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Analyse N° 7 - Paix et Justice au Moyen-Orient

Washington-Moscou-Téhéran : coopérer et partager

Mercredi, 27 mai 2015 - 6h48 AM

mercredi 27 mai 2015

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L’analyse aurait pu être intitulée : " Georges W. Bush l’a rêvé ; Barack Obama l’a réalisé".

En effet, l’invasion de l’Irak en 2003 sonnait comme le point de départ d’un grand remodelage du Moyen-Orient qui devait conduire à la décomposition des grands Etats du Moyen-Orient (l’Irak, la Syrie, l’Iran, l’Afghanistan, la Turquie, l’Arabie saoudite, etc.), à la création de petits Etats confessionnels (chiites, sunnites) ou ethniques (Kurde, azéri, baloutche), faibles et dépendants des puissances colonialistes occidentales, en particulier américaine laquelle songeait à la naissance d’un « Grand Moyen-Orient » à sa botte.

Où en sommes-nous 12 ans après l’invasion de l’Irak ? Le pays est pratiquement divisé en trois parties : chiite (du centre au sud), kurde (à l’est) et sunnite dans le reste de l’Irak. A son tour, la Syrie est pratiquement coupée en deux : entre la « Syrie utile » où règne le régime dictatorial de Bacha Al- Assad, avec l’accès à la Méditerranée et la partie désertique du centre et de l’est aux mains de l’Etat islamique (EI).

D’autres insurgés syriens, appuyés par leurs « amis » venus d’ailleurs ; insurgés soutenus par des puissances occidentales, en particulier américaine et ses obligés locaux (la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et Israël) sont regroupés au sein d’une nouvelle alliance militaire, Jaish Al-Fatah (Armée de la conquête), regroupant des combattants djihadistes, salafistes et proche des Frères musulmans. Ladite alliance mène bataille au nord de la Syrie et, grâce au soutien de ses « amis », s’est emparée de la province d’Idlib.(1) Voici pour le décor.

La lecture de la presse officielle n’apprend pas grand-chose sur les dessous de table des négociations entre les puissances militaires qui, par milices, aviations et armées officielles interposées, s’affrontent sur le vaste champ de bataille moyen-oriental, coopérant d’une part, pour combattre un ennemi commun et discutant d’autre part pour partager des lambeaux de l’Irak, de la Syrie et du Yémen.

L’ « ennemi commun », c’est l’EI qui n’est pas si ennemi que cela pour les Etats-Unis et ses pions locaux comme la Turquie et l’Arabie saoudite, fournisseurs de milliers de djihadistes au sein de l’EI.

L’EI, c’est comme les talibans afghans ou la « bande à Ben Laden », imprégné d’idéologie médiévale wahhabite, armé indirectement par les Etats-Unis, instrument de la domination américaine, au service du remodelage du Moyen-Orient. Les diatribes antioccidentales de l’EI n’y changent rien. En effet, l’EI s’arme en matériel américain récupéré de l’armée inexpérimentée irakienne qui abandonne chars, canons et missiles aux djihadistes. L’EI, largement financé par les pétromonarchies du Golfe Persique, ou par la vente du pétrole, via la Turquie, n’est in fine qu’un exécutant de plus des plans américains. L’EI fait partie du même club que l’Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar, Israël, etc.

Les faits sur le terrain montrent que les Etats-Unis n’ont aucunement l’intention de déloger l’EI de l’Irak ou de la Syrie. L’objectif des bombardements aériens des Etats-Unis, de ses alliés arabes et des attaques opérées par les milices chiites - ce qui donne l’impression d’une coopération militaire américano-iranienne contre l’EI - consiste à imposer les limites de l’extension de l’EI.

L’Iran ne souhaite pas avoir de frontières communes avec l’EI et pousse vers l’ouest en soutenant les Kurdes irakiens. L’Iran empêche également l’EI de s’approcher de Bagdad. D’où la contre offensive des miliciens chiites sur Ramadi, à l’ouest de Bagdad.

Quelle est la valeur militaire réelle de l’EI ? L’échec de l’EI à mettre la main sur Kobané, ville kurde au nord de la Syrie, la reprise presque facile de Tikrīt et l’actuelle bataille pour la reprise de Ramadi où les petites villes situées à l’est de la ville ont été reconquises rapidement par les miliciens chiites, montrent la médiocrité des tacticiens militaires de l’EI dont l’ « armée » se disperse sur un vaste champ de bataille et n’arrive pas à conserver les positions conquises.

Le Yémen est un autre front où les Etats-Unis, via l’Arabie saoudite, sont en train de décomposer le pays. Il est à souligner que l’Arabie saoudite s’inspire de son mentor américain en Irak. En effet, les bombardements massifs de l’aviation de la coalition menée par l’Arabie saoudite ont favorisé l’expansion djihadiste. Profitant du chaos généré par l’intervention de la coalition, Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) a récupéré dans la base de Moukalla (comme l’EI dans les casernes de l’armée irakienne) des chars d’assaut, des canons et des lance-roquettes. Conséquence : l’AQPA est actuellement en mesure de mener des attaques jusqu’à Aden, Sanaa et même Saada, fief houthiste dans le nord.(2)

L’Arabie saoudite et l’AQPA complices ? Objectivement oui. En effet, depuis le 26 mars, aucune frappe de la coalition n’a visé AQPA, imprégné d’idéologie wahhabite, agissant dans la même direction que l’Arabie saoudite : la partition du Yémen souhaitée par les Etats-Unis.

Depuis 1979, date de la révolution islamique en Iran, la vaste région du Moyen-Orient vit en situation de guerre permanente. Suite à la guerre Irak-Iran, puis après l’invasion illégitime de l’Irak par les Etats-Unis, l’Iran était à son tour menacé d’invasion et de partition. L’acquisition du procédé d’enrichissement de l’uranium a, pour l’instant, sanctuarisé le pays qui, depuis le début des négociations avec les puissances occidentales, est passé du stade de pays victime au stade de pays complice des puissances vautours.

Désormais, les négociations permanentes entre l’Iran, les Etats-Unis et la Russie rythment les coopérations multipartites, les affrontements militaires sur le terrain et le partage de zones d’influence au Moyen-Orient. L’Iran développe ainsi les siennes en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen où la population déshéritée subit de plein fouet les foudres de guerre de l’aviation de la coalition. Pour quel résultat ? « Les houthistes n’ont pas fléchi au combat (…) Il est difficile de parler d’une victoire saoudienne (…) La guerre n’a rien tranché. Elle n’a pas non plus abouti à une solution politique ni réussi à redéfinir les règles du jeu. »(3)
Pour imposer leur point de vue, elles (les puissances militaires) vont continuer à se battre au Yémen jusqu’à arracher un maximum de concessions sur le dos de la population miséreuse.

Que se sont dit le secrétaire américain, John Kerry, et le président russe, Vladimir Poutine à Sotchi, mardi 12 mai 2015 ? Selon Isabelle Mandraud, journaliste au quotidien Le Monde, « Moscou n’a pas donné le signe d’une inflexion de sa politique vis-à-vis de Damas ».(4) Les tueries peuvent donc continuer. Ce que se diront les représentants des Etats-Unis et de l’Iran au cours de leurs prochaines rencontres à Vienne ou à Genève, aura surement des conséquences sur les champs de bataille au Moyen-Orient où les milices chiites gagnent en efficacité.

Le cœur du Moyen-Orient bat au rythme des pourparlers entre Washington-Moscou-Téhéran, au prix du massacre de civils et de destructions incalculables.

1) Benjamin Barthe et Marie Jégo - Le Monde du 13 mai 2015.
2) Hélène Sallon - Le Monde du 22 avril 2015.
3) Mohamed Abou Roumman - Al-Tagreer (extrait) Riyad - Courrier international n° 1278 du 30 avril au 6 mai 2015.
Le Monde du 14 mai 2015.

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