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Par le Dr Harry Hagopian

Nakba palestinienne : où va-t-on maintenant

Merci au site CCIPPP de cet analyse si pertinente

samedi 3 juin 2006

Informer, encore informer, toujours informer afin de combattre le silence coupable de la majorité des médias aux mains de puissances financières et industrielles dont l’intérêt réside dans une stratégie de désinformation savamment élaborée et aussi savamment appliquée.

publié le samedi 3 juin 2006.

" Commémorer l’anniversaire de la Nakba implique de prendre conscience que ce n’était pas seulement un moment tragique dans l’histoire des Palestiniens, mais qu’elle touche au cœur du combat pour la dignité arabe, l’identité et la justice en dépit d’une énorme attente et d’un pouvoir difficile."

« Nous devons tout faire pour qu’ils (les Palestiniens) ne reviennent jamais... Le vieux va mourir et le jeune oubliera » - David Ben-Gurion, 18 juillet 1948.

A minuit, ce 14 mai 2006, les Juifs israéliens ont célébré le 58ème anniversaire de la création de leur Etat. Mais ces fêtes joyeuses en Israël ont rappelé aussi aux Palestiniens que la naissance de cet Etat résultait de leur propre dépossession et de leur pauvreté, quand les forces combinées de l’Irgun et du Haganah ont lancé leur offensive, en avril 1948 et chassé le peuple palestinien hors de ses terres.

Je ne sais pas cela seulement parce que je l’ai lu dans des livres d’histoire, mais plutôt parce que mon défunt grand-père m’a raconté maintes et maintes fois ses souvenirs, comment il a mis ma grand-mère et leurs trois filles (dont ma maman) dans une voiture, quittant la maison familiale, le travail et tout ce qu’ils possédaient à Talbieh, fuyant vers Beyrouth pour, après une courte période, se fixer dans la partie Est de Jérusalem, celle-ci étant alors une région de Jordanie.

En effet, les réfugiés palestiniens successifs - chrétiens, musulmans ou druzes - grandissent tout en écoutant les récits des derniers moments en Palestine, des décisions difficiles, de la panique, ils revivent aussi les conséquences épouvantables de ces semaines fatidiques. Des livres ont été écrits, des conférences ont été données, des organismes ont été institués pour défendre les droits des réfugiés palestiniens, ceux des absents et des rentrés, et tout ceci à cause de la naissance d’une nation et de la mort d’une autre.

« Des villages juifs ont été construits là où étaient les villages arabes. [] Nahlal a surgi à l’endroit de Mahlul ; le kiboutz Gvat à l’endroit de Jbta ; le kiboutz Sarid à l’endroit de Huneifis ; et Kefar Yehushua à l’endroit de Tal al-Shuman. Il n’y a pas un seul lieu construit dans ce pays qui n’a pas eu une population arabe », (Moshe Dayan, à Tehnion Haïfa, 4 avril 1969).

Tout au long de l’année 1948, pendant la délivrance de l’Etat d’Israël par les accoucheurs du mandat britannique, les forces juives ont expulsé des milliers de Palestiniens de leur villages, de leurs villes et cités, dans Gaza, en Cisjordanie, jusqu’au Liban, en Syrie, en Egypte et en Iraq. Des sociétés palestiniennes ont été déracinées de 418 villes et villages, et des centaines de milliers de Palestiniens ont fui leurs maisons - et leur patrie politique - car ils avaient peur de rester en arrière ou d’être contraints de fuir pas les forces d’invasion. Mon grand-père, à chaque fois qu’il se rappelait son jardin avec son citronnier et les clés [maintenant inutiles] de sa porte d’entrée, se repentait de sa décision de partir. Il sentait rétrospectivement qu’il avait peut-être nui à sa famille, mais ses amis des Nations unies lui avaient conseillé de faire ainsi et la peur des conséquences épouvantables, s’il était resté sur place, lui avait fait prendre cette décision énergique ; elle les a finalement, lui et sa famille, chassés pour de nombreuses d’années. Ceci est vrai pour de nombreuses familles - certaines sont de mes parents - qui se sont aussi sauvées avec leurs actes de propriétés et leurs clés, très peu ayant fait autrement, car elles craignaient pour leur vie.

La dépossession était l’objectif des Juifs car le projet sioniste visait à créer un Etat juif en effaçant les habitants indigènes qui vivaient ici depuis des siècles. La création de l’Etat d’Israël a été au cœur de cet évènement cataclysmique pour les Palestiniens, et ses multiples répercussions culturelles, socio-économiques et politiques ont brassé - presque génétiquement - dans l’ego palestinien comme un phénomène connu sous le nom de Nakba (la catastrophe). Il reste l’un des symptômes insurmontables du conflit entre Arabes et Israéliens.

Aujourd’hui, il existe une minorité palestinienne en Israël qui forme environ 20 % de l’ensemble de la population, beaucoup ont supplanté à l’intérieur de l’Etat des personnes ou « des absents actuels » - une dénomination contradictoire donnée à près de 200 000 citoyens palestiniens d’Israël dont les propriétés ont été saisies par Israël, en en faisant des réfugiés dans leur propre pays. Le livre de Hillel Cohen « L’absent actuel : les réfugiés internes palestiniens en Israël depuis 1948 » n’est que l’une des nombreuses références sur le sujet. Il y a également les Palestiniens qui vivent sous l’occupation en Cisjordanie, conséquence de la défaite des forces arabes dans la guerre arabo-israélienne de 1967 (appelée Naksa, ou recul), et il y a encore les réfugiés dans les camps à travers tout le monde arabe - de la Jordanie et du Liban à l’Egypte et à la Syrie - qui sont une mnémonique constante de cette réalité immuable.

Cependant, la Nakba n’est pas le symbole pour les Palestiniens de ce seul évènement historique. C’est toujours la réalité d’aujourd’hui pour ceux qui vivent dans les camps de Cisjordanie, de Gaza et du monde arabe, comme pour ceux qui sont sous occupation (un statut de réfugiés d’un autre genre) dans leurs terres toujours plus réduites. L’une des conséquences de la Nakba originelle a été le retranchement sur des structures (essentiellement colonialistes) d’apartheid qui se sont manifestées par un racisme anti-palestinien et la xénophobie à travers les générations israéliennes. Face à ce colossal faisceau de circonstances, passées et présentes, les Palestiniens ont joué le rôle peu enviable du Sisyphe de la mythologie grecque, se passant, d’une génération à l’autre, la tâche de rouler la pierre.

"Nous devons employer la terreur, l’assassinat, l’intimidation, la confiscation de terre et la suppression de tous les services sociaux pour débarrasser la Galilée de sa population arabe" - Israel Koening, dans le rapport de Koening (mémorandum), 1975.

L’histoire, semble-t-il, nous enseigne bien peu de chose puisque la Nakba, avec ses perfidies originelles, se perpétue aujourd’hui sous des formes différentes sur toute la terre palestinienne. En Israël, la minorité palestinienne résiste à nombre de discriminations par des moyens juridiques et politiques, bien qu’il y ait aussi ceux qui essaient de trouver une solution en niant ou en minimisant leur identité. Il y a ces Palestiniens sous occupation, en Cisjordanie, dont on a fait implacablement des réfugiés avec le mur de béton qui petit à petit encercle leurs terres et leurs maisons. Ce mur a vraiment créé des milliers de réfugiés et bouclé de grandes étendues de terres occupées. Jugé illégal par la Cour international de Justice de La Haye, il a néanmoins transformé des cités de Cisjordanie (comme Qalqilya) en villes fantôme et coupé des milliers de Palestiniens de leur maison et de leur travail. Et puis, il y a les Palestiniens de Gaza sous une occupation d’une autre sorte malgré le retrait de l’armée israélienne, massés dans des ghettos et interdits de déplacements et de travail - pas comme les Juifs dans l’Europe du 18è siècle - pour servir de nombreux intérêts politiques partisans, résultat aussi d’une pure indifférence à leur situation désespérée.

Les murs et les machsomot (check-points) élevés par les forces d’occupation israélienne, les routes de contournement réservées aux seuls Juifs traversant les terres palestiniennes, les vergers et oliveraies palestiniens arrachés, les maisons palestiniennes démolies remplacées par des colonies nouvelles ou d’autres qui s’étendent, ou même les assassinats extrajudiciaires, tout démontre clairement la nature constante de la Nakba qui assaille les Palestiniens aujourd’hui. Les derniers échos politiques qui viennent d’Israël indiquent une priorité pour un plan de convergence par lequel Israël se retirerait de certaines colonies de Cisjordanie du côté est du mur, tout en confortant et développant les grands ensembles de colonies sur son côté ouest. Ceci, avec un désengagement unilatéral sur des lieux choisis, conduirait à la création de cantons palestiniens au milieu de la Cisjordanie et à empêcher tout Etat palestinien pour l’avenir sur les 22% restant de la Palestine historique. Un ensemble de terres qui ne bénéficie ni de souveraineté ni de continuité ne peut être considéré comme une entité viable - encore moins comme un futur Etat - et ne donnerait aucune chance crédible à des négociations pour une solution à deux Etats, telle celle prévue dans la Feuille de route [actuellement moribonde] pour la paix.

Et pourtant, c’est exactement ce qui est programmé pour les Palestiniens aujourd’hui. Je considère ce scénario naissant comme non seulement faisant obstacle à la légitimité de la mémoire historique mais aussi à la réalité géopolitique. Depuis ces seules dernières semaines, la politique de la communauté internationale pour imposer des sanctions à un gouvernement palestinien démocratiquement élu équivaut à des punitions collectives sur un peuple occupé - plutôt que sur l’occupant ! Pour ajouter l’insulte à la souffrance, Israël a refusé de remettre à l’Autorité palestinienne ses recettes fiscales. Tout cet argent différé est actuellement nécessaire pour aider à soulager de la stratégie de sanctions de l’occupant, avec les couvre-feux, les bouclages et les check-points qui ont ruiné l’économie palestinienne. Comme je l’ai écrit ou enseigné dans le passé il y a deux ou trois mois, je suis parmi ceux qui se méfient d’instinct du programme politique islamiste du Hamas. Je déplore aussi les lamentables - et étriqués - conflits entre Palestiniens (qu’ils soient motivés idéologiquement ou par le pouvoir, avec des visées s’attachant par moments à l’usage de la violence). Cependant, ni ma méfiance à l’égard du Hamas, ni ma répugnance pour les luttes interpalestiniennes ne peuvent me faire admettre de quelque façon que ce soit la punition d’un peuple dont on a bradé les aspirations légitimes au bénéfice d’autres intérêts et de coalitions. Des positions de principe ne peuvent rien apporter à des politiques réalistes, seulement fomenter des catastrophes humanitaires, un chaos politique et un désordre interne.

"Chacun doit se bouger, courir et s’emparer d’autant de sommets de collines qu’il le peut pour agrandir les colonies, car tout ce que nous prenons restera à nous... tout ce que nous laissons sera pour eux" (Ariel Sharon, au parti Tsomet, le 15 novembre 1998)

Pendant la période optimiste - celle qui a suivi la déclaration des principes et du processus d’Oslo prolongé - un obstacle capital à tous niveaux de la négociation a persisté : la question des réfugiés palestiniens. Ceci non seulement à cause d’un pur instinct pour la survie, ou même de la mémoire historique d’un côté ou de l’autre, ou pour la seule question d’un choc des nationalismes. Mais à cause du refus, par un seul côté, (Israël) d’insérer dans son ego collectif un élément qui aurait pu réinitialiser sa mémoire aux origines de sa création il y a quelque 58 ans, et l’aurait aider à assumer sa responsabilité. Ce fut aussi le refus, côté palestinien, de concevoir une solution qui aurait appuyé le principe juridique du retour des réfugiés palestiniens tout en allant vers quelque chose de réalisable et d’acceptable par Israël, et à plus forte raison par les réfugiés eux-mêmes.

A mon avis, tout ceci signifie que tout cet étalage devrait céder la place à de l’information, que le traitement de la question des réfugiés palestiniens, des hommes et des femmes sans droit, les étalant comme la « cause palestinienne » est contre-productif, et d’un certain point de vue politique, gêne la perception de la vérité. Les deux côtés doivent admettre enfin que cette question - parmi toutes celles qui doivent être surmontées afin d’assurer la paix entre les deux peuples - devra être solutionnée un jour.

58 années ont passé depuis l’exode de milliers familles quittant leur maison, et des générations de Palestiniens ont été reléguées dans des camps de réfugiés dans les pays arabes voisins. Les guerres, les résolutions internationales et les initiatives innombrables pour la paix ont essayé de mettre fin à l’épreuve palestinienne d’assujettissement, d’abolition, de violence et de déplacements. Commémorer l’anniversaire de la Nakba implique de prendre conscience que ce n’était pas seulement un moment tragique dans l’histoire des Palestiniens, mais qu’elle touche au cœur du combat pour la dignité arabe, l’identité et la justice en dépit d’une énorme attente et d’un pouvoir difficile. La Nakba, qui fait partie intégrante de la mémoire nationale palestinienne est aussi, en même temps, ce qui a contribué à la configuration de l’identité nationale. En conséquence, ce qui est requis est un paradigme qui pourrait modifier ces variables et conduire à une paix égale pour les Palestiniens et les Israéliens de même, étant donné que la Nakba, une réalité de 58 années, est liée intégrée au conflit - et à sa tragédie sans fin - aujourd’hui.

Harry Hagopian a été négociateur à Jerusalem lors des accords d’Oslo. Il est conseiller œcuménique, juridique et politique de l’Eglise arménienne, avocat en droit international, conseiller pour le Moyen-Orient auprès de l’ONG Minority Rights Group International et conseiller du Holy Land Christian Ecumenical Foundation.