Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Privatiser la région du Golfe

Opinion

Privatiser la région du Golfe

Jeudi, 19 juillet 2012 - 6h58 AM

jeudi 19 juillet 2012

Opinion et recommandations bien tardives qui ressemblent à une sonnerie de cors de chasse avant l’inévitable et futur hallali.

Michel Flament

Coordinateur

============================================

Pär Naël Shehadeh*

Pendant que le monde arabe s’engage dans la voie des changements fondamentaux, ses dirigeants doivent rapidement s’adapter ou risquer d’essuyer des révoltes de leur population ; une leçon que n’ont pas manqué de retenir les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à savoir le Bahreïn, le Koweït, l’Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Avec leurs voisins enlisés dans des guerres civiles ou en plein milieu de transitions difficiles, et avec la grogne populaire se généralisant au pays, les États du Golfe veulent à tout prix endiguer la marée montante de la révolution.

Le CCG a en effet offert jusqu’ici une aide généreuse, totalisant environ 160 milliards de dollars, aux pays emportés par le printemps arabe.

Pour amoindrir les tensions politiques intérieures, certains pays du Golfe ont également annoncé d’autres trains de mesures qui comportent des hausses considérables des salaires, des augmentations substantielles des emplois dans le secteur public réservés à leurs citoyens et des prestations de chômage plus élevées.

Les États du Golfe se basent tout simplement sur leur richesse pour éloigner la révolution. La majorité de leur population n’a-t-elle pas immensément bénéficié de décennies de croissance économique élevée fondée sur les ressources naturelles ?

Mais les économies du CCG sont aussi grevées de problèmes structurels que des mesures économiques à court terme ne pourront résoudre : des secteurs publics démesurés, une forte dépendance sur la main-d’œuvre importée et un chômage endémique, surtout chez les jeunes, qui occupent une part disproportionnée de la population. La région a besoin de politiques viables qui visent à apporter une diversification économique essentielle. En effet, sans changement structurel profond, le niveau de vie avantageux sur lequel repose la stabilité politique des États du Golfe risque de s’éroder.

Pour les citoyens du CCG, le secteur public est de loin l’employeur le plus important : en Arabie saoudite, le gouvernement emploie 80 % de la main-d’œuvre indigène ; au Koweït, la proportion est de 93 %. Environ 45 % du budget du gouvernement de l’Arabie saoudite est affecté aux salaires des fonctionnaires. Les nouveaux programmes de dépense des pays du CCG vont fort probablement perpétuer l’hypertrophie de l’appareil d’État. Des mesures improductives, comme des hausses salariales du secteur public, auront pour effet immédiat de prendre encore plus la place des investissements privés. L’an prochain, les salaires des employés de la fédération des EAU augmenteront de 30 à 100 %, alors que les salaires de poste équivalents au Qatar grimperont de 60 à 120 %. Rien ne garantit cependant que les sommes additionnelles se répandent dans le reste de l’économie.

En fait, puisque la plupart des biens de consommation sont importés, il est peu probable que les entreprises nationales en tirent profit. Il est vital de réduire la dépendance du secteur public par une plus grande participation des citoyens dans les entreprises locales, accroissant ainsi le rôle du secteur privé dans la création d’emplois.

Pourtant, très peu d’efforts ont été faits pour la promotion de l’entrepreneuriat, malgré son potentiel pour canaliser dans une direction positive la dynamique de la jeunesse libérée par les révoltes arabes. Les citoyens en moyens, par exemple, bénéficieraient de mesures incitatives lorsqu’ils investissent dans de nouvelles entreprises, et le gouvernement offrirait aussi des prêts à faible taux d’intérêt et donnerait un congé de remboursement jusqu’à ce qu’un certain seuil de rentabilité soit atteint.

Des principes juridiques solides sont cependant aussi importants pour la création d’un cadre propice aux entreprises. La garantie que les droits intellectuels et les autres droits de propriété seront protégés adéquatement tant pour les citoyens que pour les étrangers est aussi essentielle, de même que la lutte à la corruption.

Ce ne sont pas tous les pays du Golfe qui sont réfractaires au changement. En réponse aux pénuries de logements sociaux et à la montée des tensions à propos des inégalités sociales de plus en plus criantes, les dirigeants d’Oman se sont engagés à construire 2 500 logements pour des familles à faible revenu et à soutenir la formation technique orientée vers la création d’emplois. De même, Bahreïn a conclu un accord de partenariat public-privé de 550 millions de dollars pour le logement, dont 75 % sera affecté à la construction de logements pour des gens à faible revenu. Malgré cela, selon l’indice BTI du transport publié par Bertelsmann, qui vise à mesurer les divers aspects de développement économique dans les pays non libéraux ou dans les pays en transition démocratique, les indices de transformation des États membres du CCG affichent des valeurs allant de « limité » à « très limité » en raison principalement de la corruption et du manque de transparence.

Dans certains de ces pays, comme l’Arabie saoudite et Oman, les perceptions de corruption sont liées à l’absence de hiérarchies fondées sur le mérite. Qui plus est, la prépondérance des réseaux personnels contribue au maintien, et même à l’accroissement des inégalités socio-économiques et entrave une croissance inclusive, au même titre que la faiblesse des lois de protection de la propriété intellectuelle et que la lourdeur de la bureaucratie.

Si les dirigeants du Golfe désirent vraiment éviter l’agitation sociale, ils doivent utiliser les gains provenant des cours élevés du pétrole pour financer des réformes du travail et de la propriété intellectuelle, encourageant du même coup la croissance du secteur privé et offrant de meilleures perspectives pour tous. Des institutions internationales aideraient en offrant de l’assistance technique.

Ainsi, il y a peut-être place pour une coopération dans le cadre du programme commun de mesures de l’Union européenne et du CCG, qui prévoit déjà un volet sur « l’échange d’expertise et de données... en intégration économique ». De nouveaux emplois dans le secteur privé créeraient une vague de dynamisme dans la région du Golfe, l’aidant à s’éloigner d’une trop grande dépendance sur les exportations d’énergie et à tracer une nouvelle voie vers une croissance durable à long terme. Une transition réussie donnerait des perspectives réelles à une génération de jeunes chômeurs, leur permettant de prendre en charge leur avenir – et celui de leur région.

*Naël Shehadehest un chercheur associé à la Gulf Research Center Foundation. Par Naël SHEHADEH

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier.
© Project Syndicate/Europe’s World, 2012.