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Le pouvoir de dire : « NON »

par Jeff Halper

jeudi 30 mars 2006

Alors que le nouveau gouvernement Hamas prend le pouvoir au sein de l’Autorité Palestinienne, on ne peut que se demander : « Qu’est-ce qui a amené un peuple, le plus laïc parmi les populations arabes et n’ayant qu’une courte histoire avec le fondamentalisme religieux, à voter Hamas » ?

Il est trop facile de l’expliquer comme une simple forme de protestation liée à l’inefficacité du Fatah en matière de négociations comme à sa corruption interne.

Tout en prévenant le Hamas que leur vote n’était pas constitutif d’un blanc-seing pour imposer en Palestine un régime théocratique inspiré de l’Iran, les Palestiniens impuissants ont choisi la seule option qui leur restait, puisque toutes les autres issues leur étaient fermées : celle de la non-coopération.

Gandhi l’a exprimé mieux que quiconque : « Comment peut-on contraindre quiconque à accepter d’être un esclave ? Je refuse tout simplement d’exécuter le souhait de mon maître. Il peut me torturer, me briser les os, et même me tuer. Il aura alors mon corps mort, mais pas mon obéissance. Ainsi, à la fin, c’est moi qui serai le vainqueur et pas lui, puisqu’il n’aura pu me contraindre à faire ce qu’il voulait. La non-coopération est dirigée non contre... les gouvernants, mais contre le système qu’ils administrent. Le fondement de la non-coopération repose non pas dans la haine, mais dans la justice. »

La non-coopération, qui est peut-être la forme la plus efficace de résistance non-violente, surgit lorsque les opprimés n’ont d’autre voie pour obtenir leurs droits et atteindre la liberté.

Puisque ce sont la communauté internationale, les USA, Israël et aussi, oui, le Fatah, qui ont fermé toutes les issues pour les Palestiniens, à eux donc de porter le « poids » du succès du Hamas. C’est vers eux que ce message électoral des Palestiniens s’adresse : « Ras-le-bol de vous tous ! »

Ras-le-bol d’une communauté internationale qui refuse aux Palestiniens tout recours au droit international et aux conventions sur les droits humains. Si seulement la 4ème Convention de Genève avait été appliquée, Israël n’aurait même pas pu commencer à bâtir l’Occupation.

Le droit international définit l’occupation comme une situation militaire temporaire qui ne doit trouver de solution qu’à travers la négociation. En conséquence, il est interdit à une puissance occupante telle qu’Israël de prendre toute mesure unilatérale conduisant à un contrôle permanent.

En sus de ses bases militaires, tout ce sur quoi repose l’Occupation israélienne est illégal, comme par exemple :
les colonies et la construction d’un vaste système routier réservé aux Israéliens et reliant les colonies de Cisjordanie à Israël proprement dit ;
l’extension aux territoires palestiniens occupés du régime juridique et planification propres à Israël ;
le pillage des ressources palestiniennes telles que l’eau pour les besoins israéliens ;
la démolition des maisons et l’expropriation de terres palestiniennes ;
l’appauvrissement délibéré de la population palestinienne ;
les opérations militaires à l’encontre de la population civile.

Même lorsque la Cour Internationale de Justice de La Haye a jugé illégale la contruction de la « Barrière de séparation », jugement suivi d’une ratification par l’Assemblée Générale (/de l’ONU - ndt/), rien n’a été fait pour en arrêter la construction.

Ras-le-bol des Etats-Unis, qui ont bloqué les négociations menant au rétablissement des droits des Palestiniens, permettant ainsi à Israël de pérenniser son Occupation.

Dès le début du « processus de paix » d’Oslo, et à la demande expresse d’Israël, les USA ont reclassifié les territoires palestiniens du statut « d’occupés » à celui de « disputés », empêchant ainsi le droit international de former la base des négociations et en laissant les Palestiniens démunis d’un tel droit.

Si le doit international avait été respecté, l’Occupation se serait écroulée d’elle-même sous le poids de sa propre illégalité.

Mais dès lors que le pouvoir du plus fort est devenu la base des négociations, Israël a aisément écrasé les Palestiniens. A ce jour, les Palestiniens n’ont rien à espérer des négociations. Avec les USA qui soutiennent l’unilatéralisme israélien et utilisent le véto à l’ONU comme moyen de neutralisation de toute voie menant à une issue du conflit, et avec la passivité des Européens, les Palestiniens sont coupés de tout.

Ras-le-bol d’Israël qui, par son expansionnisme dans les zones palestiniennes, a bloqué jusqu’à la possibilité d’un Etat palestinien viable. Le monde dans son entier n’a pas mesuré « l’offre généreuse » des Palestiniens : la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1967 contre un Etat palestinien dans les Territoires Occupés. Ou, pour s’exprimer autrement, un Etat d’Israël sur 78 % de la Palestine historique, et les Palestiniens (qui sont maintenant majoritaires dans le pays) acceptant un Etat sur seulement 22 % de celle-ci.

Avec le soutien des USA et la complicité de la communauté internationale, Israël est maintenant en mesure de rendre son occupation permanente et d’isoler les Palestiniens dans un Etat-prison coupé en cinq « cantons », tous contrôlés par Israël.

Pas de frontières, pas de liberté de mouvement, pas d’eau, pas d’économie viable, pas de Jérusalem, pas de possibilité d’offrir un avenir plein d’espoir à une jeunesse palestinienne traumatisée, brutalisée, sous-éduquée, et appauvrie.

Et ras-le-bol du Fatah qui, en sus de favoriser la corruption, n’a pas véritablement poursuivi un dessein national visant à l’auto-détermination. L’Autorité Palestinienne a géré ses affaires loin du peuple, et a été incapable d’apporter un soutien matériel et moral aux victimes des attaques israéliennes et de la politique de démolition des maisons.

La plupart des Palestiniens n’ont pas voté Hamas (seulement 44 % l’ont fait), donc la porte n’est pas définitivement fermée au Fatah qui devra tirer la leçon de son échec, c’est en tout cas ce que la plupart des Palestiniens semblent espérer.

De fait, ce vote en faveur du Hamas ne représente pas une porte qui s’est refermée, mais une affirmation forte et rationnelle de non-coopération quant à un processus politique qui ne conduit qu’à l’enfermement des Palestiniens. Le Hamas, à tout le moins, s’en tient à la fermeté, au « sumud », au refus de céder.

Ce conflit est trop déstabilisant pour tout le monde pour le laisser encore suppurer, disent les Palestiniens. Vous pouvez nous imposer à tous un système d’apartheid, nous condamner sur le thème de la violence tout en refusant de voir le terrorisme d’Etat pratiqué par Israël, développer votre programme lié à l’Empire américain et vos idées sur le « clash des civilisations », mais nous, les Palestiniens, nous ne céderons pas. Nous ne coopérerons pas. Nous ne participerons plus à vos jeux truqués. Et à la fin, malgré votre puissance, vous viendrez à nous pour demander la paix. Alors, nous serons prêts pour une paix juste qui respecte les droits de tous les peuples de la région, y compris des Israéliens. Mais vous ne nous vaincrez pas.

En tant que Juif israélien qui constate combien l’occupation a sapé les fondements moraux de mon pays et bien sûr de tout mon peuple, et en tant qu’habitant d’Israël-Palestine qui sait combien mon sort est inextricablement lié à celui des Palestiniens, je prie pour qu’une telle issue arrive au plus vite plutôt que trop tard.

Jeff Halper est le Coordinateur de l’ICAHD - Comité Israélien Contre les Démolitions de Maisons.

Il peut être joint à jeff@icahd.org mailto:jeff@icahd.org.

Traduction : Claire Paque