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Syrie : qui peut véritablement faire plier le régime de Bachar el-Assad ?

Mardi, 24 mai 2011 - 6h48 AM

mardi 24 mai 2011

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Reuters/Majed JaberPar Véronique Gaymard

L’Union européenne condamne la répression en Syrie qui a fait plus de 900 morts selon l’ONU et des ONG de droits de l’homme. Cette fois, c’est le président Bachar el-Assad qui est directement visé par des sanctions ainsi que neuf responsables du régime : interdiction de visa et gel de leurs avoirs. Les ministres européens des Affaires étrangères étaient réunis à Bruxelles, ce lundi 23 mai 2011, pour voter ces nouvelles mesures qui s’ajoutent à celles votées le 10 mai contre 13 personnes clés du régime syrien. Mercredi dernier les Etats-Unis avaient également visé le président Bachar el-Assad et sa garde rapprochée.
Des sanctions économiques, les embargos sur les armes ou encore le discours prononcé par Barack Obama jeudi 19 mai, dans lequel il exhortait le président syrien à mettre en œuvre les réformes ou à partir, ont peu de chances de faire plier le régime de Bachar el-Assad.

Les sanctions prononcées jusqu’à présent par les Etats-Unis, l’Union européenne ou la Suisse n’auront pas d’effet à court terme. Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie et du Liban, membre du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, et auteur de La région alaouite et le pouvoir syrien, rappelle que ce n’est pas la première fois que les dirigeants du régime subissent des sanctions.

« Ils ont déjà l’expérience de l’attentat contre l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri où la Syrie a été montrée du doigt en février 2005, ils pensaient d’ailleurs que les Etats-Unis ou la France allaient intervenir militairement parce qu’on était vraiment dans une période de tension », explique Fabrice Balanche et il ajoute : « Bachar el-Assad a fait le gros dos, il s’est rapproché de son allié iranien, et il a attendu que l’orage passe. Finalement les Occidentaux sont revenus vers lui à partir de 2008 pour la France [à l’occasion du sommet de l’Union pour la Méditerranée, le président Sarkozy avait invité Bachar el-Assad aux cérémonies du 14-Juillet] et à partir de janvier 2010 pour les Etats-Unis qui nomment un ambassadeur à Damas. Aujourd’hui, Bachar el-Assad adopte la même technique. Et surtout, symboliquement il ne supporte pas les sanctions, il ne supporte en fait aucune ingérence étrangère, ça le pousse même à en rajouter dans la répression pour montrer que les sanctions n’ont aucun effet contre lui ».

La Suisse a annoncé avoir gelé les avoirs de 13 personnalités du régime syrien, et un embargo sur les armes. Les mesures économiques visent en particulier les principales figures du régime responsables de la répression, dont Maher el-Assad, chef de la garde Républicaine, présenté comme le principal artisan de la répression. Mais les responsables syriens se sont préparés à l’éventualité de ces sanctions et ils n’ont pas placé leurs avoirs aux Etats-Unis ou dans les pays de l’Union européenne mais plutôt dans des paradis fiscaux ou en Syrie même, et donc ces sanctions économiques ne peuvent pas avoir d’effets réels.

En outre, la Syrie est un pays peu intégré dans l’économie mondiale et les sanctions ont donc moins d’effets à court terme.

« La Syrie est un pays qui est autosuffisant dans beaucoup de domaines, explique encore Fabrice Balanche. Dans le domaine agricole ils ont une petite industrie qui fonctionne, ils ont un peu de pétrole qui leur permet d’alimenter la consommation domestique sinon l’Iran peut leur donner quelques millions de barils. Ce n’est pas un pays qui est très intégré dans l’économie mondiale. Par conséquent, les sanctions économiques n’ont pas beaucoup de poids ».

Mais ceci, à court terme, car si un blocus est maintenu à long terme, et si la crise se prolonge, les effets dans deux ou trois ans pourraient être dramatiques sur les populations les plus pauvres. « On s’est rendu compte que lors d’un embargo sur un pays, c’est finalement la population qui en pâtit plus que le régime lui-même, et cela a tendance même à rassembler la population autour du régime au nom de l’union nationale », conclut Fabrice Balanche.

Des sanctions pour rassurer l’opinion publique

La communauté internationale s’exprime aussi pour bien montrer qu’il n’y a pas deux poids, deux mesures face à un régime qui réprime sa propre population (elle avait notamment soutenu même tardivement les révoltes en Tunisie, en Egypte et en Libye et condamné la répression jusqu’à intervenir militairement en Libye). Plusieurs pays occidentaux tentent également de faire voter un texte au Conseil de sécurité des Nations unies, mais ils se heurtent à la menace de veto de la Russie et de la Chine. La Russie a clairement annoncé qu’elle s’opposerait à une résolution condamnant la répression en Syrie : elle ne veut pas que se reproduise un scénario « à la libyenne ».

Quelles sont les moyens de pression véritablement efficaces dont dispose la communauté internationale vis-à-vis de la Syrie ?

Occidentaux et les pays frontaliers sont timides et prudents, car ils craignent une déstabilisation régionale. « La difficulté, c’est de savoir quelles sont les moyens de pression véritablement efficaces dont dispose cette communauté internationale vis-à-vis de ce pays, en sachant que la position stratégique de la Syrie impose d’être prudents dans les réactions, puisqu’il y a des répercussions possibles sur le Liban, sur Israël et sur cet ensemble géopolitique extrêmement délicat », explique-t-elle.

Des craintes sur une déstabilisation de la région

En regardant de près une carte de la région, il apparaît clairement que la Syrie occupe une position stratégique. la Syrie est bordée au nord par la Turquie sur 800 km de frontière commune (dont, à l’est, les communautés kurdes), à l’ouest par le Liban où elle exerce encore une grande influence politique, au sud-ouest par son « meilleur » ennemi Israël (qui a annexé le plateau du Golan en 1967 lors de la Guerre des Six-Jours et que la Syrie réclame toujours), au sud par la Jordanie, à l’est par l’Irak, son frère ennemi (rappelons que le parti Baas né en Syrie a toujours été en concurrence avec son frère irakien, la Syrie avait même soutenu l’Iran contre l’Irak lors de la guerre de 1980-1988), Bachar el-Assad brandit d’ailleurs la menace d’un scénario à l’irakienne, et de guerre civile avec une partition du pays en entités confessionnelles si son propre régime tombe.

Tous ses voisins hésitent pourtant à condamner fermement les actions du régime syrien même si la Turquie qui entretient de bonnes relations avec Damas vient de hausser le ton, peut-être parce des élections législatives doivent se dérouler en juin et que politiquement l’AKP au pouvoir doit montrer qu’il ne cautionne pas la répression.

Mais comme le souligne Patrick Seale, écrivain et journaliste, auteur d’une biographie de Hafez el-Assad et plus récemment d’un ouvrage intitulé La lutte pour l’indépendance arabe paru chez Fayard : « personne ne pense intervenir militairement. La Syrie n’a pas de grandes ressources pétrolières et les répercussions régionales font peur. Beaucoup ont peur que si la Syrie tombe, le Liban serait déstabilisé, et qu’il y aurait des tensions accrues avec Israël ».

Selon Fabrice Balanche, « on ne sait pas bien quel est exactement le pouvoir de nuisance de Bachar el-Assad. Est-ce qu’il peut remettre le Liban à feu et à sang ? Est-ce qu’il peut provoquer un mouvement en Palestine ? Il a tout de même perdu une carte, le Hamas, qui a annoncé qu’il partait s’installer au Qatar alors que son siège était à Damas. Jusqu’où les Iraniens iront pour le soutenir ? ».

L’Iran, le meilleur allié de la Syrie

L’Iran est en effet le meilleur allié de la Syrie depuis 1979. C’est le seul pays qui pourrait l’influencer mais il ne le fera pas dans le sens attendu par les Occidentaux. Il ne condamnera pas la Syrie au contraire.

« Les sanctions sur la Syrie en ce moment arrangent l’alliance syro-iranienne. Bachar voit bien qu’il peut compter sur l’Iran, explique Fabrice Balanche. On sait qu’il y a des officiers iraniens à Damas qui donnent des conseils en matière de technique de répression. On a tenté à partir de 2008 de tirer la Syrie vers l’Occident, en la réinsérant dans le jeu international, mais on se rend compte qu’ils n’ont pas coupé leur alliance avec l’Iran. Donc aujourd’hui l’Occident met la pression sur la Syrie, mais en fait on la pousse encore plus vers l’Iran. Donc il n’y a pas beaucoup de pays qui pourraient faire pression sur la Syrie », conclut-il.

La position ambigüe d’Israël vis-à-vis du régime syrien

Lors des célébrations de la Nakba par les Palestiniens (l’exode qu’ils appellent la catastrophe), le plateau du Golan que la Syrie réclame à Israël depuis 1967 a été le théâtre d’affrontements avec plusieurs morts, ce qui n’était pas arrivé depuis 1974.

Malgré ces menaces, Israël pourrait préférer cet ennemi qu’il connaît bien. « Israël voudrait affaiblir l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah qui est celui qui menace son hégémonie régionale, souligne Patrick Seale, et qui a réussi à avoir une certaine capacité de dissuasion. En revanche, le pays craint la venue au pouvoir d’un régime islamique. Israël n’a pas encore digéré les changements en Egypte, il est en de mauvais termes avec la Turquie, il craint l’Iran, son seul ennemi de taille. Je crois que la plupart des pays aux alentours de la Syrie préfèrent Bachar au changement incertain dont personne ne sait ce qui pourrait advenir ».

Si la bourgeoisie sunnite l’emportait de façon légitime, « est-ce qu’Israël ne devra pas négocier avec elle de manière plus sérieuse, et n’aurait donc plus les arguments pour conserver le Golan », précise Fabrice Balanche.

« La survie du régime, à n’importe quel prix »

Pourtant, « le président Bachar el-Assad est sans doute sous une pression intense », précise Patrick Seale. « Il est plus ou moins abandonné par l’Europe notamment par la France qui avait été une des premières puissances à le sortir de son isolement en 2008, il a été nommément censuré par les Etats-Unis [et par l’Union européenne ce lundi]. Est-il en danger ? A mon avis, pas encore. Tant que son armée et les forces de sécurité restent fidèles il me semble qu’il serait très difficile pour l’opposition de le renverser ».

Pour aller plus loin

D’autant que le régime de Bachar el-Assad n’a aucune confiance dans d’éventuelles garanties des gouvernements occidentaux, malgré le fait que Barack Obama dans son discours jeudi lui a tendu la main en le poussant à mettre en œuvre les réformes annoncées. Selon Fabrice Balanche, « les Occidentaux ont définitivement perdu l’espoir de faire basculer Bachar el-Assad de leur côté. Pourquoi la Syrie couperait son alliance avec l’Iran pour se rapprocher des Etats-Unis et de l’Europe quand on voit avec quelle vitesse les Etats-Unis ont lâché Moubarak et Ben Ali ? Bachar el-Assad n’a pas envie de se retrouver dans un hôtel à Dubaï ou à Djeddah comme Ben Ali ! »

Pour Patrick Seale, « le régime syrien combat pour sa survie ». Même s’il a perdu certains appuis comme la Turquie ou le Qatar qui hésitent tout de même à condamner frontalement la répression, « le régime est trop fier pour céder à toute pression extérieure ».

Mais on ne sait pas comment va réagir la « majorité silencieuse », à mesure que le conflit s’étend. L’essentiel se joue aussi à l’intérieur du régime, mais qui gouverne vraiment ? La question est de savoir si c’est la manière forte qui va l’emporter ou si une ouverture telle que l’a demandée le président américain Barack Obama dans son discours jeudi est encore possible.