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Par Ramzy Baroud
La Palestine : un récit qui doit encore s’imposer...
Samedi, 19 janvier 2013 - 22h46
samedi 19 janvier 2013
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Qu’ont donc en commun un agriculteur palestinien qui vit dans un village reculé entre les collines de Cisjordanie, un prisonnier qui suit une grève de la faim dans une prison israélienne et un réfugié qui erre à travers tout le Moyen-Orient pour trouver un refuge ?
Ils ne font tous qu’un dans un récit simple, authentique, solide et unifiant. Le problème cependant, est que les médias et les milieux universitaires occidentaux reflètent difficilement cette réalité ou la déforment intentionnellement, la mettant en pièces si nécessaire, diffamant ses protagonistes.
Un récit palestinien authentique - qui soit inséré dans une histoire palestinienne originale et construit par la pensée des Palestiniens - est en grande partie absent des médias occidentaux et à un degré moindre, du milieu universitaire. Si une telle intention est jamais manifestée, tout ce qui relève de la Palestine est soit réduit à une note marginale dans un discours israélien plus large, ou au mieux, juxtaposé à un discours pro-israélien, mais le plus souvent avec une teinte d’hostilité. Des articles traitant des Palestiniens sont souvent déconnectés les uns des autres, les informations sont séparées, avec apparemment aucune relation entre elles. Ces articles ont tous une connotation négative. Dans ce récit, un agriculteur, un prisonnier et un réfugié n’ont guère de choses qui les relient. A cause de cette approche délibérée, la Palestine se retrouve présentée bout par bout, avec des idées, des notions, des perceptions... mais rien de complet ou simplement d’intégré.
D’autre part, un récit israélien est presque toujours d’une seule pièce, selon la nature des contextes intellectuels, politiques, universitaires ou religieux. Même ceux qui osent critiquer Israël dans un des principaux médias occidentaux, le font toujours très prudemment, en prenant des gants et avec précaution. Les résultats de cet exercice habituel sont que l’image sanctifiée d’Israël reste en grande partie intacte. Pendant ce temps les Palestiniens sont constamment à se bagarrer pour un espace et une représentation digne de ce nom, face à un récit pro-israélien très protégé.
Pour parer à ces fausses représentations, tous les éléments doivent être reliés entre eux pour former un ensemble unique qui synthétiserait réellement l’expérience palestinienne, présente et passée . Une fois ce but atteint, une plus grande clarté sera possible concernant les racines du conflit, ses manifestations aujourd’hui et ses perspectives d’avenir. Toutefois, cela se produira si nous revenons aux fondements d’une tragédie qui traverse l’Histoire, frappée des noms et récits des protagonistes eux-mêmes. Procéder ainsi articulerait finalement un discours cohérent et générationnel se suffisant à lui-même, sans juxtapositions dégradantes ou comparaisons hostiles.
Tous les épisodes tragiques d’un récit palestinien plus large - des personnes qui endurent la purification ethnique actuelle, qui luttent pour la liberté et qui exigent leur droit au retour - ont le même point de départ : la Catastrophe, ou Nakba. Mais aucune fin ne doit être encore écrite. L’intrigue n’est ni simple ni linéaire. Le réfugié lutte pour la même liberté que celle voulue par le prisonnier ou le fils d’un vieil agriculteur, dont une partie de la famille est composée de réfugiés vivant à un endroit ou à un autre. Elle est compliquée et à plusieurs niveaux. Elle exige de sérieuses études de tous ses aspects et caractères. Peut-être qu’aucun autre endroit ne réunit toutes ces tragédies autant que Gaza. Pourtant aussi fort que soit le récit de Gaza par lui-même, il a été délibérément isolé des récits si évidemment connexes, que ce soit dans le reste des territoires occupés ou dans la perspective historique débutant par la Nakba. Pour apprécier pleinement la situation à Gaza et son histoire, celle-ci doit être placée dans un contexte approprié, comme tous les récits touchant à la Palestine.C’est essentiellement une histoire palestinienne, aux dimensions historiques et politiques surpassant les frontières géographiques et politiques actuelles, ainsi que les limites imposées par les principaux médias et leurs penseurs officiels. L’incapacité largement répandue de comprendre vraiment Gaza dans le bon contexte - que ce soit la souffrance, le siège, les guerres à répétition, la lutte, ou l’immuabilité et la résistance - dépend en grande partie de qui produit le récit, comment cela est rapporté, de ce qui est inclus et de ce qui est omis.
La plupart des récits traitant des Palestiniens dans les discours occidentaux sont biaisés ou usent délibérément d’un vocabulaire réduit qui a peu à voir avec la réalité. L’Histoire cependant, ne peut pas être divisée entre bons et mauvais, héros et voyous, modérés et extrémistes. Même sanglante ou ignoble, l’Histoire tend à suivre des modèles rationnels et des cours prévisibles. En comprenant le raisonnement qui sous-tend la dialectique historique, il est possible d’aller plus loin qu’une simple compréhension de ce qui a eu lieu dans le passé. Il devient alors possible d’élaborer une représentation assez raisonnable de ce qui se trouve devant nous. Peut-être un des plus mauvais aspects des médias d’aujourd’hui, aliénants et détachés comme ils le sont des réalités, est leur reproduction du passé et leur fausse caractérisation du présent, usant pour ce faire d’une terminologie simplifiée. Ceci donne l’illusion d’être instruit, alors qu’en réalité cela contribue très peu à notre compréhension du monde dans son ensemble. De telles simplifications excessives sont dangereuses parce qu’elles ont pour résultat une fausse représentation du monde, laquelle pousse alors à des actions inadéquates.
Pour toutes ces raisons, nous sommes obligés de trouver des interprétations et lectures alternatives de l’Histoire. Pour commencer, nous pourrions tenter d’offrir des perspectives historiques qui voient le monde du point de vue de l’opprimé - les réfugiés et les fellahins à qui a été nié, parmi beaucoup d’autres droits, celui de narrer leur propre histoire. Ce point de vue n’est pas une question de sentiment, loin de là. Un récit historique élitiste est peut-être le récit dominant, mais il n’est pas toujours privilégié au point d’influencer le cours de l’Histoire, car celle-ci est aussi formée par les mouvements collectifs, les actions et les luttes populaires. En niant ce fait, on nie la capacité du collectif à provoquer le changement. Dans le cas des Palestiniens, ceux-ci sont souvent présentés sous l’aspect de multitudes malchanceuses ou de victimes passives sans volonté autonome. C’est naturellement une perception erronée ; le conflit avec Israël dure depuis si longtemps uniquement parce que les Palestiniens sont peu disposés à accepter l’injustice et parce qu’ils refusent de se soumettre à l’oppression. Les armes mortelles d’Israël auraient pu changer le paysage de Gaza et de la Palestine, mais c’est la volonté des Gazaouis et des Palestiniens dans leur ensemble qui a façonné le champ historique de la Palestine. Ce mélange d’agriculteurs, de prisonniers, de réfugiés et de nombreuses autres personnifications de l’oppression, est fait de gens qui résistent. Il est essentiel que nous comprenions la complexité du passé et du présent pour faire évoluer notre compréhension du conflit, non seulement pour percevoir son évolution, mais aussi pour contribuer positivement à sa résolution.
Le récit Palestinien s’est longtemps vu nié tout accès significatif aux médias ou a alors été corrompu par les mêmes cercles que ceux qui ont construit et sacralisé l’image d’un Israël présenté comme oasis de démocratie et pivot de civilisation. Ces dernières années cependant, les choses ont commencé à bouger grâce aux initiatives sur le réseau Internet et grâce aux divers mouvements de la société civile au niveau international. Bien qu’il faille encore atteindre une masse critique ou imposer un changement radical de paradigme dans l’opinion publique, ces voix ont pu imposer une histoire longtemps dépréciée et considérée pour l’essentiel à travers le regard israélien.
Une narration qui s’appuierait sur l’ensemble des récits reflétant l’histoire, la réalité et les aspirations du peuple de Palestine, refléterait une véritable compréhension de la dynamique du conflit. Ces récits qui marquent des générations entières de Palestiniens sont assez puissants pour remettre en cause la partialité et la polarisation actuelles. Les Palestiniens sont ni des « martyrs » potentiels ni des « terroristes » potentiels. Ce sont des personnes à qui sont refusés les droits de l’homme les plus basiques, qui ont été dépossédées de leurs terres et qui sont gravement maltraitées.Ces gens ont résisté pendant plus de six décennies et ils continueront à résister jusqu’à imposer le respect et l’application de leurs droits. C’est là que se trouve le cœur du récit palestinien, bien qu’il ait été le plus souvent occulté. Une véritable approche, soucieuse de vérité historique, exigera une bien plus forte mise en évidence du riche récit collectif « des gens du peuple ».
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com