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Merci à la CCIPPP pour la publication de cet article qui se passe de commentaires

De la colonisation qui rampe

vendredi 7 avril 2006

Liliane Cordova Kaczerginski
publié le jeudi 6 avril 2006.

"Il y a peu, vous avez commis un acte de Possession. Vous vous êtes emparés des urnes ; vous avez crié, chialé, menacé : « nous ne sommes pas vos jouets... » Vous avez voté contre le désir des Seigneurs locaux ou étrangers et dit du même coup que les accords d’Oslo étaient de la poudre aux yeux. Les Seigneurs ont amplifié la dépossession."

Paysage, dépossession, circulation et élections en Palestine
Le paysage change sous votre regard et dans le temps ; le temps que dure votre séjour.

Ce qui est frappant, c’est que ce changement de l’environnement, entre la première et la deuxième visite, d’un même lieu, qu’il soit celui des régions de Jérusalem ou de Ramallah, dans un intervalle de temps très court, est tout a fait palpable : un mètre de plus pour le mur, un mètre de plus pour la barrière de séparation, un mètre de plus pour les manouvres d’étranglement. De l’autre côté, bien que ce côté soit fictif et traverse de part en part la Palestine, un kilomètre de plus de superbe route dévolue à la circulation des "blancs" (bien qu’un noir éthiopien, reconnu par le Rabbinat, soit accepté à y circuler). Encore quelques gadgets supplémentaires rendant le check-point de Qalandia plus surréaliste, et donc plus menaçant par cet excès propre au surréalisme lorsqu’il s’applique à une situation sociale ou politique. Ce qui a dans ce cas un autre nom : le scandaleux. Quelques bâtiments de plus pour les Seigneurs de la terre, dévorant tout sur leur passage, dans une course intempestive.

Les Seigneurs sur la terre des damnés de la terre : l’appétit des uns masquant la dépossession des autres.

Se réveiller et ne plus savoir comment vos yeux et vos jambes vont être perturbés par ce changement continuel des choses qui vous entourent : les rues que l’on ne pourra plus traverser ; la terre que vous ne pourrez plus travailler ; la multitude d’arbres arrachés, qui vous fera perdre les fruits d’une année de labeur, ou simplement l’ombre reposante de la veille ; les déplacements qui se compliquent à l’infini, dans l’inconnu...

Décrocher une petite paye journalière sans être repéré ?

« Ah ! Vous n’avez pas les papiers adéquats pour vous nourrir »

Vous aviez les papiers requis pour vous marier avec une personne habitant à quelques kilomètres du lieu de votre attente amoureuse ?

Mais c’est que les Seigneurs ont décrété une différence de juridiction.

Les Palestiniens vivent la dépossession depuis trop longtemps pour que le souvenir puisse donner de l’importance aux dates. Ils la vivent lentement mais sûrement. Ils vivent leur existence dans des bocaux à ciel ouvert, où le verre est tour à tour transparent et opaque, mais toujours résistant : « restez dans vos ghettos », « pas la peine que les autres sachent ou s’intéressent à vous ». Les Seigneurs décideront, quand et dans quelle mesure vous dérangez, en quelle quantité et ce qu’il y aura dans votre assiette, si vous êtes terroriste, antisémite, corrompu, sous-développé, oppresseur des femmes ou liberticide...

Il y a peu, vous avez commis un acte de Possession. Vous vous êtes emparés des urnes ; vous avez crié, chialé, menacé : « nous ne sommes pas vos jouets... » Vous avez voté contre le désir des Seigneurs locaux ou étrangers et dit du même coup que les accords d’Oslo étaient de la poudre aux yeux. Les Seigneurs ont amplifié la dépossession.

L’espace réduit d’un isoloir est devenu un espace d’émancipation.

Mon père écrivait en 1943, dans le ghetto de Vilnius

"J’erre par le ghetto
de rue en rue
et je ne peux pas trouver de place, de lieu, de halte
mon bien aimé n’est pas là
comment tenir bon ?
toi,
dis moi, au moins, un mot de consolation."...

Je ne sais pas si les Palestiniens parleraient comme cela. De mon côté, je me suis sentie comme une zombie, corps dépossédé de son âme errant dans ce marasme de tours de contrôles, de murs, de murailles, de barbelés, de patrouilles, de papiers à présentés...

- « Mais VOS PAPIERS ??? De quelle tribu êtes-vous ? »

- « Vous êtes fidèle au Grand Manitou ou fidèle aux droits humains (c’est-à-dire, aux droits universels des gens de cette terre...) ? »

Je déambule sur cette terre avec une pensée pour mon père, absent (et pourtant présent) à la vue de cette déambulation autre de centaines de taxis, doublant la mienne et la freinant, de part et d’autre du check-point.

Je me demande si tout cela était occulté, soustrait à la vue des nombreux militants se rendant régulièrement dans ce pays.

Parler de la construction d’un Etat palestinien viable, avec Jérusalem-Est comme capitale, me paraît être une blague amère et une tromperie vis-à-vis de l’opinion publique et plus encore de parler du camp de la paix en Israël. Car, même nos chers amis, les Justes, nous supplient de considérer leur action à une juste mesure. Ces amis sont des témoins moraux efficaces, dans certains situations. Mais, ces immenses militants ne manquent pas de contradictions : ont-ils coupé tout lien avec l’occupation ?

Certains usent et abusent de la manne que le Centre Pères injecte dans certaines ONG pour faire du "vivre ensemble" pendant que le racisme augmente parmi les juifs d’Israël : 68% de juifs refusent l’idée de devoir résider dans un immeuble avec des Arabes, révèle le Centre pour la lutte contre le racisme (Haaretz du 22 mars 2006). Bien sûr, je ne voudrais pas laisser entendre qu’ils ont favorisé cette hausse, mais la question de ce racisme prend place dans le cadre d’une expansion coloniale qui pousse à un nettoyage ethnique, bien que certains rechignent à la comparaison avec l’Afrique du Sud....

Je sais que les Palestiniens sont conscients que le coeur de leurs frères et soeurs arabes et musulmans bat au rythme de leur souffrance. Dans le même temps, les droits humains, les droits des peuples, et les accords internationaux concernant la question de leur survie tout court et d’avenir politique ont, dans les faits, une valeur moindre que le papier sur lesquels ils sont imprimés.

Amis, camarades, militants de gauche et humanistes, il faut arrêter la machine coloniale israélienne de suite.

Nous voulons (une fois encore) que l’ONU adopte enfin des sanctions, que les entreprises et institutions retirent tout investissement en Israël, et que toute société ou centre de recherche qui rendent possible l’occupation des territoires palestiniens et y favorisent le colonialisme, soit par nous, citoyens, boycottés à travers leurs produits et services.

Liliane Cordova Kaczerginski
Écrit suite a la mission de la Fédération de juifs européens pour une paix juste
(EJJP - European Jews for a Just Peace)) en solidarité avec la lutte du peuple de Bili’n - Mars 2006
Reçu sur le site, le mardi 5 avril 2006