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Merci à Eric de cette information de plus en plus d’actualité.

La balle qui cible Israël

par Philippe Tourel

lundi 15 mai 2006

Publié sur le site de l’Association CAPJPO-EuroPalestine ; : http://www.europalestine.com

Nous publions un article paru dans "Afrique Asie" du mois de Mai 2006 :

Un journaliste se bat contre un projectile reçu en pleine poitrine, il y a six ans, dans les territoires occupés. Ironie du sort, celui-ci lui a été retiré depuis longtemps. Son nom ? Jacques-Marie Bourget.

Aujourd’hui, cet homme a recommencé à vivre. Ou presque. Un poumon gauche transpercé, une épaule réduite, un avant-bras à vif, une main gauche qui fonctionne à peine, un état « dépressif post-traumatique permanent », une douleur telle qu’on lui prévoit l’implantation d’un électrode dans le cerveau. 42 %, tel est le taux d’invalidité que lui a attribué la Cnam. Un quasi demi-Bourget, en somme.

Son histoire est exemplaire. Nous sommes le 21 octobre 2000. Grand reporter à l’hebdomadaire Paris Match, Jacques- Marie Bourget se rend à Ramallah en Cisjordanie.
L’Intifada bat son plein : de jeunes Palestiniens balancent des pierres à des soldats israéliens qui répondent par des gaz lacrymogènes, des balles réelles ou caoutchoutées. Affrontement classique, dit-on.

Dans le coma

Il est 15 h. Bourget n’est pas seul. Autour de lui, d’autres journalistes s’activent, des photographes également. Le reporter de Paris Match est lui-même accompagné de Thierry Esch, qui tient son appareil. Ils choisissent de prendre place loin des affrontements, dans un lieu protégé, du moins le pensent-ils. Des murs, à gauche, à droite, derrière eux. Seule en face, vue d’elle et la voyant, l’armée israélienne.
Bourget qui est resté assis sur un morceau de ciment décide de se lever. Il est 15h30.

Une balle le frappe à la hauteur de l’aisselle. Un projectile tiré, selon Thierry Esch, téléobjectif en main, depuis le City Inn, un hôtel réquisitionné par l’armée israélienne. « Un sniper militaire », « un tir délibéré », témoigne-t-il. Plus loin : « Un projectile éventuel ne pouvait provenir que d’en face, depuis une arme israélienne. » Le message est clair : ce 21 octobre, pas de balle perdue sur ce carré de pierres, mais une vraie, en ferraille, qui a repéré puis touché sa cible.

L’envoyé de Paris Match tombe dans le coma. Evacué par le Croissant-Rouge palestinien aux urgences de l’hôpital de Ramallah, son état est jugé si grave qu’il doit être transporté vers un hôpital à Jérusalem.

Ci-dessus, l’évacuation de Jacques-Marie Bourget par des secouristes palestiniens.

Mais les autorités israéliennes refusent de laisser passer l’ambulance. Il est 19h30. Les chirurgiens palestiniens alertent le consul de France. Le journaliste est finalement opéré par un cardiologue et un pneumologue palestiniens, entre autres ; le docteur Desnante, réanimateur spécialiste français de l’hôpital Cochin, à Paris, et volontaire de l’ONG Médecins du Monde, participe à l’intervention.

Sauvé in extremis, le blessé doit maintenant être transféré en France. Nouveau refus des autorités israéliennes qui lui bloquent l’accès à l’aéroport le plus proche.
Cette fois, c’est Chirac en personne qui intervient depuis la Chine où il se trouve. Le reporter est enfin « libéré », réopéré - la balle restée coincée sous l’omoplate lui est extraite en juin 2001 -, soigné autant que faire se peut, c’est-à-dire à... 58 % de validité.

Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Pour le moins agacé, Israël conteste d’abord la responsabilité de son armée dans cette affaire, se référant aux conclusions d’une enquête (laquelle ?) qui estime : « Il ne semble pas probable, d’après le lieu où il se situait, que M. Bourget ait été atteint par des tirs israéliens. » Cette version qui vient contredire celle du photographe, témoin direct, est mise en défaut par le rapport d’expertise du Tribunal de grande instance de Paris, lequel relève dans son examen balistique que la seule munition présentant des caractéristiques similaires à celles de l’ogive qui a esquinté le journaliste est fabriquée par l’industrie militaire israélienne. (Dans son étude, l’expert judiciaire indique que « la munition isolée est de marque Samson, fabriquée par IMI (Industrie militaire israélienne) » et « Comparable en tous points à l’ogive sous scellé n° 5, [elle] est de nationalité israélienne. »)

Tireur de bon droit

Autre élément à verser au dossier, une lettre du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions qui, en novembre 2003, refuse son intervention dans cette affaire, au motif que Bourget « a été gravement blessé par un tir de l’armée israélienne, dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre ».
Traduction : le journaliste ne peut prétendre à une indemnisation de ce Fonds car sa vie n’a pas été détruite par des terroristes mais par un militaire agissant dans son bon droit. Belle la vie, non ?

Les autorités israéliennes contredisent enfin les conditions d’évacuation du reporter, affirmant que « tous les efforts civils et militaires ont été déployés en collaboration avec l’ambassade de France en Israël ».
Chirac devra-t-il témoigner de sa bonne foi ? Le reporter aurait même été transféré le 22 octobre et non le 23, corrige, dans un courrier expédié à un journal, la représentation israélienne qui veut faire la savante. Ce que réfute le compte-rendu d’hospitalisation de l’hôpital Beaujon, qui a noté que le rapatriement du journaliste par avion sanitaire a bien eu lieu le 23 octobre.

Jacques-Marie Bourget a déposé plainte contre X pour tentative d’homicide volontaire.
Une commission rogatoire internationale française a été délivrée en avril 2005 à destination des autorités israéliennes, qui n’ont toujours pas répondu, en contradiction avec la convention de 59 pourtant signée par Tel-Aviv. Refus de reconnaître la vérité, manque de discernement, crainte, comme elles le stipulent elles-mêmes, d’une exploitation politique de cette affaire... il y a là une désinvolture et un mépris de la vie humaine à glacer le sang.

En attendant leur hypothétique réveil, la très impartiale association Reporters sans frontières (RSF) qui a aligné il y a peu, Place du Trocadéro à Paris, les portraits des prédateurs de la liberté de presse dans le monde, gagnerait à rappeler qu’en Israël aussi, on canarde les journalistes. S’agissant de ce pays, Robert Ménard, le patron de RSF, et son équipe ont tout simplement cessé d’enregistrer les crimes commis contre la presse, par son armée, dans les territoires occupés. Désormais, Ménard ne prend en compte que les atteintes commises par l’Etat hébreu à l’intérieur de ses frontières de 1967. De la même manière que les attaques des soldats de Bush contre la presse en Irak, ne sont pas « homologuées » au débit des Etats-Unis, mais à celui de l’Irak ! Pour que la fièvre baisse, cassons le thermomètre. Plus facile pour Ménard d’occuper l’Office du tourisme tunisien que celui d’Israël. Notons, pour l’anecdote, et pour mesurer l’incohérence du droit européen, que des juges anglais viennent, eux, de déclarer « crimes de guerre » deux assassinats commis par Tsahal contre deux de nos confrères britanniques.

On tire sur les journalistes et on tue leurs collaborateurs. Comme Abdel Khorti, le guide et interprète de Bourget, qui, quelques jours avant l’attentat dont ce dernier a été victime, a été liquidé d’une balle dans la tête, alors qu’il rentrait chez lui près de Netzarim. Exécuté pour avoir travaillé avec ce journaliste ?

Par Philippe Tourel