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Source Al Faraby / Aloufok

Le cœur a ses raisons... ou des détours pascaliens.

Inspiré du livre : « Le don du prophète » de Chris Iwen, aux éditions Altess.

samedi 25 novembre 2006

Une arme au poing, un casque vissé sur la tête, et les yeux secs, le soldat s’envole vers son destin : infliger la mort, offrir l’extermination, proposer l’anéantissement, suggérer le massacre. Pourquoi ? Parce que des épaules plus gradées en ont donné l’ordre ? Ou parce que l’ennemi est à ce point dépourvu d’humanité, que la seule issue est de lui nier le droit de vivre ? Une arme au poing, mais la haine au cœur ? Ou bien un étrange sens du devoir ? Le devoir d’obéir ou la secrète envie de tuer ?

Ah Pascal, oui le cœur a ses raisons. Mais depuis longtemps nous cherchons une raison, une seule, de nous aimer les uns les autres. Et que trouvons-nous ? Des raisons de nous battre. Des raisons d’attaquer, des raisons de nuire, des envies de dominer. Et comme une abjecte ivresse à nous adonner à cette fête de larmes et de sang. Et même quand nous éclatons de rire, il y a comme un relent de sadisme au fond de notre gorge. Mais nous ne sommes pas fous. Non, nous sommes simplement humains. Et dans cette humanité, nous avons éliminé le divin, car sa lumière était trop aveuglante, et sa nature bien trop incompatible avec les désirs et les pulsions qui tapissent le fond de nos pensées.

Ah Pascal, toi qui a délaissé la science de la raison pour rechercher la lumière du cœur, pourquoi demeures-tu silencieux face à notre déroute ? Quelles raisons le cœur a-t-il d’ignorer la psyché, et de laisser les pulsions humaines saborder l’aventure terrestre ? Des nouvelles de l’Irak ? Oui, nous en avons pour toi. Il y a des guerres et des bruits de guerres. Et dans le ciel de Bagdad, des nuages dessinent, espiègles, le sourire de Bush. Et une ombre plane au-dessus des toits de Londres, et c’est l’ombre de la peur projetée par des menaces terroristes.

Non Pascal, ne baisse pas les yeux et ne secoue pas la tête. Je ne vais pas te faire descendre de ton ciel pour rien. Et puis, même si ton Dieu n’existe que dans l’espace étroit d’un pari, je désire quand même lui parler. A travers toi, Pascal, parce que je ne suis pas à l’aise avec des hypothèses, mais j’aime beaucoup ceux qui en font. Et que vais-je dire à ton Dieu ? Je vais lui donner des nouvelles de mon monde. Il est comme les rues de Tel-Aviv, et il est comme les ruines des Twins. Oui, mon monde est un chant funèbre recouvrant une frénésie névrotique. Et je ne peux pas parler plus directement, car le Diable écoute peut-être à ma porte.

Ah le Diable ! Je l’invite à ma table, et d’un cœur apaisé, je lui demande pourquoi il tourmente le monde. Mais il me dit que le monde se tourmente lui-même, et que l’humanité est bonne, mais souffrante. Et comme un chien qui souffre de rage, l’humanité mord et aboie, et elle se roule par terre, et se relève en riant comme un enfant. Ivre de non-sens, le corps recouvert de boue. Peut-être que c’est le Diable qui a perdu la raison, et qu’il est comme un dément dangereux qui rôde dans les rues sans chaînes. Et il rôde dans l’esprit des hommes, et c’est pourquoi des bombes côtoient des poisons, et c’est pourquoi la pollution s’ajoute à la misère. Et dans son vêtement cossu, le bourgeois occidental moderne se sent justifié par rapport au reste du monde, parce qu’il n’est coupable de rien. Mais est-il innocent de tout ?

Et que dis-tu Pascal ? Mes mots n’ont aucun sens ? Alors sache que mes mots ne portent que des sentiments, et qu’ils ne véhiculent que des émotions. Je ne sais pas ce qu’est le sens. Le cœur connaît-il le calcul et la mesure ? Et la colère et la haine, ont-elles un sens ? Seul l’amour a du sens, mais celui-là, on l’assassine chaque jour sur Terre. L’amour est muselé et interdit de parole. L’amour est censuré, et il ne trouve devant lui que des portes closes et des micros coupés. Et quand l’amour désire se projeter sur une feuille de papier, l’œil de l’homme n’en lira même pas un mot, car il a plutôt soif de drames et de tragédies, de meurtres et de crimes.

Ah Pascal, je n’ai rien dit. Mais j’en ai beaucoup exprimé. Tous ici nous cherchons l’amour. Nous le cherchons dans la chair et dans les reins. Et parfois nous le cherchons dans l’étreinte et dans l’accolade. Et quand nous embrassons notre prochain, c’est avec le cœur sec, et le geste mécanique. Ou parfois avec émotion. Mais nous n’avons pas encore appris que l’amour était autre chose, une énergie au-delà de l’émotion et du sentiment. Irais-je vraiment applaudir les marchands d’armes et les faiseurs de guerres si j’avais l’amour dans mon cœur ? Irais-je réellement serrer la main aux créateurs de misères et aux générateurs de mal-être social si l’amour était pour moi une réalité intérieure ? Et même, est-ce que j’aurais l’indécence d’aller nourrir des films à l’honneur du crime et du conflit, si l’amour vivait en moi ?

Je ne sais pas quelles raisons a le cœur de l’humanité, mais peut- être est-il simplement endormi ? Quelle vie, si c’est exister avec un cœur endormi, et si c’est courir sous l’aiguillon des pulsions de domination et de destruction ? Vient un moment, et c’est peut-être maintenant pour beaucoup, où la société humaine apparaît dans sa folie furieuse. Et vient un moment où le cœur aspire au véritable amour, las de ces tourbillons insensés qui imposent comme norme bien des choses irrationnelles. Car l’irrationnel n’est certainement pas de chercher à se maintenir dans la lumière de Dieu. L’irrationnel est d’esquisser un sourire de satisfaction et d’approbation en contemplant l’investissement et la persistance de l’homme dans le mal. Et le sommet de l’irrationnel est dans le mépris du bien, et le dédain des bons sentiments. Car quand on dédaigne ce qui est bon, on n’est pas loin du fond de l’abîme des fous.