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Pendant ce temps-là, à Gaza….

Jeudi, 21 juillet 2011 - 6h32 AM

jeudi 21 juillet 2011

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Nadir Dendoune est un journaliste indépendant qui se rend fréquemment à Gaza. Sa dernière entrée dans ce territoire date de lundi : il nous raconte.

Sélectionné et édité par Hélène Decommer

De nos jours, il vaut mieux se lever tôt si on veut faire l’aller-retour Ramallah-Gaza dans la journée : le check-point à la frontière d’Erez n’est ouvert que quelques heures. La plupart du temps de 9h à 15h30. Mais cela varie, toujours au bon vouloir des Israéliens.

Les entrées sont filtrées. Sans autorisation spéciale, l’accès à ce tout petit territoire long d’une quarantaine de kilomètres où s’entasse plus d’un million et demi de personnes, une des zones les plus densément peuplées au monde, relève de l’impossible. Depuis 2009, depuis qu’Israël a bombardé aveuglement Gaza, tuant au moins 1.300 personnes en quelques semaines, pour 13 morts côté israélien, le passage est devenu sélect.

Je décolle de Ramallah à 6h30. Un taxi m’emmène à Qualandia, le fameux check-point, l’un des plus fréquentés de Cisjordanie, qui permet de passer de l’autre côté du mur et de rejoindre Israël. Il est tôt et les travailleurs, présents en masse, attendent en file indienne que les militaires donnent le feu vert. Toujours au compte-goutte et après s’être pliés aux différentes règles de sécurité. On peut perdre parfois plus d’une heure.

Mon chauffeur m’attend de l’autre côté du check-point. Nous partons très vite ; il y a un peu plus d’une centaine de kilomètres pour rejoindre Erez, point de passage obligé pour pénétrer à l’intérieur de Gaza.

Firas, un Palestinien qui réside à Jérusalem, est affable, son anglais est très bon. Comme beaucoup, il est très politisé. Le long du chemin, ses doigts me pointent les peuplements de colons. Entourés de corridors, de barbelés, ils sont coincés entre les villages palestiniens. Des routes, des ponts, des murs ont été construits juste pour eux. Aux feux rouges, militaires et civils, tous, sont armés jusqu’aux chicos. Ils traversent comme si de rien n’était. Scène banale.

L’ambiance est si pesante en Israël. Et pourtant, les Israéliens semblent s’être habitués à cette situation. Comment font-ils pour vivre ça au quotidien ?

Nous passons un premier barrage, toujours contrôlé par ces gamins, à peine sortis de l’école. Firas leur montre sa carte israélienne, il a un passeport jordanien ; comme la plupart, il refuse de demander un passeport israélien, synonyme pour lui d’allégeance à Israël. Vérifications faites, nous filons à toute vitesse. La route est dégagée, une deux-voie rapide. Je colle mon front contre la vitre et je regarde avec désolation toutes ces colonies. A quoi cela sert d’évoquer la paix quand, de l’autre côté, on soutient la colonisation ?

Les Israéliens progressistes que j’ai rencontrés répètent que le gouvernement actuel est de loin le pire qu’ils aient eu. Un point commun avec nous, en France. Erez n’est plus très loin. Firaz coupe la radio, me demande d’arrêter de filmer.. Firas se gare et m’attend : lui n’a pas le droit de pénétrer à l’intérieur de Gaza. Quelques personnes attendent sur un banc. Je les salue. Un Japonais, bonne gueule, dreadlocks, tente sa chance auprès du douanier israélien. En vain. L’air dépité, il me fixe du regard en baragouinant quelques mots.

Je suis le prochain : j’ai les documents nécessaires. La grille s’ouvre. Je me retourne : Firas brandit son poing en l’air en signe de victoire. Un agent des services secrets m’escorte jusqu’au poste de contrôle. Ici, il n’y a pas de fouille. Juste d’autres vérifications des documents. J’attends derrière une porte qu’un type vienne nous chercher. Une fois dehors, un long corridor qui n’en finit pas, m’attend. Je croise Samir, il est avec sa mère. Le bonhomme avance péniblement, claudiquant. Sa maman peine à tirer la valise. Case départ pour eux : ils doivent rebrousser chemin et ne pourront pas entrer en Israël.

Samir tient pourtant dans les mains une lettre d’un hôpital israélien en vue de subir une opération chirurgicale prévue dans deux jours. Il me montre son visage défiguré : à l’intérieur, des plaques en ferraille ont été installé. Il ne comprend pas le refus des autorités israéliennes. Comme pour Samir et sa mère, plusieurs Palestiniens de Gaza doivent faire marche arrière.

Le corridor traversé, nous poussons un tourniquet : nous sommes à Gaza.

Gaza, le 18 juillet 2011 - Nadir Dendoune ©

Le contraste est saisissant de l’autre côté de la frontière. Un autre monde. Comme coupés de tous. Je profite de Samir, de sa gentillesse mais aussi de son anglais impeccable pour attraper un tacot avec eux et discuter de la situation des Gazaouis. Direction Gaza City.

Sur le chemin, des maisons détruites en 2009 par les bombardements israéliens, sont encore en ruine. Des gamins se déplacent en charrette sur des routes cabossées. Les portraits d’Arafat, mort en 2004, sont omniprésents. A côté de ceux du Cheikh Yassine, l’ancien leader du Hamas assassiné par l’armée israélienne en 2006. Samir et sa mère descendent juste avant d’atteindre le centre ville.

Je reste avec le chauffeur qui appelle un ami, mon futur guide. L’heure tourne et la frontière ferme dans quelques heures. Déjà. Avec moi, une petite caméra, discrète, mais de bonne qualité. Quelques magasins sont ouverts. Un semblant d’une vie normale. Mais très vite, la réalité revient au galop en rencontrant cet homme dont la maison a été détruite par un obus durant l’opération Plomb durci en 2009. Il me raconte son calvaire. Depuis, il dort à l’intérieur d’une tente.

Je croise au détour d’un chemin un humanitaire palestinien qui excelle dans la langue de Voltaire. Son témoignage est intéressant : chômage titanesque, maladies qui prolifèrent, absence d’eau potable, coupures d’électricité. Quelques conséquences du blocus imposé par Israël. Nous nous dirigeons vers la plage où un gamin tente d’esquiver les vagues. A part lui, l’endroit est vide.

Le temps semble s’être arrêté. Je regarde l’océan et je pense au Dignité Al-Karama, qui était le seul bateau de la flottille de la Liberté 2 toujours en course pour briser le blocus. J’aimerais l’apercevoir et pouvoir l’accueillir. J’apprendrais plus tard avec tristesse, alors en route vers Ramallah, que les occupants du navire arrêtés - alors qu’ils se trouvaient pourtant dans les eaux internationales ! - seront transférés dans un centre d’identification à Holon.

Nous remontons dans le véhicule. Sur le bas côté de la route, des mômes, pieds nus et munis de gros sacs en plastique, se ruent sur un tas de détritus. Mon chauffeur m’emmène ensuite au centre-ville où malgré les difficultés, la vie semble continuer. Le trafic est dense, les boutiques sont sur leur 31.

J’oublie l’espace d’un instant que je suis à Gaza. Nous prenons un café. En face de nous, un policier tente de fluidifier le trafic. Deux jeunes s’avancent timidement. Ils désirent savoir d’où je viens. La discussion s’engage. Fans de football, Zinedine Zidane et Karim Benzema reçoivent une mention spéciale.

Nous rions. Un sourire à Gaza, c’est énorme. Il est 13 heures, la frontière ferme dans deux heures. Je laisse Gaza derrière moi en espérant des jours meilleurs pour elle.

Auteur parrainé par Aude Baron
Source : Le Nouvel Observateur