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Comme presque partout ailleurs : femmes, fer de lance de la réussite de la révolution (ndlr)

Le cri de colère des Egyptiennes

Vendredi, 15 février 2013 - 8h51 AM

vendredi 15 février 2013

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Delphine Minoui
(AP)

Les viols se multiplient pendant les mouvements de foule. Ils visent, selon les ONG, à dissuader les femmes de manifester. La contre-attaque s’organise. Les jeunes volontaires de « Tahrir body guards », gilet jaune et casque blanc, arpentent la place centrale du Caire pour tenter de décourager les agresseurs

Elle foule le terre-plein central de la place Talaat Harb avec la détermination de celles qui n’ont plus peur de rien. « Il faut raconter le mal pour le combattre. Il ne faut plus craindre de parler », souffle Yasmine al-Baramawi, en rejoignant ses quelque 300 concitoyennes rassemblées ce mardi 12 février au centre-ville pour dénoncer, une fois de plus, la spirale des agressions sexuelles.
Depuis qu’elle a osé témoigner de son viol à la télévision – une première en Egypte – la jeune Egyptienne est de toutes les manifestations contre les attaques à l’encontre des femmes. Le fléau, qui gangrène le pays depuis deux ans – et qui a fait au moins vingt nouvelles victimes le 25 janvier, date anniversaire de la révolution –, relève toujours du même scénario : une manifestation à la nuit tombée sur la place Tahrir, un essaim d’hommes qui encercle une femme, des centaines de mains qui se glissent sous ses vêtements, arrachent son pantalon, déchirent son soutien-gorge, et s’aventurent violemment dans ses parties les plus intimes. De quoi laisser penser à certaines que ces attaques sont organisées.

« Tout ceci est finement manigancé. Il y a une volonté délibérée de terroriser les femmes pour qu’elles renoncent à manifester. Les islamistes au pouvoir sont ­encore pires que le régime de Moubarak. Ils veulent imposer leurs idées moyenâgeuses en étouffant la contestation. Dans une manifestation récente, place Tahrir, on a même entendu des hommes donner des instructions aux agresseurs : « Ouvrez le cercle ! Fermez le cercle ! », s’époumone l’activiste Nazli Shahine, cofondatrice de la « Voix des femmes égyptiennes ».

Elle en veut également pour preuve ces déclarations formulées la veille par des membres du Sénat, accusant les femmes de provoquer leur viol en s’aventurant dans les manifestations. Au-dessus des têtes, une pancarte défie ces idées rétrogrades. « Contrôlez vos fils, pas vos filles ! », prévient le slogan. Dans la farandole des affiches portées à bout de bras, on reconnaît les photos en noir et blanc de la chanteuse Oum Kalsoum et de Hoda Shawaari, pionnière du mouvement féministe en Egypte. Autant de symboles renvoyés dos-à-dos aux récentes insultes d’un prédicateur salafiste. Connu sous le nom d’Abou Islam, l’homme à la barbe blanche a provoqué un tollé dans les milieux féministes, en avançant que les activistes qui allaient « nues » place Tahrir n’y allaient « pas pour protester, mais pour être violées ». « Comme si la femme était une créature perverse qu’il fallait castrer… », s’énerve Nagwa, une des participantes.

Foulard sur la tête et baskets aux pieds, Nihal Saad Zaghloul vient tout juste de rejoindre la manifestation. Pour cette jeune révolutionnaire de la première heure, le problème est plus culturel que religieux. « Notre pays est empreint d’une profonde culture patriarcale. Dès leur tendre enfance, les hommes pensent qu’ils sont les rois à la maison. Au lieu de nous dénigrer, les autorités devraient lancer de véritables campagnes de sensibilisation. Dans les écoles, il faut réformer les programmes scolaires pour changer les mentalités », insiste-t-elle.

Dans un rapport qui vient d’être publié, l’organisation Amnesty International dénonce, elle, la culture de l’impunité qui encourage les criminels à poursuivre, sans retenue, leurs attaques. « Il est essentiel de mener des enquêtes impartiales et approfondies, pour déterminer si ces attaques de foules violentes sont coordonnées par des acteurs étatiques ou par des acteurs non étatiques organisés, et pour que leurs auteurs puissent être traduits en justice », avance Hassiba Hadj Sah­raoui, la directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Face au courroux des associations féminines, le Ministère de l’intérieur s’est proposé, il y a quelques jours, de créer une « police exclusivement féminine » pour venir en aide aux femmes. Un projet que réfutent de nombreuses Egyptiennes. « Une police de femmes ou d’hommes, ce n’est pas le problème ! Le problème, c’est que les forces de l’ordre ne font pas leur travail. Quand une femme se fait agresser, les policiers ferment les yeux. Pire : lorsqu’une victime a le courage de faire une déposition au commissariat, elle fait souvent l’objet de raillerie, voire de propositions mal placées », s’énerve Lina, une jeune manifestante.

En attendant, les activistes s’organisent, se mobilisent. Concentrée sur la place Talaat Harb, la manifestation de ce mardi 12 février a également reçu un écho international. A l’appel du mouvement « The uprising of women in the arab world », des centaines de femmes se sont rassemblées au même moment devant les ambassades d’Egypte : en Mauritanie, au Liban, en Jordanie, en Australie, en Thaïlande, au Canada… Et, pour garantir leur sécurité, les courageuses manifestantes du Caire peuvent désormais compter sur les jeunes volontaires de « Tahrir bodyguards ». « En espérant que notre présence finisse par décourager les agresseurs », avance, du haut de son mètre quatre-vingts, Dina Hosni, une bénévole de 23 ans en gilet jaune et casque blanc.