dans ses principes fondateurs la volonté, par exemple, de n’ouvrir les marchés boursiers qu’une fois par trimestre pour neutraliser les effets de la spéculation financière, de limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle, d’accroître l’effort budgétaire en matière d’éducation ou d’investissements, de réduire les dettes publiques en faisant payer ceux qui ont bénéficié des bulles financières et immobilières… Les propositions de riposte à la crise et de sortie du capitalisme financier existent, par-delà les débats qui persistent sur des sujets comme la “démondialisation”. Le chantier de la révolution intellectuelle se bâtit sur cette critique de “l’emprise de la valeur financière” et ce besoin de “définanciariser” l’économie, selon l’expression d’André Orléan, auteur d’un essai fécond, L’Empire de la valeur.

L’indignation court les rues

Prenant de plein fouet la crise, le mouvement des indignés, créé en Espagne en mai, s’est étendu à près de 1 000 villes dans 82 pays. Mondialisé, cet élan révolutionnaire qui tire son nom du livre de Stéphane Hessel forme le symptôme d’un système politique en bout de course. Face à cette défiance citoyenne, le politologue Bertrand Badie évoque “la fin de l’histoire moderne de l’homme politique”. Les indignés, à travers leur mode de participation horizontal, sans hiérarchie, spontanéiste, incitent à repenser les conditions du débat politique, se réconcilier avec la société, faire renaître le débat public, contre la vision des experts qui évacue les peuples.

L’absence d’un quelconque débat public sur la question du nucléaire en France, après Fukushima, constitue un exemple parmi d’autres de ce déficit démocratique. En occupant les rues, en se réappropriant les villes, y compris à New York avec les indignés prolongent le formidable mouvement libérateur des peuples arabes, dont la place Tahrir, au Caire, reste le symbole fort. Si leurs revendications ne débouchent pas sur un programme précis, en dehors de quelques principes (élimination des privilèges, revenu minimum d’existence, régulation de la finance…), elles sont le signe d’un souffle révolutionnaire disséminé, aux perspectives encore incertaines mais explosives.

Le déficit de représentation politique

Au-delà des indignés, la question du déficit de représentation politique s’est concrétisée dans la nouvelle attention déployée pour les “classes sociales” populaires. Même si, comme le soulignait dans Le Monde la romancière Annie Ernaux, “les classes sociales n’ont jamais disparu”, leurs enjeux politiques sont réapparus à gauche, dans la perspective de la présidentielle. Réinvestissant la question sociale, la gauche veut représenter et défendre les catégories populaires (13 millions d’ouvriers et d’employés) qu’elle avait délaissées, notamment les populations rurales et périurbaines, analysées par le géographe Christophe Guilluy. La question de l’égalité (Pierre Rosanvallon) et en miroir celles de la sécession des riches et de la justice fiscale a traversé le débat public, qui comme le soulignait l’historien Tony Judt, doit se centrer sur les injustices de classe et les “privilèges qui bouchent les artères de la démocratie”.

L’accès inégal aux ressources en tout genre forme à nouveau le point de départ de toute critique progressiste. Une critique qui pourrait mettre fin à la vague droitière qui a gagné la majorité des pays occidentaux, et désamorcer, comme y invitent Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin dans Voyage au bout de la droite, les “paniques morales” qui conduisent à la critique de la raison progressiste, au conservatisme fiscal antitaxe, au conservatisme social mobilisé sur les questions de société et de religion…

Le féminisme dans tous ses ébats

Sous l’effet mécanique de l’affaire DSK, les débats houleux, au cours desquels les féministes dénoncèrent les stéréotypes machistes, furent aussi l’occasion de mesurer les fractures internes au féminisme lui-même. Une opposition se dessina entre les tenantes d’un féminisme universaliste et intraitable sur la question de l’égalité (Joan W. Scott), et celles défendant la singularité française, les plaisirs asymétriques de la séduction, la “surprise délicieuse des baisers volés” (Claude Habib, Irène Théry).

Cette polémique éclaira d’un certain point de vue la persistance de vifs débats sur le thème de la domination masculine, et au-delà, sur les “études de genre”, désormais intégrées dans les manuels scolaires, et dont les critiques virulentes à droite furent un autre indice inquiétant du trouble que continue de susciter la question théorisée par Judith Butler.

Haro sur les écolos

Les écologistes, en dépit de la confirmation de leurs visions politiques portées depuis des années, furent aussi sur le gril. Outre les discussions sur la stratégie de ses leaders, la posture et le discours écologiste dérangent encore, et pas que Claude Allègre. Dans son pamphlet, Le Fanatisme de l’Apocalypse, l’écrivain Pascal Bruckner s’en prit violemment aux écolos, accusés de ne vouloir que “le châtiment de l’homme” : un symptôme plus éclairant qu’éclairé d’un nouvel “écolo-bashing”, lui-même traversé d’arguments variés qui se dégonflent devant le principe de réalité du dérèglement climatique et de l’accident nucléaire.

La jeunesse et la crise éducative

Alors que le système scolaire, converti aux méthodes de gestion de l’entreprise, selon le sociologue Christian Laval dans La Nouvelle Ecole capitaliste, traverse une grave crise de confiance, le sort de la jeunesse reste un impensé de notre système politique. Un “mal-être collectif” la définit selon le sociologue Louis Chauvel. Chômage record, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit, nouvelle pauvreté, absence d’horizon lisible… Un jeune sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté. Réactiver la promesse républicaine pour permettre à chaque génération de vivre mieux que la précédente : la gauche a devant elle un chantier imposant.

Jean-Marie Durand