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Tant mieux car pour ce qu’elle nous débite comme fadaises et autres contre-vérités ! (ndlr)

Presse : l’uniformisation tue !

Vendredi, 2 septembre 2011 - 7h03 AM

vendredi 2 septembre 2011

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Elie Arié - Tribune | Vendredi 2 Septembre 2011 à 05:01

Gratuité sur Internet, dictature de la rapidité, concurrence : le ralliement général, plus ou moins conscient, de la presse papier à l’idéologie libérale conduira à leur perte, regrette Elie Arié qui pense que les derniers refuges de la pensée seront les livres politiques. Enfin, jusqu’à ce que le livre numérique ne les remplace à son tour....

La presse papier est appelée à mourir ; même si elle fait semblant de croire à son avenir, elle s’est suicidée en créant des sites Internet où elle est gratuitement accessible ; l’époque pourtant encore relativement récente où l’on ne pouvait se passer de la lecture quotidienne de « son » journal et où l’on parcourait deux kilomètres sous la pluie pour trouver un kiosque encore ouvert ne reviendra plus.

En ce temps-là, Le Figaro était de droite, L’Humanité était communiste (quel sens peut encore avoir ce terme pour ses lecteurs d’aujourd’hui, et combien d’entre eux sont-ils encore partisans de la « nationalisation de tous les moyens de production et d’échange » ?) , Le Monde acceptait, en toute modestie, le qualificatif de « journal de référence » avec ce que cela impliquait de devoir de révérence... Que tout ceci semble lointain ! Car le ralliement général, plus ou moins conscient, à l’idéologie libérale a rendu ces distinctions artificielles.

Certains se souviennent peut-être de l’indignation et de l’incompréhension provoquées, en 1988 par le passage du journaliste Franz-Olivier Giesbert de la direction de la rédaction du Nouvel Observateur, hebdomadaire à l’époque de gauche, à celle du Figaro, quotidien alors de droite : un journaliste politique n’était-il donc qu’un technicien de l’écriture de l’information, dont les articles pouvaient être indifféremment publiés dans n’importe quel organe de presse, indépendamment de son orientation idéologique ?

La fin du choc des idéologies a aujourd’hui répondu à cette question par l’affirmative et banalisé le phénomène : n’importe quel journaliste de la presse écrite, parlée ou télévisée passe indifféremment, du jour au lendemain d’un organe d’information à un autre, sans que la « ligne » de celui qu’il quitte ou de celui qui l’accueille en souffrent, dans un chassé-croisé permanent au rythme de plus en plus endiablé.

L’autre phénomène majeur, dans ce qu’on appelle anachroniquement la « presse », écrite, parlée ou télévisée (mais dont le support unique est de plus en plus Internet) est celui de la contrainte de la rapidité en tant qu’impératif prenant le pas sur tous les autres : pour attirer des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs, un site d’information ne peut plus se permettre de prendre du retard sur ses concurrents. Et ce qui est devenu une condition absolue à sa survie a fait disparaître tout ce qui en faisait la valeur et l’intérêt : la longue enquête de plusieurs mois, la confirmation des faits, la vérification et la pluralité des sources, la consultation avant publication d’un spécialiste du sujet, la critique des témoignages, l’exposé des théories explicatives divergentes, etc., devenus trop chronophages.

L’information est ainsi enfermée dans une contradiction paradoxale et suicidaire : prendre du retard sur les autres, c’est disparaître ; mais dire à peu près la même chose qu’eux sans avoir le temps d’approfondir, c’est perdre tout intérêt et également disparaître ; rien ne s’oppose donc plus à la fusion de tous les sites d’information, dont le contenu est de plus en plus semblable, en un site unique, avec les économies d’échelle que permettra cette réorganisation… Contrairement à ce que prétend la théorie économique libérale, la concurrence conduit souvent à l’uniformisation.

Internet entraîne, par ailleurs, un phénomène nouveau : celui du « tous journalistes ! », puisqu’il ne s’agit plus que de savoir écrire dans un certain style particulier, sans aucune formation technique spécifique ; ainsi, les sites des quotidiens les plus réputés pour leur sérieux et leur fiabilité s’enrichissent-ils ( ?) de plus en plus d’articles de « blogueurs », simples particuliers qui s’imaginent qu’il suffit d’éprouver le besoin d’écrire quelque chose pour que cela mérite effectivement d’être publié et porté à la connaissance de tous ; et le journalisme cède progressivement la place à un Café du Commerce mondialisé dans lequel chacun se complaît à s’écouter parler sans prêter beaucoup d’attention à ce que disent les autres, le néant vertigineux du niveau d’ensemble étant encore aggravé par les « forums » des commentaires aux articles (imposés par la nécessité commerciale de compter un maximum de visites du site), défoulement général à l’abri de l’anonymat de pseudos, mettant fin à la notion d’engagement public personnel et de prise de responsabilités, équivalent des lettres anonymes des corbeaux de village d’autrefois, et que Michel Onfray a justement qualifié de « littérature de vespasiennes » en démontrant la similitude des tristes ressorts psychologiques qui les déterminent tous deux.

On pourrait se consoler en espérant que resteront, comme derniers refuges de la pensée, les livres politiques ; malheureusement, tout laisse à penser que le livre numérique remplacera progressivement le livre-papier ; et que, tout comme les articles des sites Internet des grands organes d’information, il sera de plus en plus envahi de vidéos, mettant ainsi fin à la spécificité de l’écrit, qui ne se borne pas à « transmettre des faits » et dont la nature propre est différente de celle de l’image et du son (ce qui, notons-le au passage, entraînera aussi la fin de la littérature…).