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L’Europe colle............comme un chewing-gum à la politique des USA au Moyen-Orient

Interview Marianne Blume, enseignante à Gaza.

par Chris Den Hond

samedi 17 juin 2006

"Je n’ai rencontré aucun Palestinien même parmi les partisans du Fatah qui dise que le Hamas doit reconnaître Israël sans condition."
"Les Palestiniens veulent la paix, mais les négociations doivent se faire sur une autre base".

Interview par Chris Den Hond pour la télé kurde ROJ TV et le mensuel La Gauche (Belgique) (juin 2006)

Marianne Blume : Suite à la victoire du Hamas, considérée comme une organisation terroriste, l’Europe a décidé, après les Etats-Unis, de suspendre les aides à l’autorité palestinienne. Actuellement, si le quartet demande au Hamas de reconnaître Israël, les accords conclus précédemment et de cesser la violence, on ne demande absolument rien à Israël : ni d’appliquer les avis de la Cour International de La Haye, ni de signer et d’appliquer la 4ème Convention de Genève, ni d’arrêter la violence. Il y a donc manifestement une politique de deux poids, deux mesures. Tout cela sous le prétexte de ne pas entraver le processus de paix. Or ça fait maintenant longtemps que la « feuille de route » a disparu de l’horizon politique. La preuve, c’est qu’on demande à Hamas de reconnaître Israël mais qu’on ne demande absolument pas à Israël de reconnaître un Etat palestinien.

Il est absolument clair que l’Union européenne suit les Etats-Unis. Je reprendrai une phrase de Véronique Dekeyser (députée européenne pour le PS), qui dit : « On est au bord de la guerre civile en Palestine, les administrations s’effondrent, l’image et la politique de l’Union européenne collent comme un chewing-gum à la politique nord-américaine. » Je pense que pour l’instant l’Europe n’est pas capable de mener une politique indépendante.

Le Hamas n’a pas été élu sur un programme religieux ou d’attentats. Le Hamas a essentiellement été élu sur un programme de lutte contre la corruption et de restauration de la bonne administration. Malheureusement, en effet, une partie de l’administration du Fatah était corrompue. Le Hamas a aussi été élu dans l’idée que toutes les concessions que le Fatah a faites à Israël n’ont rien donné. Non seulement il n’y a pas de paix mais la situation économique et sociale a empiré. Les gens veulent un accord de paix - c’est la volonté de toute la population palestinienne - mais sur d’autres bases. Si aujourd’hui on refuse un dialogue avec le Hamas, on refuse de discuter avec ceux que les Palestiniens ont élus démocratiquement, avec ceux qui représentent les Palestiniens. Alors, tous terroristes ? Moscou a une autre vision. Moscou dit qu’on peut discuter et essayer d’avancer avec le Hamas. Je ne pense pas qu’en faisant cette pression économique et en poussant les gens au désespoir, on va faire fléchir le Hamas, ni même la population.

J’étais à Gaza il y a deux semaines. Si les gens se plaignent sur la situation économique, si tout le monde est un peu désespéré, je n’ai rencontré aucun Palestinien, même parmi les partisans du Fatah, qui dise que le Hamas doit reconnaître Israël sans condition. Les gens ne sont pas prêts à cela. On demande aux Palestiniens de faire encore des concessions, on ne demande pas à Olmert de cesser ses plans unilatéraux, on trouve cela normal. On demande au Hamas de ne pas avoir un discours de violence, on ne demande pas lors des élections israéliennes à un Liebermann de prouver qu’il n’était pas raciste, qu’il n’est pas pour un transfert forcé des Palestiniens. On ne demande même pas à tous les partis en lice de reconnaître un Etat palestinien ! Il y a réellement deux poids, deux mesures.

Du côté du Hamas, on a tout de suite dit qu’on était contre tout système qui contournerait les institutions palestiniennes en place. Même la Banque Mondiale met en garde contre tout mécanisme qui viserait à remplacer les services existants : elle rappelle à propos, dans son dernier rapport, que, pendant douze ans, l’Union Européenne a dépensé la plus grande partie de ses aides au renforcement institutionnel avec la volonté de créer les structures nécessaires au fonctionnement d’un futur Etat palestinien. Il serait donc inconséquent de les ignorer.

L’Europe est schizophrénique : elle applique ses principes aux uns et pas aux autres. Il y a des dizaines de rapports de l’Union européenne, des diverses agences de l’ONU et des ONG qui disent qu’Israël ne respecte pas les droits de l’homme, qu’Israël contrevient à toute une série de conventions internationales, dont la Convention de Genève, et néanmoins, les accords de coopération entre l’Union européenne et Israël ne sont pas suspendus. Or, la possibilité de sanction existe puisque les accords signés par l’UE sont assortis d’une clause sur le respect des droits de l’homme. Le Cour Internationale de La Haye a dit que le mur était illégal et qu’il devait être démantelé. La plupart des pays (dont la Belgique) ont entériné par un vote à l’ONU les conclusions de la Cour. Cela implique de leur part le devoir de faire pression sur Israël pour qu’elle se conforme aux avis de la Cour. Il y a eu quelques pressions mais plus formelles qu’effectives. Il semble que le lobby israélien soit assez fort pour prévenir toute sanction. Il faut savoir que, depuis un an et demi à peu près, un bureau de lobby pro-israélien s’est installé à Bruxelles et qu’il est très actif auprès de l’Union européenne.

Il y a aussi une différence entre le discours politique et les réalités des échanges commerciaux ou autres. Ainsi, le Parlement bruxellois, lors d’une discussion récente, a décidé de prolonger la suspension de certains accords avec Israël. Néanmoins, un coup d’oeil sur le site de la Communauté Wallonie-Bruxelles, et l’on constate que cela n’empêche absolument pas les accords universitaires, techniques ou économiques. Il y a toujours des délégations qui vont en Israël pour faire de la promotion pour nos entreprises belges et vice versa.

Quand on dit aux Palestiniens : "L’Europe ne paie plus", la première réponse, c’est : "Tu sais, nos frères arabes ne paient pas non plus.". Les Palestiniens, dans leur malheur, ont une vision du monde qui est quand même une vision beaucoup moins simpliste que l’Orient contre l’Occident, ou l’islam contre la chrétienté. Ils disent clairement qu’il ne faut pas trop compter sur les frères arabes. L’Egypte est le deuxième pays au niveau des aides américaines et donc on ne peut pas en attendre grand chose. Quant à la Jordanie, elle a, elle aussi, des relations privilégiées avec les Etats-Unis. Donc les Palestiniens ne voient pas la situation en termes Ouest versus Est. Par contre, ils constatent que l’Europe est toujours empêtrée dans son sentiment de culpabilité concernant les juifs et l’holocauste. Ce qui, apparemment, bloque toute compréhension de ce qui se passe réellement en Palestine et empêche des actions effectives contre la politique israélienne.

Après le désengagement israélien de Gaza, les gens étaient déjà très lucides et très pessimistes. "Ca ne va pas changer grande chose." Ca a changé à l’intérieur de la Bande de Gaza : la mobilité est rétablie, il n’y a plus de checkpoints, de fermeture des routes etc. Mais au niveau économique, ça n’a rien changé, la situation a même empiré : non seulement à cause de la diminution drastique du nombre de Palestiniens autorisés à aller travailler en Israël mais encore à cause de la fermeture quasi constante du passage « marchandises » de Karni. Au niveau de l’occupation, ça n’a rien changé non plus. Le nord de la Bande de Gaza est bombardé sans relâche. Quand je suis retournée en avril, pendant des journées et des nuits entières, on entendait toutes les minutes des explosions. Des gens sont tués et les zones des colonies évacuées sont inaccessibles : l’occupant est invisible mais bien présent. Bien sûr, on ne l’a certainement pas vu à la télé. Quand j’étais sur place, cela faisait deux mois que les gens n’avaient pas été payés. Les gens du Hamas comme ceux du Fatah me disaient tous : "Donnez une chance au Hamas. Laissez-nous essayer. On n’est pas fous. On n’a pas envie non plus de tomber dans un puits noir avec le Hamas, mais laissez-les essayer ». C’était un leitmotiv : "Dites en Europe qu’il faut donner une chance à ce gouvernement. Nous avons prouvé lors des élections que nous pouvons changer. Donc si le Hamas ne nous donne pas satisfaction, on les mettra dehors de manière démocratique aussi.".

J’ai aussi entendu, à Gaza, d’autres réflexions, comme : "Maintenant les Européens veulent payer les gens du Fatah, ceux dont nous avons dit et dont l’Europe a dit pendant 5, 6, 8 ans qu’ils étaient pourris et corrompus !!!" Cette idée les faisait rire. Amèrement. Sur le terrain, la situation est dangereuse. On m’a répété plus d’une fois :"Il y a des gens à Gaza, comme Dahlan et ses amis, qui sont prêts à tout, ça veut dire, prêts à tout pour faire capoter le Hamas à n’importe quel prix et prendre le pouvoir." Plus que des risques de guerre civile, les gens sont inquiets de ce pouvoir de l’ombre, de ce pouvoir occulte d’une série de personnes qui appartiennent au Fatah, mais qui roulent pour eux-mêmes et espèrent pouvoir prouver aux Etats-Unis qu’ils sont les hommes du moment capables de reprendre la situation en mains. A mon avis, il n’y aura pas de guerre civile mais on assistera sûrement encore à des batailles entre groupes armés : je fais confiance aux mécanismes de régulation interne qui ont déjà fait leurs preuves dans le passé récent.