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« Si la frustration succède à l’espoir, la colère reviendra vite »

Interview de Leila Shahid à « La Voix du Nord ».

lundi 21 février 2005

Entretien avec Leilah Shahid, déléguée générale de la Palestine en France

« Si la frustration succède à l’espoir, la colère reviendra vite »

- Après le sommet de Charm el-Cheikh, on évoque une nouvelle page des relations israélo-palestiniennes...
« Charm el-Cheikh n’est pas un moment historique, mais une phase très modeste. La preuve en est que la seule décision prise, un cessez-le-feu mutuel, n’a même pas pu faire l’objet d’un texte commun. Ce sommet se limite principalement à une reprise de contact, qui donne lieu à une déclaration d’intention, à un retour à un processus de paix. Nous n’avons même pas pu élaborer un calendrier précis, les Israéliens ne l’ont pas voulu.
Pourtant, les réunions bilatérales préparatoires que nous avions eues avec des officiels israéliens, et notamment avec le ministre de la Défense, Shaoul Moffaz, permettaient d’espérer plus qu’une réunion sécuritaire. Finalement, nous n’avons avancé ni sur les questions politiques, ni sur la feuille de route.
 »
- Les deux hommes se sont tout de même serré la main. Ne donnez-vous pas ainsi raison aux Israéliens qui dénonçaient Yasser Arafat comme principal obstacle à la paix ?
« L’important, pour nous, c’est ce que pensent les Palestiniens. Mes compatriotes ont demandé à Mahmoud Abbas d’arrêter la lutte armée pour donner une nouvelle chance à la diplomatie. Mais rien n’est changé. Le président palestinien reprend et défend les mêmes revendications que son prédécesseur- un État palestinien à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem - face à l’interlocuteur concerné : Ariel Sharon. »
- Quelles mesures permettraient à M. Abbas de transformer ce cessez-le-feu en trêve définitive ?
« M. Abbas a été élu en promettant aux Palestiniens d’améliorer leurs conditions de vie quotidienne. Si Sharon lève le bouclage des villes palestiniennes, si la population peut de nouveau circuler, si les assassinats contre les personnes recherchées cessent, si un nombre significatif de prisonniers politiques - il y en a 8000 - sont libérés, la situation évoluera. Ceci doit s’opérer très vite, sinon la trêve ne tiendra pas. Nous n’avons pas avancé depuis Charm el-Cheikh. Israël propose de libérer 500 Palestiniens qui sont presque tous des travailleurs clandestins en fin de peine, mais aucun politique. Le retrait de Jéricho est une pure supercherie puisque cette ville est la seule qui n’aie jamais été occupée par Tsahal. Tout ce qui est différé par les Israéliens fragilise la position de M. Abbas. Si on laisse l’espoir succéder à la frustration, la colère reviendra très vite. »
- Souhaitez-vous que le retrait de Gaza demeure une mesure unilatérale israélienne ?
« Nous avons dénoncé ce plan dès le premier jour, car il s’agit d’une mesure de dupe. M. Sharon veut ainsi enterrer la création d’un État palestinien. Nous avons donc accepté d’entrer dans la négociation, avec l’aide de la communauté internationale, pour améliorer les conditions du retrait israélien. Aucune autorité nationale ne peut refuser d’assumer la responsabilité d’un territoire évacué par une armée d’occupation, mais nous posons des conditions. La première est que ce retrait entre dans le cadre de la feuille de route et qu’il soit suivi de l’évacuation de la Cisjordanie. La deuxième est qu’il s’organise en coordination avec l’autorité palestinienne pour que nous assumions l’espace et les structures que les colons laisseront et que nous prenions le contrôle de toutes les frontières, afin que Gaza ne devienne pas une immense prison à ciel ouvert. »
- Le Hamas remporte actuellement les scrutins municipaux. Peut-il gagner les législatives de juillet ?
« Qui peut être surpris par l’influence du Hamas ? Pendant quatre ans Sharon n’a eu de cesse de saper les forces laïques de la société palestinienne.
Le score du Hamas, en juillet, dépendra des résultats des négociations. Chaque fois que Sharon ne tiendra pas un engagement négocié, le Hamas progressera.
Si on en reste là, les islamistes peuvent devenir hégémoniques au Parlement. Si les choses progressent de manière significative, le Fatah restera majoritaire, dans une société qui n’est pas particulièrement religieuse. »
- Après quatre ans d’Intifada, ne faut-il pas envisager d’autres méthodes de négociation que celles d’Oslo ?
« Si, absolument. Nous ne voulons plus d’accord intérimaire de paix qui entraîne des statu quo interminables. La population palestinienne n’a plus confiance dans les périodes intérimaires. De 1996 à 1999, les Israéliens ont multiplié les colonies sous couvert du processus de paix, et cela a provoqué la seconde Intifada. Il faut très vite appliquer la feuille de route et s’acheminer vers le statut final. »
Propos recueillis par
J.-F. GINTZBURGER