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Comment tenter, à 73 ans, de se refaire une virginité

L’affaire Khaddam, un trés médiocre scénario, un bien piètre acteur

Nauséabond, qui va se laisser abuser ?

dimanche 15 janvier 2006

SYRIE - 8 janvier 2006 - par RIDHA KÉFI
http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN08016laffamaddah0

Que cherche donc l’ancien vice-président en mettant publiquement en cause la responsabilité de Bachar al-Assad dans l’assassinat de Rafic Hariri ?

Ses désaccords avec le président syrien Bachar al-Assad sont apparus au grand jour au mois de juin, quand, à l’issue du dixième congrès du parti Baas, Abdul Halim Khaddam a démissionné de son poste de vice-président, devenu il est vrai essentiellement honorifique, pour s’installer à Paris. Depuis, les médias arabes ne cessent d’évoquer ses démêlés avec l’équipe au pouvoir, ses ambitions supposées et les accords qu’on le soupçonne d’avoir passés avec d’autres apparatchiks baasistes tombés en disgrâce (notamment l’ancien chef d’état-major Hikmat Shehabi) dans la perspective d’un changement de régime à Damas.
Six mois durant, Khaddam s’est soigneusement gardé de toute déclaration à la presse et s’est abstenu de démentir les nombreuses rumeurs dont il était l’objet. Parallèlement, sa démission, qui n’a même pas été annoncée officiellement, n’a donné lieu à aucune campagne de dénigrement dans les médias syriens, pourtant totalement inféodés à la volonté du « prince ». Jusqu’à la fin du mois de décembre, la rupture n’était donc pas consommée. Des tractations secrètes ont même eu lieu avec de proches collaborateurs du chef de l’État, manifestement désireux de ramener « Abou Jamel » - c’est son surnom - à de meilleurs sentiments. Et de le dissuader de prendre part à la campagne internationale déclenchée contre son régime après l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005.

Sa décision de couper tous les ponts avec Damas, Khaddam l’a donc mûrement réfléchie. Et préparée. Il a ainsi attendu que tous les membres de sa famille l’aient rejoint dans son exil parisien (officiellement, à l’occasion des fêtes de fin d’année) pour la rendre enfin publique. La précaution n’était assurément pas superflue. Dans l’entretien - le premier depuis son départ de Syrie - diffusé le 30 décembre par la chaîne satellitaire saoudienne Al Arabiya, l’ancien vice-président n’y va pas, en effet, par quatre chemins.

« Hariri a reçu de nombreuses menaces de la part de la Syrie, révèle-t-il. Des choses dangereuses ont été dites. Un jour, il a été convoqué à Damas, où le président Bachar lui a parlé en termes extrêmement durs, menaçant d’écraser tous ceux qui [lui] désobéiront. » À l’appui de ses affirmations, Khaddam cite trois sources que la commission d’enquête onusienne sur l’assassinat de Hariri n’interrogera certainement pas. Et pour cause : Hariri et Ghazi Kanaan, l’ancien ministre de l’Intérieur, sont morts. Quant au « président Bachar », comment croire qu’il acceptera de témoigner devant elle ? Comme pour enfoncer le clou, Khaddam explique que ce dernier « monopolise toutes les décisions » et qu’« en principe les services de sécurité n’auraient pas pu agir au Liban sans son aval ».

Selon lui, Assad a eu tort de soutenir sans réserve Rustom Ghazalé, l’ancien chef des renseignements syriens à Beyrouth, qui n’hésitait pas à insulter les responsables libanais et qui a soulagé la banque libanaise al-Madina de 35 millions de dollars. De même, il n’aurait jamais dû se laisser manipuler par les services libanais et par le président Emile Lahoud, adversaire déclaré de Hariri.

Bref, pour Khaddam, la politique menée par la Syrie au Liban est un échec complet. Et sa politique étrangère en général ne vaut guère mieux, comme en témoigne l’état désastreux des relations de Damas avec Paris, Washington et Riyad. Il en rend responsable la rigidité de Farouk al-Chareh, son successeur à la tête de la diplomatie... Mais l’ancien numéro deux du Baas n’épargne pas davantage la politique intérieure d’Assad, qui n’a pas su mettre en route les réformes nécessaires, et stigmatise la corruption de l’entourage présidentiel et de l’administration, qui mène le pays à la faillite.

Même s’il n’apporte aucun élément susceptible d’étayer juridiquement une mise en cause du régime syrien dans l’assassinat de Hariri, ce témoignage a fait l’effet d’une bombe à Damas. Parce qu’il émane d’un ex-pilier du régime et conforte les conclusions de la commission d’enquête onusienne. La réaction ne s’est pas fait attendre : dès le lendemain, au Parlement, les députés s’en sont violemment pris à Khaddam, accusé de « haute trahison », et voté une motion demandant l’ouverture de poursuites judiciaires à son encontre. Le 1er janvier, le Baas s’est joint à la curée en décidant de limoger l’ancien vice-président. Le même jour, le quotidien officiel Al Thaoura a annoncé que le gouvernement syrien avait pris des mesures pour faire juger Khaddam et avait diligenté une enquête sur son implication supposée dans une série d’affaires de corruption - avec saisie de ses biens.

Les révélations faites par certains journaux israéliens - et mollement démenties par l’intéressé dans un communiqué du 3 janvier - selon lesquelles il aurait reçu dans sa résidence parisienne, au cours des derniers mois, des membres des services de renseignements français, américains, saoudiens et israéliens ont encore fait monter la pression médiatique, à Damas, contre le « traître ». Des sites Internet proches du régime ont diffusé une liste exhaustive de ses biens, enregistrés pour la plupart aux noms de son épouse (Najet Marqabi), de ses fils (Jamel, Jihad et Bassem), de sa fille (Rym), de ses gendres, beaux-frères, cousins et cousines. On parle de plusieurs « palais » en Syrie, au Liban et en France - dont un hôtel particulier avenue Hoche, à Paris, que lui aurait offert Hariri (il aurait naguère appartenu à la fille de l’armateur grec Aristote Onassis) -, de deux yachts (Maya I et Maya II), de participations dans d’innombrables entreprises, centres commerciaux et chaînes de restaurants, ainsi que d’importantes sommes d’argent déposées dans des banques libanaises, françaises et suisses - leur montant total serait de l’ordre de 700 millions de dollars.

La commission d’enquête des Nations unies, dont le mandat vient d’être renouvelé pour six mois par le Conseil de sécurité, n’a pas tardé, elle non plus, à réagir : elle a officiellement demandé à interroger Bachar al-Assad, Farouk al-Chareh et Khaddam lui-même. Dos au mur, Damas serait prêt à accepter que le chef de sa diplomatie, et lui seul, vienne témoigner.

Au-delà de leur valeur juridique, les « révélations » de Khaddam à Al Arabiya posent un certain nombre de questions. Qu’est-ce qui a poussé l’ancien vice-président à rompre spectaculairement avec un régime dont il fut, quarante ans durant, l’un des hommes clés ? Est-ce à cause des pressions internationales auxquelles celui-ci est soumis ? Tente-t-il de quitter le navire avant son naufrage annoncé ?

« J’ai beaucoup de choses à dire. Vous imaginez les informations importantes et graves que je détiens. Mais l’intérêt de la Syrie m’interdit de les divulguer », déclare Khaddam. S’il ne fait guère de doute qu’il détient nombre de secrets d’État, il est peu probable qu’il soit en possession d’éléments permettant d’identifier les commanditaires de l’assassinat de Hariri. Pour la simple raison qu’il était déjà hors du cercle de décision à Damas dans les mois qui ont précédé le crime.

Et si, en déballant le linge sale du régime, Khaddam cherchait seulement à obtenir une amnistie pour les forfaits qui pourraient lui être reprochés ? N’était-il pas aux premières loges lors des pires atrocités commises par les Syriens au Liban ? Les images des anciens dirigeants irakiens face à leurs juges ont pu lui donner à réfléchir... Mais ne soyons pas naïfs. En proposant implicitement ses services à la France, aux États-Unis, à l’Arabie saoudite et à Israël (dont il n’a dit que du bien dans son entretien à Al Arabiya), et en affichant une foi libérale et des penchants démocratiques qu’on ne lui connaissait pas, Khaddam cherche manifestement à se placer dans la course à « l’après-Bachar ». De fait, même si son passé trouble à l’ombre de Hafez al-Assad et sa réputation de corrompu ne plaident pas en sa faveur, il ne manque pas d’atouts pour devenir un « Allaoui syrien », comme le surnomment déjà ses détracteurs, à Damas.

Khaddam est d’abord un homme du sérail, pour qui la vie politique locale n’a point de secret. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie de Banias, sur la côte méditerranéenne, il fut avocat à Damas de 1954 à 1964. Ayant rejoint le parti Baas à l’âge de 17 ans, il s’engage totalement en politique à la suite du coup d’État perpétré par des officiers baasistes en 1963. Nommé gouverneur de Qunaitra, chef lieu du Golan, en 1967, il est nommé ministre de l’Économie et du Commerce extérieur (1969), chef de la diplomatie et vice-premier ministre (1970-1984), puis vice-président chargé de la politique syrienne au Liban (1984-2000). Successeur constitutionnel de Hafez al-Assad à la mort de ce dernier, le 10 juin 2000, il assure l’intérim de la présidence et facilite l’accession de Bachar à la magistrature suprême.

Appartenant à la majorité sunnite (plus de 70 % de la population), mais marié à une alaouite (la minorité d’obédience chiite qui accapare le pouvoir à Damas depuis quarante ans), il est, à 73 ans, le responsable syrien le moins détesté au Liban. Il fut d’ailleurs le seul à assister - « à titre personnel », dit-il - aux obsèques de Hariri. Khaddam dispose par ailleurs de précieux appuis en Arabie saoudite. Comment imaginer qu’Al Arabiya ait pu diffuser l’entretien sans le feu vert des autorités de ce pays ? Majoritairement sunnites, les Saoudiens se montrent fort inquiets de l’avancée des chiites en Irak et ne seraient pas mécontents que la Syrie soit enfin gouvernée par un sunnite. Khaddam en est, à l’évidence, bien conscient. Reste à savoir si le pouvoir est vraiment à prendre, à Damas.

À la vérité, très peu d’acteurs de scène politique régionale ont intérêt à la chute de Bachar al-Assad. Tous redoutent que la Syrie, dont la configuration ethnico-religieuse n’est pas moins éclatée que celle de l’Irak, tombe aux mains de milices armées et sombre dans l’anarchie. Les Arabes, Saoudiens et Égyptiens en tête, redoutent, par exemple, la répétition d’un scénario « à l’irakienne ».

Tout en invitant les autorités syriennes à reconnaître « l’indépendance et la souveraineté du Liban » et à établir avec lui des relations diplomatiques, les États-Unis et leurs alliés occidentaux, notamment la France, ne souhaitent plus une chute rapide du régime. En l’absence d’une alternative crédible, la prise du pouvoir par les islamistes syriens - tous sunnites - risquerait de doper la résistance irakienne - sunnite, elle aussi - et de lui fournir une base arrière pour lancer des attaques contre les troupes de la coalition.

Quant aux Israéliens et aux Turcs, ils ont de bonnes raisons, eux aussi, de souhaiter le maintien d’un régime baasiste affaibli, certes, mais capable de maintenir un semblant d’ordre aux frontières, de contenir les velléités sécessionnistes des Kurdes syriens et de réduire son soutien au Hezbollah libanais, aux groupes palestiniens opposés au processus de paix et, surtout, à l’Iran, désormais engagé dans une épreuve de force avec l’Occident.

Les discussions se sont multipliées, la semaine dernière. À Riyad, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a rencontré le président égyptien Hosni Moubarak. À Paris, ce dernier s’est entretenu avec le président Jacques Chirac. À Beyrouth, Jack Straw, le chef de la diplomatie britannique, en a fait de même avec les responsables libanais. Enfin, un émissaire saoudien devait se rendre à Damas pour discuter avec les Syriens. Et si une solution « à la libyenne » - allusion au règlement de l’affaire de Lockerbie - était en train de se mettre en place ? En livrant aux enquêteurs un bouc émissaire, la Syrie montrerait sa volonté de coopérer avec la communauté internationale. Pourquoi pas le général Rustom Ghazalé ? Le 3 janvier, dans un entretien avec Al Jazira, l’ancien « proconsul » syrien au Liban s’est déclaré prêt à « se sacrifier » [sic] pour son pays.