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Non information, désinformation, manipulation

Les colons de l’apartheid

L’essentielle responsabilité des médias

jeudi 28 avril 2005

Entretien avec Amira Hass, journaliste au quotidien israélien Haaretz

publié le dimanche 24 avril 2005

La réalité qui est en train de se créer est une réalité d’apartheid.

Q. Pouvons-nous dire que la seconde intifada est finie ?

AH. Ce que je peux affirmer, c’est qu’elle n’a obtenu aucun résultat substantiel. L’échec de cette intifada, nous l’avons devant les yeux : l’activité de colonisation israélienne de la Cisjordanie continue et est en train de s’accélérer. C’est le principal critère pour juger cette révolte. Sept mille Juifs seront évacués de Gaza mais le gouvernement israélien a programmé la construction de 6.000 nouveaux logements en Cisjordanie pour 30.000 personnes. L’intifada, comme désir et droit des Palestiniens de mettre fin à l’oppression et à l’occupation militaire israélienne, n’est cependant pas morte. Il y a eu la première, et puis la seconde, peut-être suivra une troisième.

Q. Les armes se taisent mais personne ne parle de paix...

AH. Observons les politiques israéliennes : indiquent-elles qu’il y a des progrès en direction de la paix ? Absolument pas. Au contraire. Mais il y a aussi une question qui me taraude : jusqu’à quel point pouvons-nous critiquer la partie opprimée, comme je le fais ? Certains me disent que c’est une attitude colonialiste. Je réponds que si je le fais, c’est en tant de femme de gauche et parce que je vis parmi les Palestiniens. Dans cette seconde intifada, les Palestiniens n’ont pas utilisé les armes dans la forme traditionnelle de la guérilla, ils ont eu recours aux attentats terroristes à l’intérieur d’Israël, une tactique qui a complètement obscurci la vraie situation de domination israélienne sur la population palestinienne. Mais ce n’est pas l’utilisation des armes qui caractérise l’existence, ou au contraire l’absence, d’une résistance.

Q. Mais quelle résistance populaire est possible sous cette occupation ?

AH. Il y a déjà une résistance populaire palestinienne et elle est permanente. C’est la capacité et l’insistance de la part des Palestiniens de vivre le plus normalement possible sous le régime de restrictions imposé par l’armée d’occupation : la violation des couvre-feu, les parents qui continuent malgré tout à envoyer leurs enfants à l’école, les ouvriers qui font tout pour rejoindre leur travail. Le problème est que les Palestiniens n’ont en ce moment aucun dirigeant capable de transformer cette grande capacité d’adaptation en résistance.

Q. « Demain, ce sera pire ». Pourquoi le titre de votre dernier livre est-il si pessimiste ?

AH. D’un côté il me semble approprié par rapport au cours des événements, de l’autre c’est une invitation au lecteur à faire tout pour que ma prévision se révèle erronée ; Israël est en train de créer de nouvelles formes de domination des Palestiniens alors que l’on parle de la possibilité d’une relance du processus de paix. Les médias qui contribuent à donner cette impression ont une grande responsabilité dans l’aggravation de la situation parce qu’ils décrivent une réalité qui est à exactement le contraire de ce qui se passe sur le terrain. Ils contribuent alors à faire que rien ne change en mieux. La colonisation de la Cisjordanie et la forme d’apartheid qu’Israël est en train de créer, c’est cela la réalité.

Q. Haaretz estime que le plan de retrait de Gaza est un fait positif parce qu’il porte un coup sévère au mouvement des colons.

AH. Nous sommes en train de parler de 7.000 Juifs qui contrôlent 20% de la bande de Gaza pendant que 1.200.000 personnes se voient imposer une série de restrictions qui rend leur vie invivable. Quand on parle du dit « désengagement », c’est comme si on parlait de quelque chose qui atténuera cette terrible injustice. Or, maintenant le même phénomène, d’une minorité d’Israéliens qui soumet à de terribles conditions de vie une majorité de Palestiniens, se poursuivra et s’étendra en Cisjordanie. Je crois que Sharon a fait clairement comprendre que le retrait de Gaza est un prétexte pour continuer la colonisation et l’occupation de la Cisjordanie. On est en train de créer en Cisjordanie des enclaves palestiniennes séparées et de riches implantations juives liées à Israël par un système d’excellentes routes. La réalité qui est en train de se créer est une réalité d’apartheid. Si j’écris tout ceci, ce n’est certainement pas pour autant parce que je voudrais que les colons restent à Gaza.

Q. Comment une journaliste israélienne qui dit tout cela est-elle jugée en Israël ?

AH Une partie des Israéliens me considèrent comme une « traître », d’autres me lisent avec intérêt et se sentent solidaires dees opinions que j’exprime, ces derniers me perçoivent comme une sorte d’ambassadrice d’un autre Israël.

Q. Vous avez la possibilité de voir le mur des deux côtés. Comment le voyez-vous-vous d’un côté, et de l’autre ?

AH. Vu côté palestinien , le mur représente une série de désastres personnels et collectifs : des gens qui perdent leur terre, leur maison, sont séparés de leur propre famille, une barrière de plus qui impose des restrictions aux déplacements. Du point de vue israélien, c’est le témoignage d’un état de panique, d’hystérie collective. Les autorités israéliennes ont utilisé une sensation de peur diffuse parmi les citoyens ; une série de peurs individuelles a été présentée comme une menace stratégique pour Israël. Mais c’est un mensonge parce que les attentats-suicide ne sont en aucune manière une menace stratégique pour l’Etat juif, Etat doté d’armements nucléaires. Le Mur a contribué à bloquer les kamikazes, mais il a été construit de manière à faire partie intégrante d’une politique de colonisation, et c’est pour cela qu’il doit être enlevé.

Q. On parle beaucoup d’apartheid pour définir les politiques israéliennes. Etes-vous d’accord ?

AH. Ce à quoi nous sommes en train d’assister est à la fois une occupation militaire, un processus de colonisation et un processus d’apartheid dans tout le pays, tandis qu’il y a une démocratie pour les Juifs, ce qui semble un oxymore, mais c’est la réalité. Un ensemble dangereux car le monde semble se désintéresser de ce qui est en train de se passer, contrairement à ce qui s’est passé pour le régime d’apartheid en Afrique du Sud qui a rencontré l’opposition toujours plus forte de la communauté internationale. D’autre part, Israël, à la différence de l’Afrique du Sud, doit être vu comme une conséquence historique de la persécution des Juifs en Europe et de l’Holocauste. Alors que l’Afrique du Sud en tant qu’Etat raciste n’a eu aucune légitimité dès sa création, on ne peut pas dire la même chose du concept d’Israël en tant qu’Etat qui garantit les pleins droits aux citoyens juifs mais non à la minorité (20% de citoyens palestiniens). Ceci ne signifie évidemment pas qu’Israël est autorisé à rester un Etat qui discrimine une partie de ses citoyens.

Cet article « I coloni dell’apartheid » a été publié dans l’édition du 6 avril du quotidien italien Il Manifesto