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Propos recueillis par Olivier Brégeard

Gaza vu de l’intérieur : le témoignage d’un médecin français

Mercredi, 29 juin 2011 - 6h26 AM

mercredi 29 juin 2011

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Alors qu’une nouvelle flottille s’apprête à prendre la direction de Gaza pour tenter de briser le blocus israélien, Christophe Oberlin, qui travaille régulièrement sur place depuis dix ans, témoigne de la situation dans l’enclave palestinienne. En prenant résolument le parti du Hamas, quitte à bousculer certaines idées reçues.

Quels sont vos premiers souvenirs de Gaza, à votre arrivée en 2001 ?

La première impression, c’est le scandale d’être assis sur une place un soir au milieu des enfants, et qu’un avion passe, largue une bombe en pleine ville et détruit un immeuble de haut en bas. Le lendemain, même chose à 4 h de l’après-midi : une bombe, les fenêtres explosent, et à 200 m, un immeuble entièrement détruit, avec les gens présents à l’intérieur. On se dit qu’on ne fait pas partie de la même civilisation que ceux qui font ça…

Quelles évolutions avez-vous constatées sur dix ans ?

La grande étape a été la victoire du Hamas aux élections de février 2006. L’étau s’est alors refermé sur Gaza, avec un véritable siège, et une bonne partie de l’Occident a apporté son soutien à la politique israélienne. On a même vu apparaître une scission parmi les militants pro-Palestiniens. Les soutenir tant que c’était pour un État « laïc », ça allait, mais un pouvoir « religieux », musulman, donc forcément « non-démocratique », ça n’était pas possible pour beaucoup.

Selon vous, le Hamas aurait-il été « diabolisé » à tort ?

J’ai été assez vite très près, physiquement, des gens qui gouvernent actuellement à Gaza. J’ai des amitiés partout là-bas, tout le monde se met en quatre pour nous accueillir, ils me disent tout parce que je les respecte : je ne suis pas choqué par des médecins qui font leurs prières cinq fois par jour. Ça crée de véritables liens.

Et quand on observe ce qui s’est passé depuis 2006, on voit, un peu comme en Turquie, que le Hamas est devenu un parti démocratique, qui respecte les lois fondamentales palestiniennes, contrairement à l’Autorité en place en Cisjordanie, dont le président est illégal, et alors que le parlement ne peut toujours pas siéger. L’Autorité palestinienne s’assied sur les lois fondamentales et n’en fait qu’à sa guise. Pour moi, l’administration de Gaza est aujourd’hui la seule démocratie du Proche-Orient.

Quel bilan peut-on faire de la gestion du Hamas, cinq ans après son arrivée au pouvoir à Gaza ?

Avec un vrai travail de journalistes — l’Occident n’a pas de correspondants permanents à Gaza — on verrait que beaucoup de choses bougent. À la sortie de la guerre de 2008-2009, il n’y a donc pas si longtemps, Gaza était un champ de ruines : aujourd’hui, les immeubles détruits ont été concassés, rasés, tout n’a pas été reconstruit à cause du blocus, mais c’est une vraie champignonnière, il y a du fer à béton qui pousse dans tous les sens. Les écoles, les hôpitaux, les tunnels (NDLR : pour passer sous la frontière égyptienne) fonctionnent… Bien sûr, le chômage est élevé, ça mine, mais il y a une solidarité, pas de mendiants. De l’argent arrive de l’extérieur. Le budget est en équilibre, alors que celui de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie accuse un déficit de 2 milliards. Les salaires des fonctionnaires tombent régulièrement, l’administration a été informatisée en moins d’un an. Une fac de médecine a été créée pendant le siège israélien, tout est enseigné en anglais, et j’ai pu constater que les étudiants ont un bon niveau. Autrement dit, la guerre et le siège n’ont pas eu l’effet escompté par Israël, au contraire, puisqu’il a rameuté l’opinion, et il n’est pas efficace sur le plan économique.

On a dit au contraire que le Hamas avait déçu la population, dont une partie se tournerait vers des groupes plus radicaux

C’est vraiment du fantasme. On parle effectivement de mouvements djihadistes qui se seraient introduits à Gaza. En fait, il y a eu un épisode l’an dernier, au cours duquel un illuminé s’est installé dans la mosquée de Rafah (dans le sud de la bande de Gaza) et a décrété un « émirat », entouré d’une douzaine de gars. La police est rapidement intervenue, les a sommés de se rendre, ils ont refusé et une fusillade a vite réglé l’affaire. On peut au contraire s’étonner de voir aussi peu de personnes « péter les plombs », alors qu’il n’y a pas une famille dont un des membres n’a pas été tué dans des opérations israéliennes.

Le rapprochement actuel entre le Fatah et le Hamas, espoir ou illusion ?

Il y a beaucoup d’arrière-pensées. Il n’y a pas d’oppositions, à la base, entre les membres du Fatah et ceux du Hamas : les gens discutent en famille, sur leur lieu de travail, on plaisante, on s’envoie des piques… À ce niveau-là, il n’y a pas de conflit interpalestinien. C’est un conflit entre ceux qui ont refusé le résultat des élections (le Fatah) et ceux qui les ont gagnées (le Hamas). La réconciliation est une bonne opération de la part du Hamas, puisqu’elle débouche sur ce qu’il demandait depuis les élections : un gouvernement d’union nationale. Il a accepté de se retirer au profit d’un Premier ministre indépendant, en demandant simplement que le gouvernement que ce dernier nommera soit reconnu par le parlement, conformément aux lois. Or, le Fatah refuse.

Quand Mahmoud Abbas a accepté la réconciliation, avec un Premier ministre indépendant, j’ai considéré ça comme la volte-face obligée d’un président dans l’impasse. Mais voilà qu’il demande que le Premier ministre soit Salam Fayyad, le même qu’il a placé, depuis des années, à la tête d’un gouvernement illégal. On voit donc que tout cela est guidé par les pressions américaines et israéliennes. On ne peut donc pas être optimiste.

Que pensez-vous des manifestations étrangères comme la flottille pour Gaza ?

Toutes les initiatives occidentales sont très bien accueillies par la population, elles sont même suivies avec passion. Quand j’étais là-bas pendant les bombardements, quand les équipes n’étaient pas en train d’opérer, elles étaient devant la télé pour regarder les manifestations à Milan, Paris, Londres… Les gens ont été extrêmement sensibles à la flottille de l’an dernier : un monument en hommage aux victimes a été construit sur le port de Gaza. Ils savent faire la différence entre les positions officielles des pays et l’opinion.