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Interview de Luisa Morgantini

Démolitions de villages dans la vallée du Jourdain

Jeudi, 19 août 2010 - 8h51 AM

jeudi 19 août 2010

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La Vallée du Jourdain, autrefois grenier de la Palestine.

Lorsque les résidents d’aujourd’hui doivent résister juste pour exister

Interview avec Luisa Morgantini, ancienne vice-présidente du Parlement européen, à son retour d’une visite de la Vallée du Jourdain et de la Cisjordanie où elle a mené une délégation italienne « Associazione per la Pace ».

Privés d’eau et d’électricité, entourés par des colonies et emprisonnés dans une vaste zone militaire fermée sous occupation depuis 1967, les résidents de la Vallée du Jourdain résistent. Frappés par la démolition de leurs maisons et la confiscation de leurs terres, ils représentent l’une des communautés les plus vulnérables de l’ensemble de la Cisjordanie en zone C (zone sous contrôle total, militaire et administratif, israélien).

Aujourd’hui, la population palestinienne est d’environ 56 000, alors qu’avant 1967, la Vallée comptait plus de 300 000 Palestiniens ; une forte baisse provoquée par un long processus d’expulsions qui ont eu lieu loin des regards du public et reçu pratiquement aucune attention des médias.

Une délégation de la Assopace organisation, dirigée par Luisa Morgantini, ancienne vice-présidente du PE, a visité la Vallée du Jourdain et rencontré les communautés locales.

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Interview réalisée par Barbara Antonelli.

Mme Morgantini, vous avez visité la Vallée du Jourdain deux fois en une semaine, quelques jours après que l’armée israélienne ait démolit une fois de plus les structures et les tentes des communautés bédouines dans le Nord. Qu’avez-vous vu ?

Si la zone C, qui représente 60% de la Cisjordanie occupée, est un synonyme d’expulsion et de l’annexion de la colonisation israélienne, dans la vallée du Jourdain tout cela est grandement intensifié. Un déplacement silencieux est mené par Israël, à travers les démolitions, la confiscation des terres, les expulsions, et le non accès aux ressources en eau : ces politiques ont favorisé la création de plus de 30 colonies illégales. Même avant les Accords d’Oslo, Israël avait déjà pour but de créer une zone-tampon entre la Cisjordanie et la Jordanie dans la logique du Plan Allon, ceci par l’annexion de 2400 km² de terres fertiles s’étendant de la Ligne verte de la Mer Morte. Une zone aujourd’hui vidée de ses habitants sera plus facilement annexé demain.

Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a toujours déclaré qu’Israël ne renoncera jamais à la Vallée du Jourdain, et un refrain similaire caractérisait la campagne électorale d’Olmert en 2006. Cette intention précise de garder le contrôle de la zone, au-delà d’être théorisé dans le Plan Allon, a également été pratiqué par Israël pendant la première Intifada, quand les habitants palestiniens de Naplouse sous couvre-feu ont été empêchés de parvenir à leurs propriétés et de récolter leurs champs situés dans la Vallée du Jourdain. Maintenant, cette région est une zone fermée.

Depuis 1967, le gouvernement israélien poursuit son expansion des colonies, qui occupent aujourd’hui la moitié de la zone C, tandis que 44% a été désigné comme zones militaire de tirs et réserves naturelles ; seulement 6% a été laissé aux Palestiniens. L’Administration Civile [israélienne] s’occupe du reste, fonctionnant comme un auxiliaire du gouvernement, émet des ordres de démolition, prenant le contrôle de toutes les principales ressources en eau, et même des réservoirs d’eau, comme cela s’est produit dans Bardala, ou détruisant des canalisations d’eau et des pompes, et entamant des procédures légales pour ôter aux communautés bédouines le peu qu’ils leur ont laissé.

Un tiers des ressources en eau de la Cisjordanie se trouvent dans la Vallée du Jourdain : il est effrayant de penser que les personnes vivant sur cette terre sentent l’eau -une ressource publique, un droit humain fondamental - couler sous leurs pieds, sans pouvoir la boire, sans pouvoir en donner à leurs vaches et à leurs moutons, qui sont le seul moyen de survie de ces communautés qui veulent continuer de faire paître leurs animaux. La Société nationale israélienne des eaux, Mekorot, a creusé de nombreux puits pour desservir les communautés de colons et irriguer les terres confisquées illégalement. Pas pour deservir les Palestiniens ou les terres qu’il leur reste.

Dans le district de Tubas, la consommation moyenne quotidienne en eau pour les résidents palestiniens est de 30 litres par personne, tandis que dans la colonie voisine Beka’ot consomment 400 litres par jour. Les colons israéliens consomment 6 fois plus d’eau que les Palestiniens. Dans certains cas, comme dans les villages de Humsa et d’al-Hadudiya, après avoir tenté de constituer des réserves et des réseaux de canalisations d’eau, les collectivités locales ont fait face à la répression sévère de la part de l’armée israélienne, qui a confisqué tous leurs équipements et leur a coupé l’eau.

De cette manière, Israël maintient son monopole sur les ressources en eau et les Palestiniens sont obligés d’acheter leur eau dans des réservoirs à 33 NIS par mètre cube, tandis que 9 400 colons reçoivent des subventions ou des réductions (payant parfois jusqu’à 75% de moins) pour l’eau à usage domestique et leurs piscines. La même chose est vraie pour l’électricité : les communautés palestiniennes voient passer des lignes électriques au-dessus de leurs têtes, mais ils ne peuvent pas les utiliser, et si jamais ils sont capables de se connecter, les colons et les soldats les arrêtent et leur retirent l’électricité.

Le 19 Juillet, l’armée israélienne a démoli le village de Al-Farisiya (à l’est de Tubas) détruisant plus de 76 structures et laissant des familles entières sans-abri, la moitié des personnes étaient des enfants. Vous avez visité la région avec une délégation de journalistes et de diplomates, organisée par le ministère de l’AP de l’information et le gouvernorat de Tubas.

Nous avons vu le soleil qui brûlait les visages des enfants et des bergers qui raconte leur odyssée douloureuse sans larmes. Nous avons assisté à la destruction : matelas, meubles, effets personnels, fours à pain taboun détruits, tentes démolies. C’est ce qui restait de la vie quotidienne de toute une communauté qui est sans-abri aujourd’hui, obligés de se déplacer une fois de plus. Plus de 30% de familles bédouines ont été déplacées au moins une fois depuis l’an 2000, alors que plusieurs familles ont de nouveau dressé leurs camps en ruine au moins 4 fois. Où sont-ils censés aller ?

Même si je me rends en Palestine depuis plus de 25 ans, le voyage de Tubas à d’Al-Farisyia a été un choc total pour moi : un paysage désolé et nu, moutons et chèvres se serrant sous l’ombre réduite d’une tente bien usée ; des vaches maigres qui utilisent les blocs de ciment annonçant des zones de tirs pour se protéger du soleil intense. Ces blocs de zones de tirs sont partout : devant les tentes des bédouins, le long des rues. Au cours des entrainements militaires, des Palestiniens sont blessés, comme cela est arrivé au maire d’Al-Aqaba quand il avait 17 ans : il est maintenant paralysé et en fauteuil roulant. Accès et circulation sont limités aux points de contrôle, tel que celui redouté de Taysir, où vous devez avoir un permis ou un numéro de coordination pour pouvoir passer, et les diplomates, les ministres et bien sûr les résidents locaux, doivent attendre pendant des heures dans la chaleur étouffante (le diplomate suisse de notre délégation n’a pas un usage très « diplomatique » des mots pour décrire le comportement des soldats ici.)

Une expulsion silencieuse, mais une forte résistance

Le comité de résistance populaire non-violente, dirigée par Fathi Khdirat, représente une autre expérience extraordinaire de persévérance palestinienne : un mouvement axé sur des actions non-violentes pour défendre la présence des communautés et renforcer leurs compétences et savoir-faire. En mobilisant les communautés locales en utilisant leur temps et leur énergie, le comité constitue une réponse à l’occupation israélienne. Mais c’est aussi une étape concrète vers la reconstruction, grâce à des méthodes de construction traditionnelles, comme l’école qu’ils ont construit dans le village de Jiftlik, qui servira aux enfants des camps de bédouins. L’armée israélienne et l’Administration civile ont déjà ordonné sa démolition, et quand ils démolissent, les communautés reconstruisent. Il s’agit d’un acte non-violent de résistance contre l’occupation, qui doit être reconnu et soutenu par les mouvements de solidarité internationale.

Les expulsions dans la Vallée du Jourdain sont bien loin de l’attention des médias, mais aussi du financement des organismes d’aide et, depuis des années maintenant, elles sont loin des sommets politiques palestiniens.

Que peut-on faire ?

Il est vrai : à part quelques rares exceptions près, politiquement et géographiquement isolée, la Vallée du Jourdain est loin d’attirer les grands groupes de militants internationaux et israéliens, comme ceux qui ont mobilisé leurs énergies contre le blocus de Gaza, les expulsions à Jérusalem-Est, ou aux côtés des comités locaux non- violents contre le Mur et l’occupation dans les villages de la Cisjordanie.

En plus de la distance géographique qui sépare les communautés autochtones, la Vallée du Jourdain est moins peuplée (puisqu’en zone C) que les autres régions de la Cisjordanie. En outre, il existe un écart entre les Bédouins nomades et des communautés pastorales sédentaires. En tant que représentants de mouvements et de groupes de solidarité, il est essentiel d’être auto-critique, et pendant des années, nous avons abandonné la zone C et la Vallée du Jourdain. Il est important de mettre un terme à l’occupation israélienne et de soutenir les campagnes contre l’expansion des colonies, ainsi que de fournir l’eau et l’électricité aux communautés bédouines : tout fait partie de cet objectif.

Finalement, avec le gouvernement de Salam Fayyad, l’Autorité palestinienne s’est rendu compte que la zone C fait partie de la Palestine occupée et il est nécessaire de plaider en faveur de projets et d’initiatives dans la région. Le choix de l’Autorité palestinienne de demander à la communauté internationale d’intervenir et d’obtenir que des organismes internationaux opèrent dans la Vallée du Jourdain, a donné lieu à des réponses positives, mais Israël a intensifié sa politique répressive et destructrice. Je pense que l’AP devrait faire face à l’occupation et à la colonisation israélienne dans la vie de tous les jours, en tout lieu, possible et impossible. La vallée du Jourdain est la Palestine occupée, il n’y a pas de zones A, B, et C. Tant de temps a été gaspillé !

La campagne pour la Vallée du Jourdain continue de faire face à plusieurs défis, ainsi que les autres comités populaires dans les villages de Cisjordanie : ils continuent la résistance populaire non-violente fondée sur la détermination. Comme dit Fathi, avec ses yeux brillants et son visage tanné par le soleil, pendant qu’il confectionne des briques d’argile et de paille, « Exister, c’est résister ».