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Géopolitique du Moyen-Orient ( analyse N°7)

Moyen-Orient : à qui profite le remodelage américain ? Pourquoi le Qatar se rapproche-t-il de l’Iran ?

Lundi, 03 juillet 2017 - 3h50 PM

lundi 3 juillet 2017

Remodeler c’est « donner une nouvelle structure ou organisation à quelque chose » (Le Petit Robert). En langage diplomatique, « remodeler » une région ou un grand pays signifie démanteler pour ensuite réorganiser ledit grand pays ou ladite grande région en entités ethniques ou confessionnelles, opposées les unes aux autres pour le grand plaisir des puissances colonialistes, fauteurs de guerres, vendeuses d’armes et toujours à l’origine du « remodelage ».

Quelques exemples de « remodelage ». Au XVIIIe siècle, l’armée russe avance vers les provinces traditionnelles iraniennes du Caucase. Suite à une longue guerre entre la Russie et l’Iran, ce dernier capitule en 1828 en signant le traité de Torkmântchâï : Téhéran cède au tsar ses provinces caucasiennes du Daghestan, d’Arménie, de Géorgie, d’Azerbaïdjan du Nord, transformées plus tard en pays ethniques en conflit récurrent.

En 1947, l’Inde accède à l’indépendance et la même année les Britanniques ont procédé au « remodelage » de l’empire des Indes, créant une entité confessionnelle, le Pakistan, composé de deux parties géographiquement séparées par près de 1600 km de territoire indien. Au terme d’une guerre opposant les deux parties pakistanaises, le Pakistan oriental ou Bengladesh, soutenu par l’armée indienne, se sépare, fondant une entité ethno-confessionnelle.

Les deux frères ennemis indien et pakistanais se sont déjà livrés plusieurs guerres sanglantes et restent à couteaux tirés sur la partition du Cachemire, un territoire à majorité musulmane. Ils continuent leur guerre secrète en Afghanistan par talibans interposés.

A l’échelle mondiale, la liste du « remodelage » colonialiste est longue. L’Afrique est un grand champ de « remodelage ». Il y a encore deux Corées et Taïwan, un territoire chinois, reste toujours dans le giron américain.

Le « remodelage » a la vie dure

Après la dissolution de l’Union soviétique le 25 décembre 1991, le « remodelage » du Moyen-Orient, voire de l’Afrique du Nord, a été remis sur la table par l’administration Georges W. Bush qui commença par détruire l’État afghan en 2001, puis l’État irakien en 2003. L’objectif : créer des Etats ethniques et confessionnels fantoches (chiite, sunnite, pachtoune, hazara, arabe, kurde, turkmène, etc.) sur les ruines des États multiethniques, membres des Nations unies.

Sous l’impulsion des Etats-Unis en 2006, une tentative pour détruire l’État libanais fut entreprise par l’armée israélienne. La résistance du peuple libanais mis l’agression israélienne en échec après 33 jours de guerre destructrice et meurtrière. Le Liban ne sera donc pas décomposé en trois entités « chiite, sunnite, maronite » à côté de l’ « État hébreu ».

Malgré la défaite cuisante de l’armée israélienne au Sud Liban en 2006, l’idée de partition du Liban, voire de la vaste région englobant l’Irak et la Syrie, n’est toujours pas abandonnée par les colonialistes occidentaux menés par les Etats-Unis et leurs obligés régionaux.

La révolte du peuple syrien contre le pouvoir despotique du régime de Bachar Al-Assad offrit l’occasion aux Etats-Unis, aux puissances militaires européennes et à leurs « alliés régionaux » (saoudiens, émiratis, turcs et israéliens) de passer à l’offensive. Laurent Fabius, ancien ministre français des Affaires étrangères, déclarait en 2013 : « M. Bachar Al-Assad ne méritait pas d’être sur Terre » ! Les Etats-Unis et leurs alliés créèrent une salle d’opération au Sud de la Turquie connue sous l’acronyme « MOM » où siégeaient des représentants des principaux parrains de la « rébellion » syrienne (Etats-Unis, France, Qatar, Arabie saoudite, Turquie) et qui fournissait (et continue à fournir) en armes une soixantaine de brigades de l’ASL (Armée syrienne Libre) et des djihadistes-wahhabites, alliés de l’Occident, parrainés par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.

Voici la liste non exhaustive des djihadistes wahhabites qui continuent à occuper Idlib, une province syrienne : "la coalition islamiste Fatah Halab (la conquête d’Alep"), le groupe salafiste armé "Ahrar Al-Cham", le "Front Al-Nosra", une franchise d’Al-Qaida rebaptisée "Front Fatah Al-Cham", un pilier de la coalition Jaïche Al-Fatah.

« Riyad - qui a juré la perte de Bachar Al-Assad, du fait de vieux contentieux bilatéraux et pour affaiblir l’Iran, le grand ennemi régional allié de Damas - est, une fois n’est pas coutume, aux avant - postes » écrivait Gilles Paris, journaliste (Le Monde du 15 août 2012).

Etant donné l’investissement colossal en moyens humains, financiers et militaires, le renversement du régime de Bachar Al-Assad paraissait imminent. « Sa chute est inéluctable » lisait-on dans l’éditorial du quotidien Le Monde du 23 août 2012. Le « remodelage » de la Syrie était à portée de main !

C’était sans compter sur un obstacle de taille : l’Iran et la Russie tenaient (et tiennent toujours) à la souveraineté de la Syrie et du Liban et ça change tout. L’efficacité de la chasse russe couplée aux fantassins multiethniques mobilisés par l’Iran en Syrie empêcha la chute du régime syrien.

Deux camps se font face

Sur le champ de bataille en Irak et en Syrie, deux camps s’affrontent désormais : les Etats-Unis à la tête d’une coalition comprenant une soixantaine de pays venus des quatre coins du monde et leurs supplétifs régionaux, essentiellement composés de djihadistes wahhabites soutenus financièrement par la Turquie, la Jordanie, Israël et les pays arabes du Golfe Persique (Arabie saoudite, Emirats Arabes unis, Qatar), d’une part et l’Iran, la Russie et les multiples milices chiites libanaises, syriennes, irakiennes, afghanes et pakistanaises, d’autre part.

Après la reprise d’Alep par l’armée syrienne et les milices chiites soutenues par l’aviation russe, la situation a tourné définitivement en faveur de l’axe Iran-Russie. A son tour, l’armée syrienne, revigorée par ses victoires, passe à l’offensive du côté de la frontière irakienne, récupérant plusieurs places fortes des djihadistes dont Jobar (mardi 20 juin 2017), le dernier quartier contrôlé par les « rebelles » dans la capitale. Les djihadistes sont repoussés vers Idlib, une province située au nord-ouest de la Syrie et l’armée syrienne se déploie vers l’est et le sud du pays.

Plan américain de « remodelage »

Constatant l’échec de leurs djihadistes, les Etats-Unis concentrent leur soutien sur les miliciens kurdes, les bêtes noires de la Turquie ; tandis que l’aviation et l’artillerie israéliennes bombardent les positions de l’armée syrienne. L’objectif : maintenir la pression sur l’armée syrienne et faciliter la création d’une entité kurde autonome au nord de la Syrie.

Ladite entité formant ensuite, avec les kurdes irakiens (déjà autonomes) et, pourquoi pas, turcs, le futur Etat ethnique kurde. Première étape du « remodelage » du Moyen-Orient, programmé sous l’administration de George W. Bush.

Par leur présence permanente, les Etats-Unis tentent de créer une zone sunnite du nord au sud de la frontière syro-irakienne. Des troupes venant de Syrie et d’Irak font route vers cette zone. D’ores et déjà, l’aviation américaine a abattu un avion de chasse syrien et deux drones syriens de fabrication iranienne. D’aucuns pensent l’affrontement inévitable entre l’armée américaine et ses supplétifs présents sur la zone d’une part et l’armée syrienne soutenue par les miliciens chiites ainsi que par l’Iran et la Russie d’autre part. A suivre.

Fissures au sein de la coalition occidentale

Devant la menace de partition de son territoire, le pouvoir turc se détourne de son allié américain et se rapproche de l’axe Russie-Iran. C’est la première fissure dans la coalition occidentale.

Par ailleurs, la coalition arabe du Golfe Persique - un autre bras armé des Etats-Unis dans la région - menée par l’Arabie saoudite, s’enlise au Yémen en proie à la famine et au choléra. L’armée émiratie* s’émancipe (de Riyad), suspectée d’œuvrer, pour ses propres intérêts, à la partition du Sud Yémen dans la province du Hadramaout.

L’échec de l’Arabie saoudite en Syrie et au Yémen accentue la tension au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Son leadership est contesté sérieusement. Pourtant, sous l’impulsion de Donald Trump et en opposition avec ses échecs répétés, l’Arabie saoudite adopte une position anti-iranienne radicale. La même intransigeance se manifeste au sein du CCG où l’Arabie saoudite tente de mettre les pays membres sous sa coupe.

En se rapprochant de l’Iran - puissance montante -, le Qatar manifeste son opposition à la politique jusqu’au-boutiste de Riyad avec l’Iran et au sein du CCG. Applaudie par Donald Trump, la mise au ban du Qatar par Riyad est contestée par
des hommes politiques chevronnés de l’administration, le général James Mattis (ministre de la Défense) et M. Rex Tillerson (Affaires étrangères). (Le Monde Diplomatique de juillet 2017). La politique d’intransigeance américano-saoudienne envers l’Iran tourne à l’avantage de ce dernier.

Les gagnants

Les complexes militaro-industriels occidentaux, en particulier américains, sont les grands gagnants des guerres au Moyen-Orient. S’en suit l’Iran et la Russie qui font un grand retour sur la scène internationale. Les Etats-Unis, s’ils arrivent à créer des entités kurde et sunnite en Syrie et en Irak, feront partie des futurs gagnants des guerres de « remodelage » au Moyen-Orient. Wait and see !

*L’agence Associated Press (AP) et l’organisation Human Rights Watch (HRW) accusent les Emirats arabes unis et leurs alliés locaux de détenir des prisons secrètes dans le sud du Yémen et d’y pratiquer la torture. AP avait détaillé, le 22 juin, l’existence d’un réseau d’au moins dix-huit prisons aménagées dans des bases, des ports, un aéroport, des villas privées et un night-club, où seraient détenus des centaines de personnes. (Louis Imbert-Le Monde du 27 juin 2017).

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