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Le Trou noir (ndlr)

FUITES INFERNALES, par François Leclerc

Dimanche, 28 août 2011 - 11h09 AM

dimanche 28 août 2011

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Billet invité sur blog de Paul Jorion,

Pas un jour ne se passe sans qu’une nouvelle échéance attendue ne ponctue l’actualité, en règle générale de manière plus inquiétante que prometteuse. Hier, Ben Bernanke prononçait son discours annuel de Jackson Hole (Wyoming), à l’occasion de l’université d’été des banques centrales, pour finalement ne rien annoncer sinon qu’il passait la main. Renvoyant au discours de rentrée de Barack Obama, à l’occasion du Labor Day qui tombe cette année le 5 septembre. Le sujet du moment n’étant plus les déficits mais la récession et la question du jour comment combattre les uns sans précipiter l’autre.

Vers la fin septembre, il est attendu la décision du Bundestag, qui devrait ratifier les décisions du sommet des chefs d’État et de gouvernement européens du… 21 juillet dernier, alors que se poursuit à propos de la Grèce une course de vitesse en marche arrière.

Cette fuite est sans fin et n’apporte pas de solution.

Nous nous dirigeons vers le centre d’une dépression, où comme chacun sait règne un lourd et étrange calme plat, alors qu’autour c’est le gros temps. La Grande Perdition est désormais arrivée à maturité, elle se manifeste simultanément dans tous les domaines et l’ensemble du monde développé : tour à tour financier et économique, politique et social. Avec une attention particulière réservée au monde politique, traversé par des contradictions exacerbées et faisant face à des blocages de plus en plus difficiles à contourner. Craignant l’arrivée de crises sociales accentuées, telles qu’elles se répandent dans le monde, au Chili, en Israël aujourd’hui, avec comme dénominateur commun la lutte contre les inégalités sociales et dans le cas de l’Inde contre la corruption.

Aux États-Unis, le blocage politique provient de l’opposition irréductible entre les démocrates et les républicains, à propos de la meilleure manière de réduire le déficit public. La montée en puissance dans le camp républicain du candidat ultra-conservateur, le gouverneur du Texas Richard Perry, ne rend pas optimiste pour la suite. Après avoir prévu d’envoyer à Barack Obama une « lettre de licenciement », il a vivement condamné comme étant « déloyale et traîtresse » toute éventuelle mesure de relance de l’économie par la Fed et vient d’ailleurs d’être exaucé, pour des raisons qui ne sont pas celles qu’il avance.

À Jackson Hole, la banque centrale étasunienne vient de rendre tout simplement son tablier, reconnaissant qu’elle est désarmée, renvoyant la balle au gouvernement et laissant sur leur faim les analystes qui espéraient, comme celui du cabinet IHS Global Insight cité par l’AFP, qu’elle affirmerait au moins « Nous savons ce qu’il faut faire, nous le ferons si nécessaire. » Le niveau des espérances diminue alors que la crise s’approfondit.

En Europe, ce sont les Allemands qui engagent la retraite. À l’offensive, les idéologues d’un libéralisme toujours renaissant de ses cendres font alliance sans façon avec les doctrinaires hors du temps de la Bundesbank, adeptes des vertus de la rétention. Aveugles au point d’être convaincus de pouvoir continuer à obtenir le beurre et l’argent du beurre sur leurs marchés européens, dont la croissance continue diminue au fur et à mesure que la rigueur s’affirme.

Angela Merkel enfonce le clou en réclamant une plus grande implication de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui devrait selon elle être en mesure d’exiger des États qu’ils revoient leurs prévisions budgétaires si elles ne sont pas conformes avec le plan de stabilité. Après les foudres de la BCE, les procédure constitutionnelles et les mesures de coercition automatiques, voici venu le temps des Cours suprêmes, aux jugements tout aussi sans appel et à la légitimité démocratique fort éloignée.

On piétine : le plan de sauvetage de la Grèce est mis en péril par des petits pays exigeant des garanties et les hauts fonctionnaires recherchent d’urgence un montage financier tarabiscoté de plus pouvant les offrir sans exclusive. Le Fonds de stabilité financière devrait voir ses missions élargies, mais sans les moyens correspondants. L’émission d’euro-obligations – présentée comme une panacée – est repoussée au jour lointain où les problèmes qu’elle devraient permettre de régler auront été préalablement résolus…

Annonciateur d’un nouvel irrésistible épisode européen, la croissance espagnole vient à nouveau de ralentir, atteignant 0,2 % au deuxième trimestre selon l’Institut national de la statistique. Elle est tirée par la demande extérieure, qui ne compense que partiellement le ralentissement de la demande intérieure. L’emploi continue de décroître et le chômage officiel atteint 20,89 %. C’est le moment que choisit, avant son départ, José Luis Rodriguez Zapatero pour à la fois lancer en urgence une réforme constitutionnelle chargée d’établir une règle d’or du déficit public et de lancer un plan de relance de l’emploi dont les objectifs ne peuvent être que modestes, pour ne pas parler des résultats. La spirale continue d’être descendante.

Au Japon, l’expérience de centre-gauche s’effondre, tandis que le pays s’enfonce. À tort, on ignore la situation du pays, qui continue de s’essoufler et doit faire face à la constante réévaluation du yen en raison de la crise du système monétaire international (SMI) qui s’accélère et dont il est la première victime (après la Suisse). Après les interventions coordonnées des pays du G7, ainsi que les interventions japonaises renouvelées sur le marché des changes, sans succès, le gouvernement vient de décider la création d’un fonds spécial de 100 milliards de dollars, pris sur les réserves de change, destiné à aider les entreprises à investir à l’étranger, afin d’acquérir des entreprises ou des ressources naturelles. La délocalisation de l’industrie japonaise passe à la vitesse accélérée, augurant d’autres problèmes, notamment au niveau de l’emploi, de la consommation intérieure et des ressources de l’État. Parachevant le déséquilibre de l’édifice financier japonais.

Nicolas Sarkozy tente de donner corps à sa présidence du G20 et de relancer la réforme du SMI en tentant de convaincre les Chinois d’accélérer le processus qui pourrait mener à la convertibilité du yuan, puis ensuite à l’adoption d’un panier de devises l’intégrant, pour devenir la monnaie de référence internationale qui graduellement détrônerait le dollar suivant de savantes procédures négociées à mettre en place. L’occasion inespérée d’un swap protégeant les avoirs en dollars chinois. Mais une transition à froid est-elle vraiment réaliste ?

Faute de savoir – si ce n’est dans les mots – comment résoudre l’équation impossible permettant de conjuguer la relance à court terme et la réduction structurelle des déficits à long terme, car les priorités sont en train de changer, les grands stratèges cherchent une sortie monétaire. Et l’on reparle d’une banque centrale mondiale, en filigrane si l’on peut dire, chargée d’émettre cette nouvelle monnaie qui rééquilibrerait le destin du monde. Avec toujours l’espoir insensé de dénicher une solution qui ne soit que monétaire à l’implosion du système financier qui se poursuit, pour continuer d’évacuer l’inconcevable perspective qui dégonflerait l’énorme bulle toujours aussi menaçante : la restructuration globale de la dette.

Il sera ensuite temps de s’attaquer aux racines du mal. De stopper la machine à produire de la dette en redistribuant la richesse, notamment fiscalement, et d’interdire sans autre forme de procès les produits et transactions financières spéculatifs.