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Merci à Jean-Claude Lefort de sa persévérance

Intervention de JC Lefort à l’Assemblée nationale

vendredi 23 juin 2006

vendredi 23 juin 2006

Débat du 21 juin 2006

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers Collègues,

« Combien de temps le monde acceptera-t-il cette tragédie du Proche-Orient qui broie des vies et des peuples, qui nuit au développement et à la stabilité d’une région par ailleurs essentielle pour la sécurité de tous ?...

Il est indispensable que la communauté internationale assume ses responsabilités. Qu’elle constate les résultats désastreux de son inaction et s’affranchisse de ses fausses prudences.

Qu’elle dise enfin et sans ambages que le terrorisme et la négation de l’autre sont condamnables et doivent être combattus sans faiblesse, mais que l’occupation, la colonisation, sont inacceptables et doivent cesser. Qu’elle refuse enfin la politique des préalables, qui fait le jeu toujours des extrémistes et des terroristes...

Les termes d’un règlement juste et durable sont connus. Il faut maintenant avancer. Car la paix est possible. Le monde ne peut plus attendre le bon vouloir des uns ou des autres. Pour y parvenir, nous devons encourager, voire imposer la reprise d’un processus de négociation entre les parties. Pour donner toutes ses chances à la paix, une présence internationale est indispensable. La France et l’Europe sont prêtes à y contribuer. »

C’est ainsi, mes chers collègues, que s’exprimait le Président de la République, Jacques Chirac, devant la conférence des Ambassadeurs, en août 2004. C’était en août 2004 et les questions actuelles ne se posaient pas.

C’était des paroles justes et fortes mais ces paroles n’ont pas connu le moindre commencement d’application.

Et aujourd’hui ? Aujourd’hui nous sommes face à un chaos. Et la communauté internationale a pris parti : elle a pris le parti de l’unilatéralisme mortifère des autorités israéliennes qu’elle a assorti de sanctions terribles et inadmissibles contre le peuple palestinien.

Désormais, c’est l’occupé qui est devenu le coupable. Et on le frappe.

L’occupant refuse toujours clairement le droit international et veut imposer une politique unilatérale, et c’est l’occupant qui est encensé. Ainsi M. GW. Bush considère que le Plan Olmert est « audacieux » et l’encourage vivement à le mettre en œuvre. Mais il n’est pas seul. Ainsi la Commissaire Benita Ferrero-Waldner vient-elle tout juste de déclarer, au nom de l’Union européenne, que le plan de M. Olmert constituait, je cite « un pas en avant très courageux ».

La lecture des événements douloureux que connaît le Proche-orient est désormais tragiquement inversée. Les conséquences sont désormais présentées comme les causes.

Ainsi la victoire du Hamas, obtenue au terme d’élections parfaitement démocratiques, est-elle présentée comme la cause de la crise alors que c’est le contraire qui est vrai : c’est la crise, c’est le conflit sanglant qui dure depuis 40 ans, qui est à l’origine de ce résultat.

Ainsi encore c’est le terrorisme, condamné par tous ici, qui est présenté comme la cause des événements actuels tandis que c’est l’occupation israélienne qui est la cause du terrorisme lequel malheureusement ne date pas de janvier.

Cette inversion des termes porte en elle de très lourdes conséquences concrètes - des conséquences humaines, sociales, institutionnelles et politiques pouvant, de toute évidence, conduire à approfondir un redoutable chaos dans les territoires palestiniens. Un chaos qui ne débouchera jamais sur la paix et la sécurité pour aucun des deux peuples.

Et la communauté internationale, dont c’est pourtant le rôle de maintenir ou de rétablir la paix, selon le chapitre VII de la Charte des Nations unies, ne fait rien - ou plutôt si : elle pousse, sans état d’âme, dans cette voie meurtrière.

Je prendrai deux exemples d’actualité pour appuyer cette affirmation.

Tout d’abord parlons de la suppression de l’aide aux Palestiniens. Cette suppression qui a été votée par la France au Conseil affaires étrangères en avril dernier, est - nous dit-on - aujourd’hui annulée. Pourquoi cette décision de suspendre ? Parce que le peuple palestinien a voté, certes démocratiquement, mais il n’a pas voté comme il fallait !

A ce titre on devrait couper toute aide avec grand nombre de pays arabes voisins, sans compter les Emirats et autres Royaumes. Mais cela n’est venu à l’idée de personne... Curieux, si j’ose dire !

Mais surtout, ce que je veux souligner, c’est que contrairement à ce qu’on a affirmé l’aide européenne n’est pas rétablie dans sa totalité. Loin s’en faut. Il en manque la moitié, notamment ce qu’on appelle l’aide directe. Et l’aide bilatérale est toujours suspendue.

Le manque est proche de 350 millions d’euros. Et les fonctionnaires palestiniens qui font vivre plus d’un million de personnes ne seront donc toujours pas payés.

Quant à l’argent des droits de douane qui appartient en propre aux Palestiniens - c’est-à-dire 50 millions de $ par mois - les autorités d’Israël se refusent purement et simplement de les verser dans le mécanisme mis au point.

Cette fois c’est du vol pur et simple, et personne ne dit et encore moins ne fait.

C’est la première et ferme exigence qu’il convient de faire entendre depuis cette tribune : il faut que l’Union européenne verse toute son aide directe et indirecte et il faut que repartent les aides bilatérales, en particulier celles de la France qui n’a besoin d’aucun feu vert pour cela.

Elle doit montrer l’exemple sous peine de participer à ce qui est qualifiable de « non assistance à peuple en danger » et à perdre encore de son crédit dans la région !

Deuxième exemple d’actualité : on pose trois conditions au Hamas pour reprendre des relations avec lui.

Notons tout d’abord que le Président Mahmoud Abbas s’y emploie avec intelligence et constance en prenant comme base le « plan des prisonniers ». On devrait s’en réjouir mais non, les autorités israéliennes le tournent en dérision.

Cela dit, ces trois conditions posées - à savoir la reconnaissance d’Israël, la fin du terrorisme, les Accords d’Oslo - sont légitimes. Mais pourquoi donc ne pose-t-on pas les mêmes conditions au gouvernement israélien ?

M. Olmert veut, avec un mur honteux condamné par la Cour internationale de justice, annexer plus de 50% de la Cisjordanie. Il ne reconnaît donc pas le droit à l’existence d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 ! Et que dit la communauté internationale ? Rien ! Ou plutôt si : c’est « audacieux », dit M. Bush, c’est « un pas en avant » dit l’Europe !

M. Olmert annexe totalement Jerusalem. Et que dit la communauté internationale ? Rien ou plutôt si : deux entreprises françaises participent à l’opération alors que notre Etat a le devoir de faire respecter le droit international par ses ressortissants, en particulier les Conventions de Genève !

M. Olmert procède à des exécutions extrajudiciaires et à des bombardements de civils, notamment à Gaza comme on l’a vu récemment. Et que dit la communauté internationale devant ce terrorisme d’Etat et ces crimes de guerre ? Elle fait parfois part de son émotion et appelle à la retenue. Mais rien. J’ai demandé que la France exige la mise en place à l’ONU d’une commission d’enquête internationale suite aux massacres de la plage de Gaza. Mais rien d’autre.

Pour l’assassinat de Rafic Hariri nous l’avons fait et obtenu ainsi que dans bien d’autres cas encore. Mais là, non ! On ne fait que « déplorer » ce massacre. La politique française a décidément changé d’orientation au Proche-orient.

M. Olmert indique sa volonté de procéder à un désengagement unilatéral et limité. C’est en totale contradiction avec les accords d’Oslo qui donnaient le primat à la négociation bilatérale. Il en va de même pour l’opération menée à Jéricho qui se trouve en territoire palestinien tout comme son refus absolu d’accorder la souveraineté aérienne, territoriale ou maritime à Gaza qui est aussi un territoire palestinien. Et que dit la communauté internationale ? Rien ou plutôt si : l’Europe se refuse de mettre en œuvre l’article 2 de l’accord d’association qui le lie avec Israël qui pourrait être invoqué du fait notamment de son non versement des sommes palestiniennes.

Et pire encore, au Luxembourg tout dernièrement, de nouveaux accords ont été signés avec Israël. Je pourrai continuer.

Mais sur ce premier point je formulerai trois demandes expresses.

Tout d’abord je demande fermement que l’Union européenne rende public le rapport de ses diplomates et Chefs de poste à Jérusalem et à Ramallah et qu’elle suive leurs recommandations. Pourquoi ce refus de rendre public ce rapport ?

Secondement, je demande l’application pleine et entière de tous les considérants contenus dans l’accord d’association Europe Israël pour les raisons indiquées. Je rappelle que dans cet accord d’association il ne s’agit pas d’aide mais de relations commerciales privilégiées.

Troisièmement, les conditions posées au Hamas sont à poser à M. Olmert à l’identique. Il convient que chacun se plie aux mêmes conditions. Pas un côté seulement. La France peut prendre une initiative en ce sens avec tout pays ou groupe de pays disposés.

Enfin, et c’est ma seconde série de remarques, tout cela ne doit pas nous éloigner ni nous écarter de la solution politique qui passe par un accord de paix conforme au droit et à la justice.

L’histoire tragique de cette partie du monde met en évidence deux aspects.

Tout d’abord, dire ou laisser croire que la solution politique passe uniquement par les deux protagonistes, c’est, qu’on le veuille ou non, vouloir que le conflit perdure. Sans intervention extérieure, pas de solution, pas d’issue pour aucun des deux peuples.

Et second point évident : en rester à des accords partiels, intérimaires ou autres, c’est aussi à coup sûr placer la paix entre des mains hostiles.

C’est pourquoi, les conditionnalités évoquées réciproques et non plus unilatérales évoquées plus haut étant remplies, l’heure est à l’organisation et à la négociation d’un accord global, accord global qui était à deux doigts d’être conclu à Taba, en janvier 2001.

Il faut commencer par les fins.

Si nous ne négligeons pas les accords d’Oslo ni la « Feuille de route », force est de constater aujourd’hui que cette dernière est dépassée. Au terme du processus qu’elle déclinait, et pour lequel rien n’a été fait, un Etat palestinien devait voir le jour fin 2005.

La communauté internationale ne peut se cramponner à un texte dont les objectifs n’ont pas été atteints. Il faut bien qu’elle en rediscute.

C’est pourquoi nous demandons l’organisation d’une Conférence internationale sous l’égide de l’ONU avec tous les pays concernés afin qu’on débouche enfin sur un vrai plan global de paix. Et qu’on ne nous dise pas, pour se résigner ou pire s’aligner, que les USA poseront leur veto.

Il est une jurisprudence constante établie en 1950 à l’ONU : en cas de blocage durable et constaté du Conseil de sécurité alors on peut en appeler à l’Assemblée générale. Cette procédure a été utilisée dix fois depuis 1950. Il n’est donc pas exact ni conforme au droit d’affirmer que le veto américain est insurmontable. Il faut certes qu’une volonté politique s’affirme. Ardemment et instamment, nous vous le demandons.

Nous vous demandons que notre pays soit la pointe avancée de la recherche indispensable pour les deux peuples de la paix au Proche-Orient. Loin d’isoler la France, une telle politique lui vaudrait des soutiens accrus dans le monde.

Il faut nous écouter et nous suivre, monsieur le ministre, car sinon à quoi vaudrait ce débat s’il débouchait sur rien ?

Nous vous avons dit clairement notre mécontentement de la politique française et européenne mais aussi notre croyance positive si la France s’engage enfin dans un autre chemin - le chemin qui mène enfin à la paix !

Bref, et en un mot, nous vous demandons que la France reste fidèle à la France !

Jean Claude Lefort est député communiste du Val de Marne