Accueil > Rubriques > CAMPAINS - CAMPAGNES > Actualité des initiatives solidaires > De l’alliance nécessaire entre les citoyens et les « politiques (...)

Quand la « Société Civile » hausse le ton

De l’alliance nécessaire entre les citoyens et les « politiques »

Elle est en marche

vendredi 2 septembre 2005

Le défi altermondialiste
publié le jeudi 25 août 2005

Lin Chalozin-Dovrat, Pour la Palestine n°46

La protection des libertés des femmes et des hommes de la Palestine doit concerner aujourd’hui tous ceux qui prétendent que les droits humains leurs sont chers.
Plus le temps passe, plus cette protection devient une nécessité urgente. Plus le temps passe, plus elle touche les affaires très concrètes de la vie, à savoir la vie même. Le nombre de victimes muettes de l’occupation s’accroît tous les jours - il s’agit par exemple de ceux qui ne sont pas tués par des balles et des bombes, mais simplement morts parce qu’ils n’ont pas accès à temps aux services médicaux. Mais il ne faut surtout pas, au nom d’un scrupule statistique, compter les morts et négliger le problème de la dignité des vivants, difficilement quantifiable, ou bien, réduire la Palestine à un projet humanitaire. Car il s’agit d’une affaire bien plus délicate et dont les enjeux transcendent ce que la miséricorde peut nous proposer. Si le monde est devenu l’objet d’une entreprise néolibérale à l’échelle globale, la résistance doit être altermondialiste ; si la Palestine est le laboratoire de l’oppression possible dans le cadre de cette logique de force particulière, à nous de rechercher comment faire de l’altermondialisme un projet réussi.

Et c’est ici que le défi altermondialiste s’impose. En apparence, ça fait 38 ans que les Palestiniens et leurs sympathisants combattent contre l’occupation, et appellent à l’instauration d’un Etat palestinien dans les Territoires occupés. En apparence, presque rien n’a bougé, le combat est long et il faut continuer sur le même chemin. Or, en réalité beaucoup a changé. L’occupation a changé, la Palestine a changé, Israël a changé, et surtout, le monde a changé. Nous avons beau nous complaire dans une esthétique de combat pour la souveraineté nationale, typique du XXe siècle - on n’en est simplement plus là. Nous devons bien évidemment continuer à soulever le drapeau du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un des droits les plus fondamentaux et que la justice le réclame. Mais cela ne suffit pas. Si on n’a rien compris des accords d’Oslo, ce n’est plus possible de fermer les yeux devant la politique de Sharon. Les deux, au même titre, nous racontent l’histoire du monde tel qu’il est, d’un régime global où le discours de l’Etat-Nation est simplement propagé afin d’occulter un commerce destiné à rendre les forts encore plus forts. Si dans notre action et dans notre discours nous continuons à respecter les prémisses déterminées par le capitalisme militarisé, nous allons perdre la bataille, non seulement de la Palestine mais du monde entier. Il faudra alors aspirer à proposer un nouveau discours militant, ajusté aux faits réels du conflit, aux faits réels du monde. Le défi altermondialiste s’impose à propos de l’action commune des Palestiniens, Israéliens et Internationaux progressistes, et il couvre les champs de la compréhension, du discours et de l’action. Je tenterai par la suite de dresser les défis principaux que chacun de ces champs nous présentent.

Compréhension

D’abord, il nous faut approfondir nos connaissances et nos analyses au sujet des enjeux globaux de l’expérimentation qu’Israël et certaines forces de ce monde opèrent en Palestine. Il est temps qu’on mette sur la table les raisons pour lesquelles les grandes puissances nationales et économiques (...) ont intérêt à adopter une politique de laisser-faire. Ensuite, il faudra se défaire de quelques idées reçues qui nous rendent peut-être la vie plus facile, mais nous ne permettent pas de bien faire face à la situation - il est tout à fait vrai qu’Israël pratique à la fois le colonialisme et l’apartheid, mais les analogies avec la colonisation française en Algérie et la politique sud africaine des années 1970 et 1980 sont extrêmement réductrices. Surtout, ces analogies ne nous permettent pas d’affirmer l’une des raisons évidentes pour lesquelles le monde se tait face à l’Etat Juif, à savoir, bien évidemment le fait qu’il soit juif. Elles peuvent être utiles jusqu’à un certain point, mais il me semble qu’elles servent trop souvent un autre objectif - éviter les vrais problèmes que nous devons affronter dans le travail commun avec tous les partenaires. (...) La logique de la force employée dans la région et la destitution d’un peuple entier n’échappent pas à la règle générale. Ce qui implique l’exigence des mesures internationales habituelles - la coercition de la loi internationale pour commencer. En même temps, la différence qu’il peut y avoir entre nos motivations et nos inquiétudes est à travailler en profondeur - nos analyses sont nécessairement divergentes puisque nous voyons le monde à travers des perspectives distinctes, ne serait-ce que parce que nous nous trouvons à des endroits différents, avec une constitution identitaire différente. Ces différences, il faut les respecter et ne pas les réduire ; en même temps, seul un travail commun peut créer un intérêt commun à travers une expérience partagée. Entre nous, nous partageons déjà de telles expériences - c’est notre devoir de les approfondir et les proposer aussi aux autres. Afin de rendre ce projet réalisable, nous devons aussi clarifier quelques points obscurs dans le discours de chaque partenaire, et émettre un discours plus clair au monde, sans qu’il soit unique pour autant.

Discours

Un Etat aux Palestiniens, c’est le minimum. On est d’accord. Alors comment expliquer que le mot « Etat palestinien » n’a plus beaucoup de sens ? Comment expliquer la campagne électorale de Sharon qui a promis aux citoyens de l’Etat d’Israël « Paix et Sécurité » ? At- il simplement menti ? C’est tout a fait probable, mais cela n’explique toujours pas pourquoi aucune institution dans le monde n’a dit à Sharon stop depuis le début du papotage de désengagement. Combattons nous aussi pour la paix ? Pour l’instauration d’un Etat palestinien ? Alors pourquoi opposer Sharon et Bush ? Problème sémantique ? Pas seulement.

En ce qui concerne le retrait de la bande de Gaza, nous ne pouvons plus octroyer aux gens le privilège d’être aveugles ou de ne pas comprendre les enjeux. Tous ceux qui se taisent face à la politique israélienne en espérant que le retrait de Gaza apprendra aux Israéliens à faire la paix n’ont simplement « rien compris ». Il y a bien une esthétique et une idéologie qui soutiennent ce silence impardonnable. On dirait que les gens ont oublié pourquoi nous avons réclamé un Etat palestinien. C’est parce que nous croyons qu’un Etat est le minimum pour pouvoir disposer de soi, c’est-à-dire exercer ses droits politiques et ses libertés individuelles. Or, le mot Etat et même l’expression tant aimée « Etat viable » ne correspondent à aucune des cartes qu’Israël a pu présenter pendant les négociations. A l’époque, on pouvait encore espérer que les cartes seront redressées et redessinées, et que les colonies disparaîtraient par un acte magique. Soit. Aujourd’hui il n’y a aucune force politique en Israël qui compte plus de dixpersonnes et qui serait prête à démanteler les colonies d’Ariel ou de Kiryat Sefer. Bientôt, Maalé Adumim s’ajoutera à cette liste. (...) Israël veut qu’on lui « foute la paix » de faire tout ce qu’il veut. Il ne s’agit pas de confusion dans les termes.

Pendant que cette grande fête de paix prend place, personne ne s’intéresse par exemple à ce qui se passera en Palestine après le retrait de la bande de Gaza. Peutêtre cette manie de l’Etat-nation ne laisset- elle aucune place permettant de s’intéresser aux personnes qui ont le « privilège » de vivre dans ces Etats ? Imaginons que tout se passe au mieux et qu’Israël fixe sa frontière sur la ligne verte (un scénario de science-fiction). Qui se pose la question du sort des Palestiniens de l’intérieur - les Palestiniens citoyens d’Israël ? Pourquoi ne s’intéresse-t-on pas à eux ? Plusieurs raisons - d’abord, toute l’idée de l’Etat-nation est basée sur une séparation ethnique. Ceux-là compliquent alors beaucoup l’histoire, et franchement on se moque de leur sort. Voilà pour ceux qui préfèrent les négociations diplomatiques à l’attachement aux droits politiques. Les démocrates, eux, espèrent que l’Etat israélien se transformera un jour en un Etat au civisme laïc, toutes ethnies confondues et deviendra l’Etat de tous ses citoyens. Pour la plupart des Israéliens il s’agit de leur plus profonde hantise. Et encore, on n’a rien dit du droit au retour... Je me demande parfois si ce n’est justement pas cette angoisselà qui explique le soutien non prononcé de la majorité des Israéliens au projet de colonisation des territoires occupés. Sûrement, le soutien au mur est dû à cela - l’idée même du mouvement national sioniste était de ne plus être minoritaire et de ne pas courir le risque d’être persécuté. Je me demande si le jour qui fait le plus peur aux Israéliens juifs n’est pas celui du lendemain de l’instauration de l’Etat palestinien. Ce jour-là, Israël se trouvera tout seul face à ses problèmes - la division sociale, le manque total de solidarité, un bi-nationalisme de fait, et un multiculturalisme explosif (oblitérés jusqu’alors par le conflit, grâce à Dieu, à l’armée, et un nationalisme efficace). Quatre langues (Hébreu, Arabe, Russe, Amhare), trois religions et qui sait combien de sectes ; chômage débordant, les résultats catastrophiques de la privatisation violente des vingt dernières années, un système d’éducation qui s’écroule et aucun ressource naturelle. Un Etat appauvri et instable à sa frontière et toute une armée à redéployer, des colons énergétiques qui ne sauront plus quoi faire (faute de Palestiniens à battre et de terrains sur lesquels construire quelque chose) et un taux croissant de population terrifiée. L’ex-Yougoslavie pourrait alors verdir de jalousie. Et quoi faire de toute l’expertise militaire qui représente une branche importante de l’industrie israélienne ? Il faudra sûrement mûrir, et faire comme les adultes - inciter les conflits loin de chez soi, et non pas au voisinage.

Les bonnes âmes pour qui l’Etat d’Israël est un fait raciste à la base, avec ou sans occupation, avec ou sans Nakba, sont parfois aussi ceux qui n’aiment pas trop les Arabes chez eux. Car chacun a ses Arabes, et le défi multiculturel ne trouve pas l’Europe dans ses moments les plus glorieux. C’est une autre raison pour laquelle on préfère parler à propos d’Israël du colonialisme et beaucoup moins parler de partage des ressources, des droits humains, de la mobilisation sociale et des personnes en Palestine et en Israël - du comment et de quoi elles vont vivre. On parle des frontières mais on ne parle jamais des droits des travailleurs palestiniens qui continueront à servir de maind’oeuvre exploitée en Israël, on ne parle pas de développement durable, des problèmes de l’environnement ou de la situation des femmes dans la région. C’est peut-être des libertés, du partage des ressources et des droits politiques et culturels qu’il faut parler et des Etats comme le moyen pour les instaurer. Car un Etat palestinien tailladé par des colonies israéliennes, avec une taxation écrasante de tous ses produits et aucune sortie libre au monde, menacé à chaque moment par une super-puissance militaire qui lui dira quoi faire - ça, nous en avons déjà suffisamment dans le monde. Ce n’est pas la peine de combattre pour ça. Proposons alors un autre discours, qui mettra en avant non pas les Etats mais les femmes et les hommes qui y vivent et leur réel pouvoir de mener à bien leurs vies.

© Rabab Khairy
Manifestation lors du FSM à Porto Alègre, en janvier 2005.
Action

La solidarité, c’est nécessaire afin d’agir ensemble, mais ce n’est pas suffisant. Afin de pouvoir proposer au monde un autre projet de vie, il faut aussi avoir l’expérience du travail en commun. Nos réseaux ne nous le permettent pas encore. La campagne excellente de Stop the Wall doit être notre point de départ mais non pas le point final. Il faut trouver les moyens de mieux profiter de nos avantages respectifs, de nos différences de perspectives et de pratiques de travail, tout en aspirant à la création d’une culture de travail commun. Lancer une campagne internationale limitée dans un cadre temporel restreint - disons quelques mois - qui se fixe un objectif et des critères de réussite précis, pourrait nous permettre de développer une telle culture de travail. Chaque mouvement ou ONG décidera sa manière d’interpréter les objectifs et les adaptera à sa structure et à ses modes de travail. Personne ne sera obligé de suivre les prérogatives. Il ne s’agit pas d’instaurer une structure parapluie mais de donner un sens pratique à l’idée d’une communauté internationale solidaire.

Imaginons que durant trois à quatre mois tous les cadres d’action variés dans le monde réclameront une seule et même chose - le démantèlement de certains barrages ou la coordination du retrait de Gaza avec la Palestine et la mise au point des conditions minimales pour que ce territoire soit véritablement gouverné par le régime local ou n’importe quel autre objectif sur lequel nous nous déciderons ensemble. Tout en gardant nos objectifs à long terme et nos exigences pour la fin totale de l’occupation et pour l’application de toutes les décisions internationales, il me semble qu’une campagne précise pourrait nous donner un nouveau souffle et nous obligerait à faire connaître le réseau international à ses propres militants et aux puissances mondiales. Il s’agit non seulement de regrouper nos ressources afin de maximiser leur impact mais aussi de pratiquer à l’échelle globale une expérience réelle d’une coopération altermondialiste. Pour nous, militants en Israël et en Palestine, cela est à l’ordre du jour car il est temps de nous réveiller de cette illusion dangereuse selon laquelle nous serions dans une réalité binaire, telle que présenté dans le mot même de « conflit israélo-palestinien ». Cela n’a jamais été un conflit binaire, et cette conception qui n’a aucune prise historique, économique ni même identitaire sert les pires passions et se rend utile aux pires tournures rhétoriques. Faire face à la réalité mondiale veut dire aussi, en quelque sorte, adopter une conscience mondialiste et laisser derrière soi quelques notions identitaires nationalistes. Moi, j’habite en Israël et ma langue maternelle est l’Hébreu. Cela ne veut pas dire que je n’agis que comme une Israélienne et que je le fais que pour les citoyens de l’Etat d’Israël. Il est temps de positionner l’identité nationale à sa juste place, c’est-à-dire une parmi une multitude indéfinie d’autres. Je peux aussi agir en tant que féministe, en tant qu’altermondialiste, en tant que linguiste qui aime écouter Oum Kalsoum et de l’Acid-Jazz scandinave, en tant que juive laïque, ou en tant qu’amie de Youssef, mon voisin de quartier à Jaffa, avec qui je partage les blagues et les intérêts particuliers (politique, potins, culture...). Concevoir le monde comme un réseau, cela ne veut pas dire renoncer à la dimension locale de notre vie. Cela signifie simplement que nous vivons dans un même système écologique. En faisant face aux dégâts de la globalisation du pouvoir, nous devons considérer que ce qui se passe en Palestine aussi bien qu’ailleurs est notre affaire personnelle. C’est là un message que le monde aura peut-être plus de mal à ignorer. -

Lin Chalozin-Dourat est une jeune militante israélienne anticolonialiste