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Nour, mon chéri ...

prison de Telmond - lundi 10 octobre 2005 )

lundi 10 octobre 2005

( lundi 10 octobre 2005 )
( Al Faraby )

Pardonne-moi mon fils de t’avoir mis au monde en prison. Ce n’est pas du tout ma faute, ce sont nos bourreaux qui en ont décidé ainsi.
Tu as atteint l’âge de deux ans et tu peux sortir. Tu vas pouvoir connaître d’autres enfants de ton âge et jouer avec eux. C’est important, tu sais. C’est l’une des raisons pour laquelle je suis en prison.
Nos bourreaux ne veulent pas que nous ressemblions à tous les gens, à tous les autres peuples.
Je veux, par mon combat, prouver le contraire.
Je veux, mon chéri, que tu puisses grandir parmi les tiens. Que tu aies des copains et des copines. Que tu ailles à l’école avec eux.
Je veux que tu apprennes notre langue, la culture et les sciences.
Je veux que tu apprennes les lois de la nature et qu’en retour, pourquoi pas, les maîtriser et t’en servir pour bâtir un monde meilleur, pour tous les gens et pour tous les peuples. Il ne faut avoir de la haine envers personne. Le contraire est la volonté de nos tortionnaires.
Quelqu’un a dit que « le bonheur est une idée neuve ». Il a raison.
Je veux que tu apprennes le bonheur.
Tu sors de prison à l’âge de deux ans mais comme tous les autres enfants, il te reste tout à apprendre.
Sauf que toi, tu m’as vue souvent pleurer. Pardonne-moi mon chéri.
C’est l’humiliation subie. Ils m’ont mise nue devant toi. Ils m’ont insultée. Ils m’ont craché dessus. Ils m’ont menottée. Ils m’on torturée. Ils m’ont battue.
Pardonne-moi, car ces scènes, malgré ton jeune âge, ont dû te faire mal.
Ils m’accusent de terrorisme, mais ce n’est pas vrai. Je suis une résistante contre l’occupation. Ils inversent les rôles car ils ont la force de le faire. Ils ont même inventé une justice pour eux et contre nous. Mais cela ne peut durer.
Dehors, tu verras, nous sommes de plus en plus nombreux. Dans quelques années, tu feras partie d’une bande qui lancera des pierres sur leurs soldats. Tu auras raison. Je te demande cependant d’être prudent et de ne pas trop t’exposer. Il arrive qu’ils tirent à balles réelles et qu’ils en tuent un, deux, trois...
Il faut essayer de vivre le plus longtemps.
Dehors, tu verras, ils ont construit un mur. Nous l’appelons le « mur d’apartheid ».
L’apartheid c’est quand on sépare des hommes d’autres hommes. Certains prétendant être supérieurs aux autres. Ils disent être le « peuple élu » par Dieu, que nous sommes des vers de terre et des cafards, qu’il faut nous écraser.
Ils mentent bien sûr. Nous sommes des êtres humains dignes et nous avons toute notre place dans la société des hommes. Nous appartenons à la civilisation universelle. Nous avons notre culture, riche de valeurs dont tu dois être fier.
Dehors, tu verras, tu apprendras à lire et à écrire. Tu apprendras à chanter et à aimer. Tu apprendras la musique, l’histoire, la littérature, la philosophie, les sciences de la nature. Tu apprendras de belles choses. Toutes aussi utiles et nécessaires, les unes que les autres.
Tu apprendras la liberté.
Dehors, tu verras, la vie mérite d’être vécue. Au printemps, les arbres fleurissent quand les fruits sont en gestation. Les orangers, les amandiers, les citronniers, les oliviers, tous sont des arbres de chez nous. Nous sommes un peuple travailleur et notre terre est généreuse.
Dehors, tu verras, ils ont établi des barrages routiers pour nous empêcher de circuler, de nous déplacer, de voyager.
Ils font tout pour nous obliger à ne plus aimer la vie. Alors vois-tu, il faut résister.
Aujourd’hui, tu as deux ans... tu vas pouvoir donc sortir. Tu as la santé fragile, à cause du mauvais lait que je t’ai donné. Pardonne-moi. Mais très vite tu vas récupérer et devenir un enfant fort et épanoui, à cause de la solidarité des nôtres.
Dehors, tu verras, tu as une grande famille, et nous avons de nombreux amis dans les pays du monde entier. Il suffira de dire « je suis Nour, l’enfant né en prison, d’une mère résistante. »
Dehors, tu verras, la Palestine... J’entends la clé tourner dans la serrure. C’est pour toi. Ils viennent te chercher.
Les deux gardiennes sont debout dans l’encadrement de la porte.
« Approche, putain » crie l’une d’elle. L’autre lui arrache l’enfant des bras.
Elle a juste le temps de lui chuchoter à l’oreille : « Nour mon chéri, je t’aime. »

( Palestine occupée, prison de Telmond - lundi 10 octobre 2005 )