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Relations internationales 04/2013
Pakistan : vers un nouvel équilibre diplomatique ?
Dimanche, 28 avril 2013 - 12h03
dimanche 28 avril 2013
Il nous a semblé important de mettre en ligne ce fort intéressant article car il fournit des informations précieuses sur des modifications potentielles d’alliances concernant directement les pays du Proche et Moyen-Orient auxquels s’intéresse particulièrement ce site.
Le Comité de rédaction
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Par Ivan SAND
Diplômé de l’EDHEC (Lille) en Conseil et stratégie internationale
Géopolitique du Pakistan.
Alors que les relations entre Washington et Islamabad s’apparentent à une succession de crises diplomatiques, le Pakistan consolide ses liens stratégiques régionaux avec la Chine et l’Iran.
« Relations internationales » : cette nouvelle rubrique du Diploweb.com analyse un thème précis à travers différentes publications dans une autre langue que le français, issues de revues ou d’instituts spécialisés dans les relations internationales. L’objectif est ici de présenter une étude approfondie d’un sujet ayant fait l’objet d’un traitement médiatique particulier durant les dernières semaines. Cette édition présente des publications en langue anglaise : Foreing Affairs, Council on Foreign Relations, Business Standard.
PEUT-ON ENCORE considérer Pakistanais et Américains comme des pays alliés ? De nombreux analystes estiment en effet que les intérêts communs aux deux Etats ne sont plus suffisants pour garantir une union politique.
Foreign Affairs : Dans le numéro de mars/avril 2013 du magazine américain Foreign Affairs, Husain Haqqani, ambassadeur pakistanais à Washington de 2008 à 2011, plaide pour un changement radical des rapports diplomatiques que son pays entretient avec les Etats-Unis dans une tribune intitulée « Il n’est pas si difficile de rompre » [1]. Il y fait état des relations tumultueuses entre les deux pays depuis la création du Pakistan en 1947, et plus particulièrement des récentes tensions entre l’administration américaine et le pouvoir militaire pakistanais. Bien qu’un gouvernement civil arrive pour la première fois de l’histoire du Pakistan au terme de son mandat en mai 2013, l’état-major et les services de renseignements, le très influent Inter-Services Intelligence (ISI), concentrent encore un réel pouvoir politique.
Husain Haqqani dénonce ainsi l’incapacité des dirigeants civils pakistanais à museler les militaires du pays en vue de regagner la confiance de l’allié américain. Selon lui, « il existe au Pakistan une volonté commune dans les médias, le système judiciaire ainsi que les services de renseignements de mettre des bâtons dans les roues à quiconque essaierait de consolider cette alliance ». Ces allégations font directement référence au scandale appelé « memogate » qui a conduit à la démission de Husain Haqqani au mois de novembre 2011. Ce dernier avait été soupçonné d’avoir envoyé un mémorandum au chef de l’armée américaine Mike Mullen, dans le but de prévenir un potentiel coup d’état militaire au Pakistan. Bien que l’ancien ambassadeur ait toujours démenti ces accusations, de nombreux analystes interprètent cette affaire politique comme une tentative avortée du gouvernement civil du président Asif Ali Zardari de se débarrasser de la plupart des chefs militaires avec l’aide des Etats-Unis.
Council on Foreign Relations : Les relations entre Washington et les services de renseignements pakistanais sont à l’époque au plus bas, à peine quelques mois après l’attaque lancée par les forces spéciales américaines le 2 mai 2011, ayant conduit à l’assassinat d’Oussama Ben Laden. Comme le souligne Daniel S. Markey, spécialiste du Pakistan pour le think tank américain Council on Foreign Relations, dans son discours du 19 mars 2013 [2], la CIA n’a alors plus aucune confiance dans l’ISI après « avoir découvert Oussama Ben Laden, non pas dans une cave, mais dans une résidence bien gardée à deux pas de l’école militaire la plus prestigieuse du pays ». De son côté, l’état-major pakistanais, qui n’a pas été prévenu de cette attaque, la qualifie de « violation de sa souveraineté territoriale ». Les dirigeants du pays doivent faire face d’une part aux accusations de la communauté internationale de complicité avec les réseaux terroristes et d’autre part aux critiques internes de l’opinion publique et des médias pakistanais qui vivent les interventions américaines sur leur sol comme une humiliation.
Depuis le début de la guerre d’Afghanistan en 2001, le Pakistan sert à la fois de base arrière aux troupes américaines et de refuge aux réseaux terroristes soutenant l’insurrection talibane à Kaboul. Alors que Washington a longtemps collaboré avec l’ISI dans la lutte contre les groupuscules islamistes, les autorités militaires pakistanaises sont régulièrement soupçonnées de collusion avec certains de ces mouvements extrémistes. Daniel S. Markey rappelle que le chef de l’état-major américain Mike Mullen, déclarait en 2011 que le Pakistan se servait du réseau terroriste Haqqani, lié aux talibans, comme une « véritable arme » au service de l’ISI. De même, il écrit que, comme l’Inde l’a dénoncé à plusieurs reprises, le groupe terroriste Lashkar-e-Toiba (LeT), interdit au Pakistan depuis 2002, « a simplement changé de nom et s’est remis au travail ». Cette entité, placée sur la liste officielle des organisations terroristes des Etats-Unis et de l’Inde, est considérée comme responsable des attentats de Bombay de novembre 2008 et de nombreuses attaques meurtrières au Cachemire, région que se disputent Islamabad et New Dehli depuis l’indépendance des deux pays.
Ces accusations de complaisance du Pakistan envers des réseaux terroristes qui pourraient servir ses intérêts stratégiques n’ont cessé d’empoisonner les relations entre Washington et Islamabad depuis 2011. Les Américains menacent régulièrement de réduire leur aide financière alors que le Pakistan utilise comme moyen de pression la fermeture des routes d’approvisionnement des troupes américaines en Afghanistan.
Dans ce contexte, les récentes orientations géopolitiques pakistanaises sont scrupuleusement analysées par Washington et ses alliés régionaux. La prise de contrôle le 18 février 2013 par l’entreprise d’état chinoise, China Overseas Port Holding Company (COPHC), de la gestion du port pakistanais de Gwadar a été interprétée comme une conséquence d’un revirement stratégique. Situé à 400 kilomètres du détroit d’Ormuz, par où transite 20% du pétrole mondial, le port de Gwadar est vu par les analystes comme un des maillons du fameux « collier de perles » constitué par la Chine dans l’Océan Indien. Cette stratégie d’acquisition de ports commerciaux dans des pays voisins de l’Inde (Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh et Birmanie) permettrait à la Chine de sécuriser ses approvisionnements en énergie en provenance du Golfe.
Business StandardL’évènement a été très commenté par la presse indienne, où la possibilité d’une entente commerciale entre la Chine et le Pakistan qui serait un prélude à une alliance militaire, constitue une crainte majeure au sein de l’opinion publique. Le vice-amiral Premvir Das, ancien commandant en chef de la marine indienne, a notamment publié une analyse [3] dans le quotidien Business Standard le 14 février 2013, intitulée « Les Chinois arrivent-ils ? », dans laquelle il appelle ses compatriotes à ne pas « surréagir aux avancées chinoises dans l’Océan Indien ». La construction de ce port, commencée en 2001 et achevée en 2006, avait été attribuée à la Chine, suscitant déja de vives inquiétudes en Inde et aux Etats-Unis. Mais le président pakistanais Pervez Musharaf avait confiée en 2007 la gestion du port de Gwadar à une compagnie basée à Singapour, allié régional des Américains. Le remplacement de cette société singapourienne par une entreprise contrôlée par la Chine a donc été perçu, par de nombreux spécialistes de la région, comme un défi lancé aux Américains et aux Indiens.
Pourtant, Premvir Das rappelle que c’est en premier lieu « la compagnie [singapourienne] qui a cherché à se retirer de l’accord » suite à des complications survenues à propos de « l’attribution de terres par les autorités navales [pakistanaises] ». « Apparemment, les Chinois auraient tergiversé pendant plus d’un an », poursuit-il, également pour des raisons économiques. Les intérêts chinois dans cette acquisition seraient selon lui purement commerciaux et non pas liés à la dimension militaire que pourrait comporter « le cliché du collier de perles ». Il conclut en affirmant que les Indiens ne doivent pas « tomber dans le piège de voir un dragon chinois dans tout ce qu’ils font ».
Si un engagement militaire chinois dans le port de Gwadar paraît aujourd’hui irréaliste, il ne fait pas de doute des intentions du Pakistan de se rapprocher de pays capables de tenir tête aux Etats-Unis. Le 11 mars 2013, le président Asif Ali Zardari, a inauguré avec son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad, le début de la construction de la partie pakistanaise du gazoduc qui reliera le pays au gisement iranien de South Pars. La semaine précédant cette cérémonie, les Etats-Unis avaient dénoncé, par l’intermédiaire de la porte-parole du Département d’Etat, Victoria Nuland, les « graves préoccupations au sujet des sanctions contre l’Iran » que ce projet impliquait et que cela avait été « clairement signifié à [leurs] homologues pakistanais ».