Accueil > Rubriques > Paix et Justice - Géopolitique > Formaliser l’Apartheid sous l’apparence d’une initiative (...)

A l’inverse de ce que déclarait, aujourd’hui même à Strasbourg, l’ambassadeur d’Israël en France devant un jeune public de l’Institut d’études politiques (ndlr)

Formaliser l’Apartheid sous l’apparence d’une initiative de paix

par Neta Golan et Mohammed Khatib

lundi 15 octobre 2007

Il est éminement souhaitable que l’IEP de Strasbourg propose à l’ambassadrice de l’Autorité palestinienne en France la même tribune que celle qu’il vient de mettre à disposition de son homologue israélien et ceci dans les meilleurs délais. M.F.

----------------------------------------------------

Le mois prochain, les Etats-Unis ont l’intention d’accueillir une réunion régionale pour discuter de la paix au Moyen-Orient, ou au moins de la paix entre Israël et les Palestiniens.

Des manœuvres, des marchés et des négociations sur ce qui sera mis sur la table sont en cours depuis un certain temps. Mais les détails de l’accord qui est en cours de discussion ont été gardés secrets, en dehors des fuites régulières et des ballons d’essai.

En déchiffrant ces informations et en observant les faits sur le terrain, on peut avoir une bonne idée de la « prochaine offre généreuse » d’Israël.

Des manœuvres politiques peuvent sembler être une bonne chose si les détails restent flous, mais lorsqu’on les examine de plus près, il devient évident que la prochaine offre des Israéliens n’est pas aussi généreuse que ça.

À l’instar des Accords d’Oslo et du « Plan de Désengagement » de Gaza, le processus de paix qui est mijoté actuellement est une initiative pour consolider le contrôle israélien sur l’ensemble de la Palestine historique tout en débarrassant Israel de sa responsabilité sur une grande partie de la population palestinienne.

Le piège se trouve dans les détails qui suivent.

L’accord posé sur la table offre aux Palestiniens ce que le président israélien Pérès appelle « l’équivalent de 100% des territoires occupés en 1967. »

Selon Pérès, Israël conservera ses principaux centres de population de Cisjordanie, connus également sous le nom de blocs de colonisation, qui, selon Pérès, ne représentent que 5% de la Cisjordanie.

En échange, Israël se propose de donner aux Palestiniens la même quantité de territoire ailleurs. Israël donnera en échange des terres en Israël peuplées par des Palestiniens qui possèdent la citoyenneté israélienne. Cela permettra à Israël d’éliminer une partie de sa population arabe, que la plupart des Israéliens juifs considèrent comme une « menace démographique » à la nature de l’État juif.

Quand des politiciens israéliens comme Pérès parlent de conserver 5% de la Cisjordanie, ils n’incluent pas Jérusalem-Est occupée. Israël a annexé illégalement et unilatéralement Jérusalem-Est en 1967-68.

Ainsi, des sources israéliennes prétendent qu’il y a 250.000 colons israéliens en Cisjordanie, oubliant totalement les à peu près 250.000 autres colons de Jérusalem-Est occupée.

Alors que vous lisez ces mots, des blocs de colonies de peuplement sont créés et construits.

Pendant des années, Israël a créé des centres de population sur des terres stratégiques qui morcellent la Cisjordanie en îlots déconnectés, maintiennent l’accès des Israéliens aux ressources en eau de la Cisjordanie et étranglent la Jérusalem arabe.

L’annexion de facto de ces 9,5% stratégiques de la Cisjordanie derrière le mur d’Apartheid d’Israël a déjà eu lieu. Le processus de « paix » ne fera que la rendre officielle.

En mars 2006, le parti nouvellement formé Kadima a été élu pour mettre en oeuvre le « plan de convergence » d’Ariel Sharon.

Selon ce plan, les colonies non stratégiques à l’extérieur des blocs de colonisation seraient démantelées. Les colons évacués seraient réinstallés dans les « blocs » derrière le mur qui, à leur tour, seraient annexés par Israël.

Le 14 avril 2004, le Président Bush a écrit au Premier Ministre de l’époque, Ariel Sharon : « En fonction de la nouvelle réalité sur le terrain, entre autre la présence de centres de population israélienne importants, il serait irréaliste de s’attendre à ce que les pourparlers se terminent par un retour absolu aux lignes d’armistice de 1949... » Cette lettre a ensuite été ratifiée par les deux Chambres du Congrès américain.

Israël a pris cela comme un feu vert des Etats-Unis pour conserver toutes les zones qu’il pouvait remplir de colons. Par conséquent, en dépit de la Feuille de Route qui exigeait d’Israël un gel de l’expansion des colonies, Israël a accéléré la création de ce qu’on appelle des centres de population « existants » dans des zones importantes au niveau stratégique, connues sous le nom de blocs de colonisation.

Dans la même lettre à Sharon, Bush déclarait également : « Il semble évident qu’un cadre juste, honnête et réaliste pour une solution au problème des réfugiés palestiniens dans le cadre d’un accord de statut final devra être trouvé par le biais de la création d’un Etat palestinien dans lequel s’installeront les réfugiés palestiniens, plutôt qu’en Israël. »

En conséquence, dans l’offre faite par Israël, les réfugiés palestiniens obtiendront le droit au retour, pas dans leurs maisons, mais dans des petites parties non contigües à leur patrie d’origine divisée en unités territoriales déconnectées, sans aucune chance de maintenir une économie durable et sans aucun contrôle sur l’eau, l’énergie ou sur d’autres ressources indispensables. Ils seront autorisés à revenir dans une cage dont chaque porte sera gardée par Israël.

Les projets israéliens, soutenus par ces garanties américaines, créent une insupportable situation d’Apartheid pour les Palestiniens. Mais les Palestiniens risquent de ne même pas recevoir une telle offre « généreuse » d’Apartheid en novembre.

Maintenant, à moins de seize mois du départ de l’administration Bush, Ehud Olmert manque de poids politique pour mener au bout l’offre d’Israël.

Le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, a récemment déclaré son opposition à ce qu’il a appelé « le retrait des principes israéliens qui ont résisté pendant 40 ans, simplement pour trouver grâce aux yeux d’un président américain qui quitte son poste dans un an. »

Par conséquent, suite aux réclamations de l’Administration d’Olmert, les objectifs de la réunion régionale ont été édulcorés à une déclaration commune qui définira les bases d’un futur accord. Olmert exige que la déclaration commune comprenne une référence à la lettre de Bush à Sharon d’avril 2004 et à la Feuille de Route.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a indiqué que l’objectif est de déclarer un État palestinien « de transition » avec des frontières « provisoires », une option qui apparaît dans la deuxième phase de la Feuille de Route.

Quand Israël a accepté la Feuille de Route en mars 2003, il y a joint « 14 réserves. » Israël considère ces réserves comme faisant partie intégrale de la Feuille de Route.

La 5ème réserve israélienne déclare : « L’Etat provisoire aura des frontières provisoires et certains aspects de souveraineté, il sera complètement démilitarisé sans forces militaires, ... il sera sans autorité pour engager des alliances de défense et de coopération militaires. Israël controlera toutes les entrées et sorties des personnes et des marchandises, tout comme son espace aérien et son spectre électromagnétique. »

Un tel Etat serait coincé entre le Mur de séparation, la « frontière démographique » d’Israël, et la Vallée du Jourdain, « la frontière de sécurité » d’Israël" avec la Jordanie. Avec la Vallée du Jourdain qui représente environ 30% de la Cisjordanie, Israël conserverait, dans ce scénario, probablement plus de 40% de la Cisjordanie.

Cet Etat palestinien transitoire serait composé d’une série de bantoustans isolés, ou comme Sharon, qui est le père du projet, préférait s’y référer, « des cantons. »

Dans le passé, les Palestiniens insistaient pour que cette option d’Etat temporaire soit retirée de la Feuille de Route, car l’histoire de l’occupation israélienne montre que les « mesures provisoires » deviennent presque toujours permanentes.

Toutefois, les négociateurs palestiniens acceptent désormais la possibilité d’un Etat temporaire à condition qu’ils reçoivent des garanties internationales que la troisième et la dernière phase de la Feuille de Route, qui comprend un règlement permanent, sera mis en oeuvre dans un délai de six mois. Israël n’a pas l’intention d’accepter cette condition.

Il est douteux que le président palestinien, Mahmoud Abbas, soit en mesure d’accepter cette offre sans un agenda pour un règlement permanent. Mais peut-être qu’il n’est même pas censé l’accepter. Car si Abbas refuse une autre « offre généreuse » israélo-américaine, son rejet pourrait être présenté au monde comme une preuve de plus qu’il n’y a pas de « partenaires pour la paix » palestiniens. Israël aurait alors une « excuse » pour mettre en oeuvre son plan de convergence unilatéral.

Le plan de « convergence » unilatéral permettra de créer une situation en Cisjordanie semblable à celle qu’a créé le « Plan de Désengagement » unilatéral dans la bande de Gaza.

Les habitants de Gaza, dont 70% sont des réfugiés de ce qui est aujourd’hui Israël, sont actuellement isolés, affamés et sous un blocus israélien total au niveau terrestre, aérien et maritime.

Olmert, Bush, Blair et leurs complices dans le « Quartet » possèdent une vaste et complexe machine de relations publiques dotée de ressources infinies qui, par le biais d’un accès illimité aux médias dépourvus d’esprit critique, peut faire passer un processus d’Apartheid en une « paix » convaincante.

Au cours de la réunion de novembre, ils assureront au monde leur engagement en faveur d’un Etat palestinien (avec les séances de photos appropriées Abbas/Olmert/Bush)

Ils promettront de donner des millions de dollars, pour financer la « construction des institutions » palestiniennes et l’aide humanitaire et ils armeront les troupes, afin de « maintenir la paix » à l’intérieur des bantoustans.

Les Etats arabes normaliseront leurs relations avec Israël, ce qui renforcera les Etats « modérés » dans l’ensemble de la région et calmera la rue arabe, condition préalable à une frappe américaine dirigée contre l’Iran.

Même les participants au Sommet se rendent compte que l’occupation israélienne n’est plus viable dans sa forme actuelle.

Si nous, la communauté de paix et de justice, arrivons à dévoiler ce qui se cache vraiment cette dernière manoeuvre, Israël pourrait, pour la première fois, être contraint à des négociations équitables.

Pour ce faire, nous devons nous mobiliser immédiatement. Il est de notre devoir d’apprendre au reste du monde ce que signifient réellement ces discussions et dire la vérité sur ce qui se passe. C’est littéralement écrit sur le mur et sur le terrain.

Il a fallu plusieurs mois, voire des années, pour dénoncer l’horrible vérité de la première « offre généreuse. »

Ne faisons pas la même erreur.

Source : http://www.zmag.org/ Traduction : MG pour

Neta Golan est une militante israélienne de la paix et de la justice vivant à Ramallah et cofondatrice du Mouvement de Solidarité Internationale (ISM). Mohammed Khatib est l’un des principaux membres du Comité populaire Contre le Mur de Bil’in et secrétaire du Conseil municipal du village de Bil’in