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En cette journée de la Femme, rappelons nous :

Discours de Nurit Peled devant l’instance européenne.

mercredi 8 mars 2006

Nurit Peled n’est pas seulement israélienne. C’est
une opposante israélienne dont la fille de 14 ans
est morte il y a plusieurs années dans un attentat
kamikaze. Nurit Peled a fondé l’association des
familles iraéliennes et palestiniennes victimes de
violences. Ses deux fils sont refuzniks. Invitée le
8 mars dernier à s’exprimer devant le Parlement
européen, à l’occasion de la Journée des Femmes,
voici ce qu’elle a déclaré.

"Merci de m’avoir invitée à cette journée. C’est toujours
un honneur et un plaisir d’être ici, parmi vous. Cependant,
je dois admettre que je crois que vous devriez avoir
invité une femme palestinienne à ma place, parce
que les femmes qui souffrent le plus de la violence
dans mon pays sont les femmes palestiniennes.
Et je voudrais dédier mon discours à Miriam R’aban
et à son mari Kamal, de Bet Lahiya dans la bande
de Gaza, dont les cinq petits enfants ont été tués
par des soldats israéliens alors qu’ils ramassaient
des fraises dans le champ de fraises de la famille.
Personne ne passera jamais en jugement pour ce
meurtre. Lorsque j’ai demandé aux gens qui m’ont
invitée ici pourquoi ils n’invitaient pas de femme
palestinienne, leur réponse a été que cela rendrait
la discussion "trop localisée". Je ne sais pas ce
qu’est la violence non localisée. Le racisme et la
discrimination peuvent être des concepts théoriques
et des phénomènes universels, mais leur impact
est toujours local, et bien réel. La douleur est locale,
l’humiliation, les abus sexuels, la torture et la mort
sont tous très locaux, de même que les cicatrices.
Il est malheureusement vrai que la violence locale
infligée aux femmes palestiniennes par le gouvernement
d’Israël et l’armée israélienne s’est étendue sur toute
la planète. En fait la violence d’Etat et la violence
de l’armée, la violence individuelle et collective, sont
le lot des femmes musulmanes aujourd’hui, pas
seulement en Palestine mais partout où le monde
occidental éclairé pose son grand pied impérialiste.
C’est une violence qui n’est presque jamais abordée
et que la plupart des gens en Europe et aux Etats-
Unis excusent du bout des lèvres. C’est ainsi parce
que le soi-disant monde libre a peur de l’utérus musulman.
La grande France de la liberté l’égalité et la fraternité
[en Français dans le texte] est effrayée par des petites
filles avec des foulards sur la tête, le Grand Israël
juif a peur de l’utérus musulman que ses ministres
qualifient de menace démographique. L’Amérique
toute-puissante et la Grande-Bretagne contaminent
leurs citoyens respectifs avec une crainte aveugle
des Musulmans, qui sont dépeints comme vils,
primitifs et assoiffés de sang - en plus d’être non
démocratiques, chauvins/ machistes et des producteurs
en masse de futurs terroristes. Cela en dépit du fait
que les gens qui détruisent le monde aujourd’hui ne
sont pas musulmans. L’un d’entre eux est un Chrétien
dévot, l’un est Anglican et l’autre est un Juif non pieux.
Je n’ai jamais vécu la souffrance que les femmes
palestiniennes subissent tous les jours, toutes les
heures, je ne connais pas le genre de violence qui
fait de la vie d’une femme un enfer constant. Cette
torture physique et mentale quotidienne des femmes
qui sont privées de leurs droits humains fondamentaux
et de leurs besoins fondamentaux d’une vie privée
et de dignité, des femmes dont on entre par effraction
dans la maison à toute heure du jour et de la nuit,
à qui on ordonne sous la menace d’une arme de
se mettre nue en se déshabillant devant des étrangers
et devant leurs propres enfants, dont les maisons
sont détruites, qui sont privées de leurs moyens
d’existence et de toute vie de famille normale. Ceci
ne fait pas partie de mon épreuve personnelle. Mais
je suis une victime de la violence contre les femmes
dans la mesure où la violence contre les enfants est
en fait une violence contre les femmes. Les femmes
palestiniennes, irakiennes, afghanes sont mes soeurs
parce que nous sommes toutes prises dans l’étreinte
des mêmes criminels sans scrupules qui se désignent
comme les dirigeants du monde éclairé libre et qui,
au nom de cette liberté et de ces lumières, nous volent
nos enfants. De plus, les mères israéliennes, américaines,
italiennes et britanniques ont été, pour la plupart,
violemment aveuglées et décervelées à un point tel
qu’elles ne peuvent pas se rendre compte que leurs
seules soeurs, leurs seules alliées dans le monde
sont les mères musulmanes palestiniennes, irakiennes
ou afghanes dont les enfants sont tués par nos enfants
ou qui se font exploser en morceaux avec nos fils et
nos filles. Elles sont toutes infectées par les mêmes
virus engendrés par les politiciens. Et les virus, bien
qu’ils puissent avoir divers noms illustres comme
Démocratie, Patriotisme, Dieu, Patrie, sont tous les
mêmes. Ils font tous partie d’idéologies fausses et
truquées qui ont pour intention d’enrichir les riches
et de donner du pouvoir aux puissants. Nous sommes
toutes les victimes de la violence mentale, psychologique
et culturelle qui fait de nous un seul groupe homogène
de mères endeuillées ou potentiellement endeuillées.
Les mères occidentales à qui on apprend à croire
que leur utérus est un atout national tout comme
on leur apprend à croire que l’utérus musulman est
une menace internationale. On les éduque pour qu’elles
ne s’exclament pas : « Je lui ai donné naissance,
je lui ai donné le sein, il est à moi et je ne le laisserai
pas être celui dont la vie vaut moins que le pétrole,
dont l’avenir a moins de valeur qu’un lopin de terre ».
Chacune d’entre nous est terrorisée par une éducation
qui infecte l’esprit pour que nous croyions que tout
ce que nous pouvons faire c’est soit prier pour que
nos fils reviennent à la maison ou être fières de leurs
corps morts. Et nous avons toutes été élevées pour
supporter tout ceci en silence, pour contenir notre
crainte et notre frustration, pour prendre du Prozac
pour l’anxiété, mais jamais acclamer Mère Courage
en publique. Ne jamais être de vraies mères juives
ou italiennes ou irlandaises. Je suis une victime de
la violence d’Etat. Mes droits naturels et civils en tant
que mère ont été violés et sont violés parce que j’ai
à craindre le jour où mon fils atteindra son 18ème
anniversaire et me sera enlevé pour être l’instrument
du jeu de criminels tels que Sharon, Bush, Blair et
leur clan de généraux assoiffés de sang, assoiffés
de pétrole, assoiffés de terre. Vivant dans le monde
dans lequel je vis, dans l’Etat dans lequel je vis,
dans le régime dans lequel je vis, je n’ose pas offrir
aux femmes musulmanes quelque idée que ce soit
sur la manière de changer leurs vies. Je ne veux
pas qu’elles enlèvent leurs foulards ou éduquent
leurs enfants différemment, et je ne les presserai
pas de constituer des Démocraties à l’image des
démocraties occidentales qui les méprisent elles
et les gens de leur sorte. Je veux juste leur demander
humblement d’être mes soeurs, exprimer mon admiration
pour leur persévérance et leur courage de continuer,
d’avoir des enfants et de maintenir une vie de famille
pleine de dignité en dépit des conditions impossibles
dans lesquelles mon monde les met. Je veux leur
dire que nous sommes toutes liées par la même
douleur, nous sommes toutes les victimes des
mêmes sortes de violences même si elles souffrent
bien davantage, parce que ce sont elles qui sont
maltraitées par mon gouvernement et son armée,
avec l’aide de mes impôts. L’islam en soi, comme
le judaïsme en soi et le christianisme en soi, n’est
pas une menace pour moi ou pour qui que ce soit.
C’est l’impérialisme américain, c’est l’indifférence
et la coopération européennes, et le régime israélien
raciste et cruel d’occupation qui en sont une. C’est
le racisme, la propagande dans l’éducation et la
xénophobie inculquée qui convainquent les soldats
israéliens d’ordonner aux femmes palestiniennes,
sous la menace des armes, de se déshabiller en
face de leurs enfants pour des raisons de sécurité,
c’est le manque de respect le plus profond pour
l’autre qui permet aux soldats américains de violer
des femmes irakiennes, qui donne une licence aux
geôliers israéliens pour garder des jeunes femmes
dans des conditions inhumaines, sans les aides
hygiéniques nécessaires, sans électricité en hiver,
sans eau propre ou matelas propres et pour les
séparer de leurs bébés et de leurs tout-petits nourris
au sein. Pour leur barrer la route vers les hôpitaux,
pour bloquer leur chemin vers l’éducation, pour
confisquer leurs terres, pour déraciner leurs arbres
et les empêcher de cultiver leurs champs. Je ne peux
pas complètement comprendre les femmes palestiniennes
ou leur souffrance. Je ne sais pas comment j’aurais
survécu à une telle humiliation, à un tel manque de
respect de la part du monde entier. Tout ce que je
sais est que la voix des mères a été étouffée pendant
trop longtemps sur cette planète dévastée par la
guerre. Le cri des mères n’est pas entendu parce
que les mères ne sont pas invitées aux forums
internationaux comme celui-ci. Cela je le sais,
et c’est très peu. Mais c’est assez pour que je
me souvienne que ces femmes sont mes soeurs
et qu’elles méritent que je crie pour elles et me batte
pour elles. Et quand elles perdent leurs enfants dans
des champs de fraises ou sur des routes crasseuses
près des check points, quand leurs enfants sont
abattus sur le chemin de l’école par des enfants
israéliens qui ont été élevés pour croire que l’amour
et la compassion s’exercent en dépendant de la
race et de la religion, la seule chose que je puisse
faire est de me tenir à leurs côtés et à ceux de
leurs bébés trahis et de demander ce qu’Anna
Akhmatova, une autre mère qui a vécu dans un
régime de violence contre les femmes et les enfants,
avait demandé : Pourquoi ce filet de sang déchire-t-il
le pétale de ta joue ?"

Nurit Peled-Elhanan
Journée Internationale des Femmes
Parlement européen
Strasbourg
8 mars 2005