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Un traquenard pour Abbas

Par Jeff Halper > icahd@zahav.net.il

mardi 18 octobre 2005

Israel - 17-10-2005

Du point de vue de Sharon, c’est une affaire bouclée. Israël a remporté la victoire dans son conflit centenaire avec les Palestiniens.
Ayant instauré des "états de fait" irréversibles sur le terrain et obtenu la reconnaissance politique américaine d’un Israël élargi, Sharon a juste besoin d’une dernière pièce pour rendre officiel l’Apartheid israélien : soit la signature par un leader palestinien collaborateur d’un accord pour un mini Etat, soit d’une excuse pour l’imposer unilatéralement.

Du point de vue de Sharon, c’est une affaire bouclée. Israël a remporté la victoire dans son conflit centenaire avec les Palestiniens.

A examiner le paysage - physique autant que politique - le premier ministre israélien a finalement rempli la tâche qu’avait entreprise il y a 38 ans Menachem Begin : assurer le contrôle permanent d’Israël sur toute la Terre d’Israël tout en empêchant l’émergence d’un état palestinien viable.

Ayant à sa disposition des ressources illimitées, Sharon a entrepris d’installer d’irréversibles "faits accomplis" qui empêcheront toute sorte de négociations.

Soutenu aussi bien par les gouvernements Likoud que Travailliste, il a supervisé l’implantation de quelques 200 colonies (presque 400 en comptant les "avant postes") sur les terres expropriées aux Palestiniens expropriés de Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza. Aujourd’hui près d’un demi million d’Israéliens vit au-delà des frontières de 1967.

Avec le soutien financier de l’administration Clinton, un système de 29 autoroutes a été construit dans les Territoires Occupés pour intégrer les colonies à Israël.

Simultanément 96% des Palestiniens ont été bouclés dans ce que Sharon appelle "cantons", des dizaines de petites enclaves, privés du droit de circuler librement et maintenant, littéralement emprisonnés derrière des murs de béton deux fois hauts comme le mur de Berlin, avec des issues électrifiées.

Bien que représentant la moitié de la population de la région comprise entre la Méditerranée et le Jourdain, les Palestiniens - y compris ceux qui ont la citoyenneté israélienne - sont confinés dans 15% seulement de cette région.

Pourtant, pour assurer le contrôle permanent d’Israël, il fallait légitimer les "faits accomplis sur le terrain" en faits politiques permanents. La loi internationale définit une occupation comme une situation temporaire qui ne peut être résolue que par les négociations.

Elle interdit à la puissance occupante de prendre toute initiative qui rendrait son contrôle permanent, particulièrement le transfert de sa propre population dans un territoire occupé et la construction de colonies.

Evidemment, la loi internationale tient une puissance occupante telle Israël pour responsable du bien-être de la population civile qu’elle a sous son contrôle. Pour pouvoir contourner la loi internationale et transformer l’occupation israélienne en une réalité permanente, Sharon s’en est remis au seul et unique patron d’Israël pour ces questions, les Etats-Unis qui se sont promptement inclinés.

En avril 2004, l’administration Bush a formellement reconnu les bloc de colonies israéliennes - qu’on appelle par euphémisme "centres majeurs de population" - supprimant ainsi et unilatéralement aux Palestiniens 20 à 30% de leur territoire déjà tronqué et dans lequel ils voulaient établir un petit Etat à eux.
C’est comme si le Mexique demandait à l’Espagne de lui restituer le Texas de Bush.

L’annexion par Israël de ses blocs de colonies a ensuite été approuvée presque unanimement par le Congrès : à la Chambre par 407 voix contre 9, au Sénat par 95 voix contre 3.

Pourtant, Israël a besoin d’un Etat palestinien.

Bien que l’annexion des blocs de colonies donne à Israël le contrôle de toute la contrée située entre la Méditerranée et le Jourdain, Israël a besoin de "se débarrasser" de presque quatre millions d’habitants palestiniens des Territoires Occupés auxquels il ne peut pas plus donner la citoyenneté qu’il ne peut les conserver en servage permanent.

Ce que Sharon voudrait, et ce avec quoi Bush est d’accord, c’est un mini Etat palestinien, rogné, un Bantoustan, un Etat prison sur 10 à 15% de ce pays qui soulagerait Israël de sa population palestinienne tout en le laissant contrôler fermement le pays et ses ressources.

Que nous apprécions ou non la formulation, cela équivaut à un Apartheid déclaré, à une domination permanente et institutionnalisée d’un peuple sur un autre.

Ayant instauré des "états de fait" irréversibles sur le terrain et obtenu la reconnaissance politique américaine d’un Israël élargi, Sharon a juste besoin d’une dernière pièce pour rendre officiel l’Apartheid israélien : soit la signature par un leader palestinien collaborateur d’un accord pour un mini Etat, soit d’une excuse pour l’imposer unilatéralement.

Arafat a refusé de jouer ce rôle. Maintenant c’est au tour du président palestinien Mahmoud Abbas.

Quand, justement cette semaine, le conseiller en stratégie de Sharon, Eyal Arad, a soulevé la possibilité de transformer un retrait unilatéral en une stratégie qui permettrait à Israël de tracer ses propres frontières, le message à Abbas était clair : ou bien vous collaborez ou vous perdrez votre contribution à une solution politique du conflit.

En bref, Sharon prépare un traquenard pour Abbas, une autre "offre généreuse". Ca a bien marché avec Barak, pourquoi ne pas remettre ça, cette fois pour toute la donne ?
Qu’aurait dit Abbas si Sharon lui avait offert Gaza, 70 à 80% de la Cisjordanie et une présence symbolique à Jérusalem-Est ?

Exact, ce n’est ni une solution juste ni viable.

Les Palestiniens seraient confinés dans cinq ou six cantons sur 15% de tout le pays voire moins, sans avoir le contrôle de leurs frontières, de leur eau, et même de leur espace aérien. Jérusalem, maintenant enfermé dans cet énorme "Grand Israël" leur serait refusé, ôtant ainsi le cœur politique, culturel, religieux et économique de tout Etat palestinien.

Israël garderait ses blocs de colonies et 80% de ses colons.
Mais "l’offre généreuse" de Sharon paraît convenable sur la carte et, croit-il, la viabilité n’est qu’un concept trop compliqué pour que la plupart des gens, y compris les décisionnaires , la comprennent.
Mais pour Abbas, ça scelle une situation de non victoire.

Dites "Oui" et vous serez le leader collaborateur qu’Israël cherche depuis tant d’années, celui qui aura accepté un mini état non viable, l’Apartheid.

Dites "Non" et Sharon bondira : "Vous voyez ! Les Palestiniens ont refusé une fois encore une Offre Généreuse ! D’évidence, ils ne veulent pas la paix !".

Et Israël, tiré d’affaires, sera libre d’étendre son contrôle sur les Territoires Occupés dans les années à venir, protégé des critiques par le soutien américain à l’annexion des blocs de colonies.

L’unilatéralisme israélien ne signifie qu’une chose : il n’a rien à offrir aux Palestiniens, rien qui vaille d’être négocié. La Feuille de Route affirme que seule la véritable fin de l’Occupation et la création d’un état palestinien viable verra finalement la fin de ce conflit avec toutes ses implications.

Une véritable solution à deux états risque d’être déjà morte, victime de l’expansionnisme israélien. Une « solution » à deux Etats basée sur l’apartheid ne peut être une alternative acceptable pour aucun d’entre nous. Cependant l’apartheid nous menace une fois de plus. Sharon doit agir vite pour terminer l’œuvre de sa vie avant la fin de son mandat l’année prochaine.

C’est le moment critique. Nous ne pouvons pas nous offrir de détourner notre attention sur un autre problème, aussi important soit-il. Soit, c’est tout de suite une solution juste et viable, soit c’est tout de suite l’Apartheid.

Nous risquons de devoir faire face à la perspective d’un nouveau combat total anti-Apartheid, exactement dix ans et demi après la chute de l’Apartheid en Afrique du Sud.

De mon point de vue, les trois ou six mois à venir nous el diront.

Source : http://www.kibush.co.il/
Traduction : CS pour ISM