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Par Jean Ziegler membre du Comité consultatif du Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies

Sanctionner les crimes de guerre à Gaza : la tâche de la Société Civile

Mercredi, 7 avril 2010 - 11h22 AM

mercredi 7 avril 2010

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Du 27 décembre 2008 au 22 janvier 2009, l’aviation, la marine, l’artillerie et les blindés israéliens ont pilonné le ghetto surpeuplé de Gaza. Résultat : plus de 1 300 morts, plus de 6 000 blessés graves – amputés, paraplégiques, brûlés – l’immense majorité d’entre eux des civils, notamment des enfants. L’ONU, Amnesty International, le CICR ont constaté des crimes de guerre nombreux, commis par les troupes israéliennes.

En Israël, même des intellectuels courageux – Gidéon Lévy, Michael Warschawski, Ilan Pappe – ont protesté avec véhémence contre les bombardements d’hôpitaux, d’écoles, de quartiers d’habitation.

Le 12 janvier, au Palais des nations de Genève, le Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies s’est réuni en session extraordinaire pour examiner les massacres israéliens. La session a été marquée par le rigoureux et précis acte d’accusation dressé par l’ambassadeur de l’Algérie, Idriss Jazaïry.

Les ambassadrices et ambassadeurs de l’Union européenne ont refusé de voter la résolution de condamnation. Pourquoi ? Régis Debray écrit : « Ils ont enlevé le casque. En dessous leur tête est restée coloniale. » Quand l’agresseur est blanc et la victime arabe, le réflexe joue.

Israël est le quatrième exportateur d’armes de guerre du monde. Comme lors de son agression contre le Liban, en été 2006, Israël a testé sur la population de Gaza ses armes les plus récentes. Selon nombre d’observateurs, ces tests constituent une des raisons principales pour le déclenchement de l’agression. Exemple : une arme totalement inédite désignée sous le nom acronyme de DINE (pour : Dense Inert Metal Explosive) a été testée notamment dans les camps de réfugiés densément peuplé.

Petites boules de carbone contenant un alliage de tungstène, cobalt, nickel ou fer, elles ont un énorme pouvoir d’explosion, mais qui se dissipe à 10 mètres. Un médecin norvégien sur place, cité par Le Monde du 13.01.2009, dit : « À 2 mètres, le corps est coupé en deux ; à 8 mètres, les jambes sont coupées, brûlées comme par des milliers de piqûres d’aiguilles ».

À Gaza, les Israéliens ont également testé des nouveaux obus de phosphore blanc qui infligent aux victimes des brûlures terribles. Toutes ces armes nouvelles vont figurer bientôt dans les prospectus de vente de l’industrie d’armement israélienne, avec la mention : « … ont prouvé leur efficacité à Gaza ».

À l’inverse, les bombardements israéliens ont également servi à « déstocker » des armes anciennes. Au lieu de démanteler, par des processus coûteux, des bombes et des obus de fabrication ancienne, Ehud Barak les a déversés sur les réfugiés palestiniens.

Le Statut de Rome de 1998 qui a donné naissance à la Cour pénale internationale (CPI) contient des définitions extrêmement détaillées des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Abattre à bout portant des familles palestiniennes non armées, bombarder des hôpitaux et des écoles, bombarder des ambulances, utiliser le blocus alimentaire contre la population civile, les exécutions extrajudiciaires sont des crimes sanctionnés par le CPI.

Comment sanctionner ces crimes ?

Luis Moreno-Ocampo, procureur général de la Cour, a reçu jusqu’au 20 février 2009, 221 plaintes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les forces israéliennes à Gaza. Elles émanent de familles de victimes et d’ONG palestiniennes et étrangères, notamment françaises. Parmi ces dernières, l’Union juive pour la paix.

Problème : Moreno-Ocampo ne peut ouvrir une procédure que contre les ressortissants d’un État signataire du Statut de 1998. Ou contre les responsables de crimes commis sur le territoire d’un État signataire. Ni Israël ni l’Autorité palestinienne n’ont signé le statut. Mais il existe une autre solution : le Conseil de sécurité peut demander l’ouverture d’une enquête et le transfert devant la Cour des criminels de guerre quels qu’ils soient. Bien sûr, il y a la menace du veto américain. Mais tout dépend de la mobilisation et de la pression de la société civile internationale. Si cette pression est forte, le veto devient impossible.

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Jean Ziegler

Il est le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation (des populations) du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies de 2000 à mars 2008. Il fut choisi en 2000 et en 2003 mais il ne se présentera pas à sa succession en 2008 car il postule à l’un des (3 sur 18) postes ’réservés’ au groupe occidental au sein du Conseil des droits de l’homme. Sa candidature est officiellement soutenue par la Suisse 5.

En tant que rapporteur spécial, il a étudié le niveau d’alimentation des populations de nombreux pays (Niger, Éthiopie, Inde, Bangladesh, Mongolie, Brésil, Palestine, Guatemala, ...). Les rapports sur la situation de l’alimentation et de la malnutrition dans ces pays sont disponibles sur le site des Nations unies 6,7.

Jean Ziegler a qualifié de « crime contre l’humanité » le fait d’abandonner les cultures vivrières au profit des biocarburants.8.

Depuis 2009, il est vice-président (13) du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009.

Jean Ziegler a participé aux travaux de reconnaissance de la spoliation de déportés de leurs comptes bancaires (en Suisse) au profit de l’Allemagne nazie 9. Son travail est décrit dans La Suisse, l’or et les morts, paru en 1997 aux éditions du Seuil. Il y explique comment les banquiers suisses ont aidé à financer la machine de guerre des nazis.

Jean Ziegler est l’auteur de plusieurs livres sur la mondialisation et sur ce qu’il considère être des crimes commis au nom de la finance mondiale et du capitalisme, condamnant en particulier le rôle de la Suisse. C’est un opposant à la théorie libérale du ruissellement justifiant l’existence des milliardaires par leur rôle dans la redistribution des richesses. Il critique fortement l’action du FMI, qui conditionne ses aides financières à la privatisation des services publics, conduisant souvent, selon lui, à leur dégradation avec des conséquences tragiques pour la santé et l’alimentation pour les pays les plus pauvres. Il rejoint sur ce point Stiglitz qu’il qualifie néanmoins de « déserteur qui s’attaque à son ancien patron ». Enfin, il accuse les États-Unis (« l’empire américain contre la démocratie planétaire ») d’être le bras armé des multinationales. Il insiste sur la spécificité de leur politique étrangère, et leur refus de nombreuses conventions internationales (contre les mines anti-personnel, contre la sanction judiciaire des crimes de guerre - Convention de Rome, 1998, contre le concept de droits économiques, sociaux et culturels - Conférence de Vienne, 1993).