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Auront-elles lieu ?

Élections sous occupation

Que vaudra le résultat ?

mercredi 18 janvier 2006

( mercredi, 18 janvier 2006 )

À dix jours des législatives, si bien des débats agitent leur société, les Palestiniens se rejoignent en général pour dire que « cela n’a pas grand sens de procéder à des élections sous occupation ». Ce sentiment semble s’être renforcé avec le temps, entre les premières élections générales de 1996 et les scrutins présidentiels et municipaux de l’an dernier. Il est exacerbé par les fortes déceptions concernant « le processus de paix » et la situation intérieure marquée par de très vives tensions et les scènes d’anarchie, notamment dans la bande de Gaza. S’ils tiennent au scrutin, c’est surtout par soif de changer « de têtes » et par « nécessité » de renouveler leur Parlement, en place depuis 1996. La confusion générale est alimentée en arrière-plan par la situation politique en Israël, suite à l’hospitalisation du premier ministre Ariel Sharon et sa mise à l’écart probable de la vie politique.

Une question reste en suspens malgré les assurances internationales : les élections auront-elles bien lieu ? Ceux qui répondent par l’affirmative sont certains que « les États-Unis y tiennent pour redorer leur blason ». Et de dénoncer la manœuvre en avouant leur crainte de se voir pris au piège dans « un jeu à l’irakienne ». Une crainte particulièrement répandue parmi les quelque deux cent mille Palestiniens de la partie occupée de Jérusalem où le vote aura lieu comme lors des précédents scrutins dans les bureaux de poste : en 1996, les électeurs mettaient eux-mêmes leur bulletin dans l’urne, mais pour les présidentielles de 2005 ils le donnaient aux employés de poste sans même parfois apercevoir l’urne où il était censé être déposé, augmentant donc l’impression d’être considéré comme un électeur « par correspondance ». Ici, les frustrations sont portées à leur comble et s’expriment ouvertement lors des meetings électoraux : « Je me réjouis de voir autant de responsables politiques venir nous parler, rien que pour cela j’aimerais que nous ayons des élections tous les mois ! » ironise Firas, venu assister dans la même journée à un meeting du parti au pouvoir, le Fatah, puis à un autre de « la troisième voie », la liste de la députée bien connue Hanane Ashraoui et du ministre des Finances Salam Fayyad, très apprécié des Occidentaux. Une liste qui se veut une alternative au Fatah et au groupe radical Hamas, interdit pour sa part par Israël de faire campagne à Jérusalem. Beaucoup de citoyens, s’ils vont écouter les candidats, se demandent toujours pour qui voter, voire même s’ils vont aller voter : « Politiquement l’action est bien sûr importante, explique Ahmad, trente-cinq ans, mais à Jérusalem nous sommes sous occupation totale. Alors, même avec la meilleure volonté du monde, nos futurs élus ne pourront pratiquement rien faire pour nous au quotidien. »

On fait aussi remarquer que les arrangements de 1996 ne valent plus, le contexte ayant terriblement changé, ne serait-ce que par la construction du mur qui découpe les quartiers palestiniens en îlots isolés. C’est avec une certaine appréhension que l’on se remémore ce scrutin : « Devant tous les bureaux de poste, il y avait des soldats israéliens avec des chiens, se rappelle Yaoub, habitant de la vieille ville de Jérusalem. Ma sœur a eu tellement peur qu’elle est retournée chez elle sans aller voter ! Moi, je suis entré, mais j’espère que cette fois-ci j’aurai un meilleur accueil ! » Pour les Palestiniens de la partie occupée de la Ville sainte, le droit de voter commence au seuil de leur porte, par le droit de se rendre, le moment venu, jusqu’aux bureaux de vote sans être intimidés.

Valérie Féron de l’Humanité du 16 janvier 2006