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L’entité sioniste n’accepte jamais comme étant acquises des contraintes physiques ou géographiques, il utilise la force, la créativité et les ressources financières « pour établir des faits sur le terrain » et pour plier l’environnement à sa volonté.

Eyal Weizman : Désintégration verticale

Par James Ron

jeudi 26 juillet 2007

James Ron, professeur à la Norman Paterson School of International Affairs à Ottawa, est l’auteur de "Frontiers and Ghettos : State Violence in Serbia and Israel" (Frontières et ghettos : Violence d’état en Serbie et en Israel." 

En 2002, l’entité sioniste a commencé à construire un ensemble de barrières, fossés et Murs entre son territoire "reconnu" au niveau international et la Cisjordanie palestinienne, en expliquant que c’était la meilleure façon de protéger le cœur d’Israel des kamikazes palestiniens.

En fait, la barrière était une tentative désespérée de dernière minute pour résoudre un problème épineux de sécurité fabriqué par l’entité sioniste elle-même.

A la fin des années 70, le projet de colonisation agressif de l’entité sioniste avait exponentiellement augmenté le trafic de l’autre côté de la Ligne Verte, rendant presqu’impossible de faire la différence entre les voyageurs légitimes et les voyageurs clandestins.

Un grand nombre des 400.000 colons juifs franchissent la Ligne Verte quotidiennement, ainsi que des milliers de soldats de l’occupation.

L’annexation de Jérusalem-Est par Israel a donné à des dizaines de milliers de Palestiniens des cartes d’identité sionistes, leur permettant de franchir la ligne à volonté.

Jusqu’à récemment, il y avait des dizaines de passages potentiels, ainsi que de longues parties de la frontière sans surveillance.

Pour cette raison et d’autres politiques sionistes, la frontière entre "Israel" et la "Palestine" avait presque disparu, compliquant énormément les efforts pour filtrer les kamikazes. La barrière a donc été construite pour endiguer une blessure auto-infligée, créant un obstacle inattaquable pour canaliser les déplacements entre la zone sioniste et la Cisjordanie par quelques portes fortement gardées.

Beaucoup de libéraux s’y opposent, en arguant du fait que puisqu’elle ne suit pas fidèlement la Ligne Verte, c’est une saisie de terres de facto préalable à un accord sionisto-Arabe.

Le mur sépare en deux de nombreuses communautés palestiniennes, coupant Jérusalem-Est arabe de la Cisjordanie, et laissera par la suite 250.000 Palestiniens bloqués du mauvais côté.

Pourtant beaucoup d’adversaires de l’occupation voient le projet plus positivement, en expliquant que c’est une preuve tangible de la disparition du « Grand Israel ».

La logique des optimistes est simple. Pendant des années, l’entité sioniste a interdit tout signe de séparation de la Palestine, en effaçant la Ligne Verte des cartes officielles et en apprenant aux jeunes sionistes que la terre de l’entité sioniste s’étendait jusqu’au fleuve du Jourdain.

En 2002, pour la première fois, un gouvernement sioniste dirigé par le redoutable faucon, Ariel Sharon, a renversé la tendance en établissant une structure semblable à une frontière qui indique, peut-être, la fin de l’ère de la colonisation.

Les kamikazes palestiniens ont, semble-t’il, accompli en seulement deux ans ce que des décennies de protestations politiques et de diplomatie n’ont pas réussi à faire.

Eyal Weizman, l’auteur de Hollow Land, pense que les optimistes ont tort. Il dit qu’Ariel Sharon n’a jamais conçu le Mur en tant que ligne de séparation entre la Palestine et la zone sioniste mais plutôt comme une dernière ligne de défense dans une matrice de contrôle juif permanent en Cisjordanie.

Weizman est un jeune architecte sioniste dont les études sur "l’architecture de l’occupation" lui ont fait obtenir une renommée dans certains cercles et la notoriété dans d’autres.

Il a l’oeil pour le design, l’espace et la structure, en apportant une nouvelle perspective rafraîchissante sur un sujet jusqu’ici dominé par les journalistes, les historiens et les sociologues.

Le résultat est l’un des livres les plus originaux sur l’entité sioniste paru depuis des années.

Pour tirer ses conclusions pessimistes, Weizman revient à une discussion amère entre les généraux sionistes après la guerre de 1967, quand les troupes de l’IDF ont réglé leurs comptes aux forces égyptiennes le long du canal de Suez.

L’école de la pensée dominante, menée par le Chef d’Etat-Major de l’époque, Haim Bar Lev, voulait une barrière massive, linéaire, composée de fossés et d’un mur le long du côté sioniste du canal. Le plan était de la construire avec du sable, en espérant que lorsque les tirs d’artillerie égyptiens atterriraient, la barrière deviendrait encore plus compacte.

Ce plan rencontrait l’opposition de Sharon, à l’époque un jeune général populaire, qui expliquait que les fortifications linéaires étaient dépassées ; une seul brèche dans la frontière, prévenait Sharon, déclencherait l’effondrement de l’ensemble du front.

Au lieu de cela, il préconisait un système de "défense en profondeur" comme une matrice composée de multiples fortifications de sommets de collines s’étendant sur des kilomètres.

Les ingénieurs construiraient des routes reliant des fortifications de première ligne plus petites à de plus grandes bases arrière, créant un fourré dense de centres défensifs plutôt qu’une simple ligne fragile. (La bande de Gaza, qui est tombée dans une guerre interne, n’a jamais fait partie du plan à long terme de l’entité sioniste. Abritant des centaines de milliers de réfugiés et leurs descendants, la bande de Gaza est essentiellement une prison clôturée où les bandes rivales se battent pour le contrôle. Le "Désengagement" a facilité sa transformation par le gouvernement sioniste en frontière militaire comme le Liban.)

Bar Lev a gagné le débat mais sa fortification linéaire a presque perdu la guerre.

En octobre 1973, les ingénieurs égyptiens ont fait disparaitre sa barrière avec de puissants jets d’eau, envoyant les colonnes de tanks s’écraser dans la ligne de front percée.

Comme Sharon l’avait prédit, le front sioniste s’est effondré, mais au dernier moment Sharon et d’autres ont renversé la tendance, en menant une charge blindée de l’autre côté du canal qui pris les armées égyptiennes par l’arrière.

En grande partie en raison de cette humiliation, le gouvernement du Parti Travailliste de Bar Lev en tombé en disgrace quatre ans plus tard, cédant le pouvoir pour la première fois à un bloc d’insurgés de Droite dirigé par Menachem Begin et ses alliés religieux.

Soutenu par un mouvement de colons messianiques de plus en plus grandissant, Begin, toujours un champion de l’idée du « Grand Israel », a pris le pouvoir avec un désir brûlant de coloniser la Cisjordanie.

En tant que Ministre responsable du projet, Sharon a reçu une immense marge de sécurité et des sommes énormes.

Les gouvernements précédents avaient construit un mince filet de colonies juives le long de la frontière entre la Jordanie et la zone sioniste, mais Sharon a traité cet effort avec le même dédain qu’il avait exprimé pour la ligne de Suez de Bar Lev.
Au lieu de cela, Sharon a imaginé une version civile de son plan de "défense en profondeur" pour la Cisjordanie, y compris une matrice dense de postes civils et militaires dispersée à travers la Palestine. (voir la carte du Plan Sharon)

Son rêve est devenu réalité dans les années 80 et au début des années 90, quand le bruit des bulldozers israéliens a retenti dans toute la Cisjordanie.

Les urbanistes ont travaillé en étroite collaboration avec les colons et les soldats, en inondant la Palestine de dizaines de quartiers exclusivement pour les Juifs à des prix attractifs.

Et tandis que les constructeurs plaçaient des maisons civiles plutôt que des tanks sur les sommets de la Palestine, leurs plans, comme l’a remarqué l’œil de l’architecte Weizman, suivaient une logique militaire, avec des cercles concentriques, des barrières, des projecteurs et des routes de patrouille.

"La disposition donnant sur l’extérieur des maisons (du sommet des collines)", écrit-il, permet aux colons de voir les villes et les villages palestiniens en dessous, transformant la Cisjordanie en "matrice optique émettant d’une prolifération de points/colonies de surveillance dispersées à travers le paysage".

Il cite Gideon Levy de Ha’aretz, qui affirme que la plupart des maisons palestiniennes "peuvent repèrer la colonie sur le sommet de la coline depuis leurs fenêtres".

Bien que les colonies soient habitées par des civils juifs, elles ont été intégrées aux efforts incessants de l’armée pour pacifier les Palestiniens. Pas étonnant, donc, qu’ils servent tellement souvent de cibles aux attaques des militants palestiniens.

En 2002, Sharon a semblé avoir soudainement écrasé les freins, en construisant un mur linéaire près de la frontière israélienne dans une opération qui aurait rendu fier Bar Lev. Que s’est-il produit ? Le léopard a-t-il vraiment perdu ses taches ?

Non, affirme Hollow Land, en suggérant que l’aspect du mur et le tapage médiadique fait à son sujet ont été trompeurs. En fait, la barrière "a cessé d’être un objet singulier et contigu", écrit Weizman.

Au lieu de ça, c’est devenu une série "de morceaux séparés, de fragments et de vecteurs discontinus. Comme un ver découpé en tranches, chacun assumant un regain de vie, les fragments du mur (maintenant)… s’enroulent autour des blocs de colonies isolées et le long des routes qui les relient."

Chacune de ces "barrières de profondeur", comme les appelent les fonctionnaires israéliens, a ses propres détecteurs et fortifications ; elles sont des mini-Murs en soi.

Ainsi, par exemple, 50.000 colons vivant dans quatre principales colonies de Cisjordanie—Ariel, Emanuel, Qedumim et Karnei Shomron—résident maintenant dans des îles extraterritoriales murées situées profondément dans l’espace palestinien. Mais depuis qu’un débat public s’est concentré sur les composants linéaires et visibles du Mur, celles-ci et d’autres barrières de profondeur, indique Weizman, restent "en grande partie invisible à la critique internationale".

Le principal composant nord-sud du mur doit englober 55 colonies juives du côté sioniste, laissant plus de 100 autres du côté palestinien.

Certaines de ces colonies sont transformées en forts d’un seul bloc, mais d’autres sont reliées à la principale barrière par des routes protégées. Peu seront volontairement abandonnées, servant à la place de forts auto-gérés dans la matrice originale de Sharon pour la Cisjordanie.

Si ce plan se réalise, la barrière nord-sud deviendra la dernière ligne de défense entre les Palestiniens et la zone sioniste, et non le premier point de contact entre la zone sioniste et un nouvel Etat palestinien.

Pourtant ce plan semble défier la logique, puisque, comme l’observe Weizman, l’entité sioniste sous Sharon et d’autres a promis à plusieurs reprises aux Etats-Unis, aux Européens et à ses propres citoyens qu’il permettra la création d’un Etat palestinien contigu au niveau territorial.

Tout ce qui est exigé, disent les responsables sionistes, c’est que les Palestiniens mettent de l’ordre dans leur maison. Les colonies découpent toujours la Cisjordanie bien au delà de ce qui est reconnu, et l’entité sioniste ne donne aucune indication qu’il va les démanteler. Comment, alors, peut-il promettre de créer un Etat palestinien viable ?

C’est ici que Hollow Land apporte sa plus importante contribution : en offrant une vision du conflit que seul un architecte pouvait fournir. Les urbanistes sionistes, affirme Weizman, ne pensent plus à la Cisjordanie en termes bidimensionnels ; au lieu de cela, ils ont ré-imaginé la terre comme un système multicouches apparenté à la maquette d’un projet d’architecte.

Dans cet "Hollow Land", prédit Weizman, les urbanistes sionistes prévoient que les juifs —et par la suite les Arabes— vaqueront à leurs occupations dans des mondes séparés verticalement.

Dans ce scénario, la "contiguïté palestinienne sera une affaire tridimensionnelle basée sur des viaducs, des tunnels et des ponts. "Une nouvelle façon d’imaginer l’espace a émergé", explique Weizman.

"Après avoir fragmenté la surface de la Cisjordanie par des murs et autres barrières, les urbanistes israéliens ont commencé à tenter de les intégrer ensemble en tant que deux géographies nationales séparés mais qui se chevauchent — deux réseaux territoriaux se chevauchant dans le même secteur en trois dimensions, sans avoir à se croiser ou à se rencontrer."

Examinons l’affirmation de Weizman que l’entité sioniste a découpé la surface de la terre de la Palestine, du ciel au sous-sol.

Le gouvernement sioniste voit sa suprématie aérienne comme cruciale pour son armée et considère les couches aquifères palestiniennes comme essentielles à son niveau de vie. Ainsi l’entité sioniste a limité l’Autorité Palestinienne à la surface, coinçant un mince ruban palestinien entre deux blocs sionistes plus épais.

Pourtant puisque les sionistes ne se retireront jamais totalement de la Cisjordanie sans mettre en échec d’abord son puissant lobby de colons, même cette entité n’émergera probablement pas de sitôt.

Mais même cette vision est trop optimiste, indique Weizman.

Le véritable projet sioniste est d’établir deux réseaux de transport verticalement isolés qui transporteront les Juifs et les Palestiniens entre leurs communautés dans un isolement splendide et ethno-national.

Pour illustrer ce point, Weizman décrit la combinaison de ponts et tunnels construits en 1996 par l’entité sioniste pour relier la Jérusalem juive à ses colonies de la région d’Hebron.

Pour maintenir la nature exclusivement juive de l’artère, les ingénieurs sionistes ont creusé un tunnel sous la ville arabe de Beit Jalla, dont la surface, selon les Accords d’Oslo de 1993, dépend exclusivement de l’Autorité Palestinienne.
Les équipes de construction ont alors élevé d’autres sections de la route grâce à de grands piliers, envoyant les véhicules juifs grimper au-dessus des vallées palestiniennes. (Carte des Accords d’Oslo)

Les ponts et les tunnels sont eux-mêmes sous contrôle sioniste, créant des couches superposées de souverainetés. Un jour, des avocats pourraient désigner le point de contact entre le pont juif et la surface palestinienne comme étant une frontière internationale.

Dans un chapitre particulièrement fascinant, Weizman explique que ce point de vue a aidé à influencer les efforts diplomatiques américains.

En 2000, le Président Bill Clinton utilisait la verticalité pour tenter de négocier un accord pour la Vieille Ville de Jérusalem, où les lieux saints islamiques sont entourés de leurs équivalents juifs, auprès des négociateurs présents avec des défis écrasants.

En utilisant la contribution d’un architecte sioniste, Clinton a proposé aux Palestiniens une souveraineté sur la surface du Haram al-Sharif islamique et une souveraineté aux sionistes sur la terre située en dessous ainsi que sur le Mont du Temple juif et sur l’espace aérien au-dessus.

Le bout de terre palestinien serait relié aux quartiers arabes adjacents—qui seraient eux-mêmes partiellement entourés par des maisons juives — par un pont piétonnier monté sur des piliers ancrés en territoire sioniste. La frontière Palestine-entité sioniste, en d’autres termes, passerait de l’horizontale à la verticale et puis reviendrait à l’horizontale.

Bien que cela aurait pu être une tentative louable de résolution du conflit, comme l’explique clairement Weizman, la plupart des efforts sionistes pour réorganiser l’espace palestinien ne sont pas aussi bien intentionnés.

La colonisation, par exemple, a brutalement transformé le paysage de la Cisjordanie, en utilisant la violence, le vol et le déplacement pour faire le travail. L’armée d’occupation est également profondément impliquée dans la "ré-imagination de l’espace", souvent avec un effet dévastateur.

En 2002, témoigne Weizman, la campagne de l’entité sioniste pour réoccuper les camps de réfugiés et les secteurs palestiniens fortement peuplés de Cisjordanie s’est embourbée dans des labyrinthes de ruelles étroites et sinueuses vaillamment défendues.

En réponse, les commandants sionistes ont re-conçu de façon créative l’espace urbain palestinien, "en marchant à travers les murs", en creusant des trous dans les murs des maisons palestiniennes à l’aide d’explosifs, en introduisant des équipes d’infanterie dans les ouvertures et en les envoyant creuser davantage à l’intérieur à l’aide de massues et d’explosifs.

"Cet espace que vous regardez", a expliqué le commandant de l’une de ces opérations à Weizman dans une entrevue, "ce n’est rien d’autre que votre interprétation".

Alors que Weizman ne le dit pas aussi explicitement, cette déclaration illustre une grande partie de la thèse de "Hollow Land".

C’est sûr, certains lecteurs peuvent voir l’analyse de Weizman comme excessivement lugubre, en arguant qu’une application plus douce de la créativité spatiale sioniste pourrait aider à mettre fin à l’impasse actuelle.

Dans leurs périodes optimistes, les urbanistes sionistes envisagent que les Palestiniens et les juifs circuleront sans à-croc dans la même enveloppe de Cisjordanie, en conduisant pacifiquement dans des réseaux de transport séparés mais sécurisés.

Aucune communauté ne souffrira de nouveaux déplacements, et chacune poursuivra ses propres intérêts dans un isolement harmonieux.

Dans ce scénario attrayant, remarque Weizman, la Cisjordanie a été reconstruite pour ressembler à un aéroport moderne, avec des couloirs d’arrivée et de départ séparés transportant en toute sécurité d’un endroit à un autre différentes catégories de passagers.

Cette vision est énormément séduisante, en utilisant la verticalité pour résoudre des conflits insolubles.

Pourtant Weizman reste sceptique, en expliquant que le concept dans son ensemble est finalement un projet futile pour "séparer l’inséparable".

Aucun concept architectural sioniste, peu importe sa créativité, ne pourra jamais démêler le nœud de population Gordien qu’Israel a créée par la colonisation.

Weizman ne soutient pas systématiquement son pessimisme, mais il ne faut pas beaucoup d’imagination pour arriver à comprendre pourquoi il a cette tendance.

Pour commencer, les Palestiniens restent profondément soupçonneux au sujet des intentions sionistes, en craignant que l’absence de retrait total se transforme en ruse.

Les craintes de la mauvaise foi sioniste ne sont pas sans fondements.

Après tout, dans les années 90, l’entité sioniste a utilisé l’interrègne d’Oslo pour doubler sa population de colons, en arguant qu’il s’agissait d’une "croissance" des colonies existantes plutôt que des constructions neuves.

C’est vrai, les Palestiniens ont accepté à Oslo la création d’une structure tunnel/pont entre la Cisjordanie et Gaza, mais ils s’opposeraient probablement à l’expansion de ce concept sur l’ensemble de leur pays.

Selon Weizman, par exemple, le plan de Jérusalem de Clinton a été totalement rejeté par Yasir Arafat et ses collaborateurs, qui l’ont vu comme une infraction inacceptable à leurs droits. Ils ont craint, semble-t’il, que l’entité sioniste et les Etats-Unis utilisaient la verticalité pour les pigeonner.

Pour une population contrôlée depuis longtemps par les propres intérêts de l’entité sioniste, les plans tridimensionnels doivent ressembler à de la déception plutôt qu’à une diplomatie créatrice.

Plus important, peut-être, les Palestiniens restent âprement opposés aux colonies juives, telles quelles sont construites sur les sommets stratégiques qui dominent leurs environnements, monopolisent leurs rares ressources et séparent physiquement leur terre. Les colons armés ont provoqué beaucoup de querelles, et peu de Palestiniens accepteraient un plan qui laisserait ces fortifications juives parmi eux.

D’ailleurs, rien dans l’histoire de l’occupation sioniste ne suggère qu’Israel n’a jamais investit dans l’effort nécessaire pour construire un système de transport palestinien approprié.

"Séparés mais égaux" fonctionne rarement, et le réseau de ponts et tunnels juif est susceptible de rester de loin supérieur à son équivalent palestinien.

Deux mondes ont déjà émergé, écrit Weizman, en expliquant que : "L’un sur les sommets —les terres des colonies —une poignée de quartiers bien gardés sur les sommets des collines reliés entre eux par des routes modernes à l’usage exclusif de ses habitants ; l’autre, la Palestine—des villes, des cités et des villages surpeuplés situés dans les vallées et sous les collines, conservant des liens fragiles entre eux par des routes improvisées".

Peu importe ce que disent les urbanistes sionistes au public, cette inégalité est susceptible de persister dans les années à venir.

Est-ce que cela serait toujours vrai même si la reconstruction verticale était garantie par des milliards de dollars internationaux et beaucoup de bonne volonté diplomatique ?

Weizman ne le dit pas, mais même ce scénario attrayant ne semble pas prometteur.

Bien que certains Palestiniens pourraient être rassurés par des soldats de la paix internationaux et des investissements de la Banque Mondiale, un ensemble surperposé de souverainetés serait encore encombré par d’interminables points de frictions potentiels. Chaque viaduc ou pont deviendrait une cible pour les militants, et chaque tunnel deviendrait un piège mortel potentiel.

Le système vertical, explique Weizman, est un "accord territorial du style Escher ahurissant et impossible", un fantasme fragile qui ne tiendra pas à l’épreuve du temps.

C’est une mascarade architecturale comme solution politique, et non un véritable compromis réalisable. L’aéroport fonctionnant sans problèmes n’est pas susceptible d’émerger ; au lieu de cela, une Cisjordanie reconstruite verticalement deviendra probablement un cauchemar du type Mad Max, avec des hommes armés palestiniens et sionistes se faisant mutuellement exploser leurs voitures du dessus et du dessous.

Les séparations horizontales peuvent être ennuyeuses et dénuées d’imagination, mais s’il n’y a pas de véritable volonté pour vivre ensemble, elles peuvent probablement faire un meilleur travail de séparation.

Pourtant puisque même un retrait sioniste partiel est peu probable, le conflit continuera pendant des années.

Comme certains Palestiniens et sionistes, Weizman semble désabusé par la partition, sentant qu’un Etat binational pourrait offrir une meilleure solution à long terme. Il n’explore pas cette notion vraiment en profondeur, cependant, et il offre quelques preuves que cela deviendra rapidement la réalité.

Le pronostic du livre est donc désespéré et sombre, mais Weizman le soutient avec une documentation prodigieuse, des interviews rares et une vision remarquable pour la politique de l’architecture.

Son chapitre sur le statut architectural de Jérusalem, par exemple, est un chef d’oeuvre d’analyse politique, en remarquant qu’après l’occupation de 1967, les urbanistes sionistes ont cherché à intégrer visuellement les colonies juives au reste de la ville en utilisant des matériaux et l’architecture palestiniens traditionnels.

La "pierre de Jérusalem" que les constructeurs sont maintenant légalement obligés d’utiliser vient en fait des carrières palestiniennes. Son prix, cependant, la met hors de portée du Palestinien ordinaire.

Les constructions juives utilisent donc la terre, les matériaux et l’architecture des Palestiniens pour construire les maisons destinées à un usage exclusif des Juifs, et l’ironie de tout cela est impressionnant.

Un autre chapitre frappant se concentre sur l’utilisation des théories urbaines post-modernes par les analystes de la sécurité sioniste.

Les officiers de l’armée ont été assignés à lire des textes théoriques durs pour se familiariser avec la structure chaotique du militantisme palestinien, stimulant de nouvelles méthodes militaires, y compris l’approche de "traverser les murs" dans le cadre de la guerre urbaine. Une théorie cruciale, alerte Weizman, qui est facilement "assimilée et mise en application" par des officiers du commandement.

L’approche architecturale de Weizman fait de Hollow Land un livre tonique pour même les observateurs les plus fatigués de la tragédie de Palestine, y compris ceux qui craignent que rien de véritablement nouveau ne pourra jamais être écrit sur le conflit du Moyen-Orient.

Les prévisions du livre ne remontent pas le moral, mais la qualité de son analyse est vraiment passionnante.

A lire, La Politique de la Verticalité d’Eyal Weizman

• 1 - Introduction

• 2 - Cartes

• 3 - Collines et vallées de la Cisjordanie

• 4 - Colonies de la Cisjordanie

• 5 - Urbanisme optique

• 6 - Le paradoxe de la double vision

• 7 - De l’eau à la merde

• 8 - Excavation du sacré

• 9 - Jérusalem

• 10 - Routes – dessus et dessous

• 11 - Contrôle du ciel

Source : http://imeu.net/  Traduction : MG pour ISM