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Le courage d’un élu, fidèle à ses convictions

Lettre de JC Lefort, député, à Philippe Douste-Blazy

publié le lundi 10 avril 2006

mardi 11 avril 2006

Je vous ai écrit récemment à propos de la situation au Proche-Orient pour souligner la lourde responsabilité que prenait notre pays dans cette région du monde en appliquant relativement au conflit israélo-palestinien un insupportable « deux poids, deux mesures ».

M. Philippe Douste-Blazy Ministre des Affaires étrangères 37, Quai d’Orsay 75007 Paris

Monsieur le Ministre,

Je vous ai écrit récemment à propos de la situation au Proche-Orient pour souligner la lourde responsabilité que prenait notre pays dans cette région du monde en appliquant relativement au conflit israélo-palestinien un insupportable « deux poids, deux mesures ».

Le nouveau Premier ministre israélien, M. Ehoud Olmert, entend fixer arbitrairement, en violation flagrante du droit international pertinent, les frontières définitives de l’Etat d’Israël en accaparant, par la construction d’un mur condamné par la Cour Internationale de Justice, quasiment la moitié de la Cisjordanie.

Malgré ces faits avérés, cela ne vous a pas empêché de saluer son élection comme constituant « une chance pour la paix ».

Aujourd’hui la Cisjordanie et la bande de Gaza sont, selon les organes humanitaires de l’ONU « au bord du désastre ». L’UNRWA souligne pour sa part que le manque de produits alimentaires à Gaza, du fait de la fermeture fréquente du passage de Karni et depuis que l’aide a été stoppée, aboutit à une augmentation significative « du nombre de personnes affamées ». La Banque Mondiale précise que, sans changements, 75 % des palestiniens se retrouveront sous le seuil de pauvreté pour 56% déjà aujourd’hui. A cela s’ajoute un lourd problème de santé publique : 850.000 volailles sont suspectées à Gaza d’avoir contracté la grippe aviaire.

Cette situation insupportable a des raisons claires. D’un côté les USA et d’autres pays ont cessé de verser leur aide financière mensuelle qui s’élève à 38 millions d’euros tandis que, d’un autre côté, les autorités israéliennes ont bloqué le versement de sommes qui ne leur appartiennent strictement et absolument pas mais qui reviennent en propre au peuple palestinien : les droits et taxes perçus sur les produits palestiniens au profit de l’Autorité palestinienne, soit déjà un montant non versé - volé en vérité - de 36 millions d’euros.

Recevant Madame Rice, le Président de la République française a souligné le besoin de continuer le versement des sommes allouées à l’Autorité palestinienne par les pays donateurs et ceci « pour des raisons humanitaires ».

J’ajouterais que ce sont aussi des raisons politiques, et la raison tout court, qui plaident pour que ces versements aient bien lieu.

Que cherche-t-on, en effet, à vouloir étrangler de la sorte le peuple palestinien ? Quels résultats politiques peuvent être attendus de cette politique visant à affamer délibérément le peuple palestinien ?

Pour l’Union européenne, outre les questions liées à la grippe aviaire qui nécessitent des mesures en urgence et des efforts à produire pour obtenir des pays donateurs qu’ils continuent leur aide, il doit être entendu que la décision israélienne doit recevoir une réponse appropriée.

Je vous rappelle que l’Union européenne a conclu avec Israël, en novembre 1995, un Accord d’association. Celui-ci n’a été ratifié par notre Parlement qu’en novembre 1999, soit 5 ans plus tard, en raison même de l’attitude d’Israël qui contrevenait à l’article 2 de l’Accord qui dispose d’une clause politique impérative, pour que cet Accord soit appliqué, s’agissant du respect par Israël des « droits et libertés démocratiques ».

Ce même Accord prévoyait en conséquence qu’il pourrait être suspendu en cas de violations de cet engagement. C’est d’ailleurs ce qu’avait demandé le Parlement européen, le 10 avril 2002, en raison de la politique poursuivie à l’époque par M. Sharon. Cette résolution n’a connu aucune suite de la part de l’Union qui a méprisé purement et simplement ce vote et s’est refusée du même coup à appliquer les termes mêmes de cet Accord.

Aujourd’hui l’attitude israélienne qui pousse « au désastre » et à la famine la population palestinienne suppose une réaction nette et claire de l’Union afin qu’elle respecte les engagements souscrits, pris et ratifiés. Il convient de suspendre sans plus attendre cet Accord tant que les autorités israéliennes violeront, ainsi qu’on le constate aujourd’hui, les « droits et libertés démocratiques ».

Cela serait absolument conforme au droit, à la justice et à l’efficacité.

Je rappelle que l’Union européenne constitue le premier marché commercial pour Israël.

Monsieur le Ministre : il y en a assez de l’impunité dont jouit le gouvernement israélien ! Il y en a assez des souffrances et des misères endurées par le peuple palestinien ! Il y en a assez de jouer avec le feu ! Il y en a plus qu’assez de l’unilatéralisme ! Il y en a plus qu’assez de l’inhumanité qui s’abat sur cette terre et ce peuple meurtris !

Le chemin actuellement pris par les autorités israéliennes n’est pas seulement inhumain, il tourne clairement le dos à toute recherche de la paix basée sur le respect du droit international pertinent. Cette politique, Monsieur le Ministre, ne constitue pas « une chance pour la paix » mais son exact contraire.

Le vote des palestiniens en janvier dernier a été démocratique.

Le résultat est à mettre au compte de facteurs intérieurs mais aussi, et surtout, il résulte de l’attitude israélienne et de l’absence totale d’action du Quartette, en particulier de l’Union européenne. Et il faudrait maintenant punir ce peuple qui est déjà victime de tout cela, qui n’a ni présent ni avenir ?

Car c’est le peuple qui souffre de ces mesures de blocage des fonds financiers. C’est lui et personne d’autre. Et on voudrait que de la sorte il revienne sur son choix ? Si ce calcul existait il serait pure folie, je vous le dis tout net.

Je vous demande donc qu’il soit mis un terme à ce qui s’apparente clairement à un crime contre le peuple palestinien. Je vous demande de regarder la réalité en face et non pas avec un tropisme trop évident. Poser des conditions d’un côté (sans dire d’ailleurs sur quoi cela déboucherait qu’elles soient remplies) et laisser faire de l’autre côté relève du parti pris - tout cela alors que le Conseil de sécurité vient d’avoir une discussion tout à fait claire sur toutes ces questions et que le nouveau gouvernement palestinien vient de faire des déclarations importantes via une lettre au Secrétaire général de l’ONU.

Je vous demande donc d’agir dans l’urgence, car il y a urgence, pour que l’Union européenne suspende l’Accord d’association avec Israël qui foule aux pieds les engagements souscrits par ce pays en signant cet Accord qui a une nette dimension politique. Si l’Union européenne ne le faisait pas, alors c’est elle qui faillirait à ses propres engagements. En même temps le Conseil européen, s’il entend que l’Union joue un rôle indispensable sur le plan international, pourrait discuter plus largement d’une « initiative européenne pour la paix » permettant que débouche une Conférence internationale pour la paix au Proche-Orient.

Je vous demande aussi dans ce cadre, en second lieu et une nouvelle fois, qu’un débat soit organisé en plénière à l’Assemblée nationale ainsi que l’avait demandé formellement la Commission des Affaires étrangères à l’occasion de l’examen le 23 mars 2005 d’un rapport d’information présenté par M. Hervé de Charrette, un rapport qui portait sur la situation au Proche-Orient. J’écris en ce sens au Président Balladur qui avait indiqué être « prêt à demander un tel débat », votre prédécesseur ne s’y opposant pas (Rapport sur le rôle de l’Union européenne dans la solution du conflit du Proche-Orient déposé le 23 mars 2005).

Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de mes salutations distinguées.

Jean-Claude Lefort Député du Val-de-Marne Membre de la Commission des Affaires étrangères