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Paru dans le dans le journal libanais : Al-Ahkbar

Gaza et les intégrismes d’une certaine gauche

par Hisham Naffa’

mercredi 4 juillet 2007

Deux camps radicalement opposés se sont partagés la plupart des gens de gauche en raison des évènements qui ont secoué la bande de Gaza sous occupation. Une partie a soutenu le Hamas parce qu’il représente « l’âme du peuple » tandis qu’une autre a accusé le Fatah de la plus haute trahison, et par rebond, on a entendu condamner tant et plus le Hamas et favoriser le Fatah, consacré unique dépositaire du projet national palestinien. Les deux positions ont sans doute divergé mais le comportement de base est resté le même, le fiasco aussi. Les pires réactions au drame de Gaza sont celles où s’est profilée une vision contrastée, en noir et blanc, qui signifiait que l’on choisissait de se barricader dans un camp pour braver l’autre, ce qui en définitive aboutissait à tomber dans le jeu des rivalités antagonistes où l’un ne survit que par élimination de l’autre. C’est ce jeu-là qui brise l’épine dorsale de la cause de notre peuple palestinien, comme tout le monde l’admet en dernière analyse.

Se replier sur un parti pris pour décrire le Hamas par des termes qui diffèrent peu de ceux colportés par les cliques au pouvoir dans l’axe de Washington, interdit une configuration susceptible d’intégrer l’ensemble des éléments et donc de pressentir le cours des choses. Il n’est pas possible de tenir un discours analogue à celui des tenants du « choc des civilisations » et continuer à se réclamer de la gauche parce que l’analyste qui ne part pas de la réalité politique pour étudier l’ensemble des manifestations du fanatisme devient lui-même fanatique par définition et parce que, sur un autre plan, ce qui s’est passé dernièrement dans la bande de Gaza sous occupation n’était ni une explosion spontanée, ni un évènement extraordinaire tombé du ciel, mais le résultat d’une évolution qu’on pourrait qualifier de « naturelle » en référence à ce qui l’a précédée.

Seules une attention opiniâtre et une conscience aigüe peuvent nous amener à cerner la cause principale de cette alarmante dégradation, à la situer non pas dans la seule rivalité du Fath et du Hamas (qui ont certes outrepassé les limites de la sauvagerie sanguinaire), mais dans les pratiques du pouvoir d’occupation colonialiste israélien et dans le cyclone politique qui plane sur la région contrôlée par le rhinocéros américain, et qui ne touche pas uniquement la Palestine.

Il est très important de méditer le rapport de fin de mission de l’ex-coordinateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Proche-Orient, Alvaro de Soto, remis au Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon. Il y a fermement critiqué le fait que l’Organisation n’ait pas entamé de dialogue avec le Hamas qui avait remporté la majorité des sièges au Parlement au terme d’un scrutin de l’impartialité duquel le monde a pu juger. Il rappelle qu’à la réunion annuelle du Quartette en 2005, la participation du Hamas aux élections avait été rejetée par Israël mais qu’à la suite de consultations avec le Président palestinien Mahmoud Abbas, le Quartette avait estimé que la participation du Hamas constituerait une étape dans l’évolution démocratique de la société palestinienne, et il fut alors conclu que la question de la participation du Hamas aux élections relevait de la politique intérieure palestinienne. Mais le 29 janvier, les américains ont posé une requête devant le Quartette comprenant leurs conditions pour consentir [à traiter avec] le Hamas et pour la poursuite de l’aide internationale : le Hamas devait officiellement renoncer à la violence, reconnaître l’existence d’Israël, honorer les précédents accords [conclus avec l’Autorité Palestinienne].

Lorsque de Soto a proposé au Secrétaire Général de rayer l’allusion à la reconsidération de l’aide internationale et de laisser aux pays donateurs du Quartette le loisir d’en décider, il a été confronté à un torrent de critiques et de sarcasmes de la part de David Welsh, sous-secrétaire d’Etat américain, et d’Elliott Abrams, agitant même la menace d’un éventuel blocage des subventions américaines à l’ONU si l’Organisation investissait des fonds dans des projets de développement dans les territoires palestiniens.

C’est la perspicacité à saisir l’ensemble du mouvement du navire, à ne pas s’arrêter au contrecoup d’un vent impétueux mais temporaire, quelle que soit sa force, soufflant dans telle voile ou telle autre, qui témoigne de la précision de la boussole politique. D’où l’importance maintenant, de s’en tenir à une position de principe, constante, exhortant à se cramponner à l’unité nationale militante palestinienne parce qu’elle est le premier et dernier rocher sur lequel nous parions tous, sur lequel viendront se briser tous les projets de l’occupation coloniale israélienne. Mais nous laisser gagner par le fanatisme partisan et factionnaire, manifester un engouement pour telle partie ou telle autre, jeter l’anathème sur l’un et sanctifier l’autre, signifie que l’on aura perdu l’instrument-guide et que le danger de nous trouver dans une situation désespérée nous guette alors que la tempête est déchaînée.

L’un des problèmes de la gauche laïque réside dans l’attitude intégriste qui préside parfois à ses choix. En ce sens qu’au lieu d’adopter une approche dialectique pour aborder des questions d’une extrême complexité, elle fonde ses positions sur des oppositions binaires et absolues, positions qui peuvent s’avérer meurtrières. Celui qui s’en prend aujourd’hui sans réserve au Hamas lui faisant porter la responsabilité de la dégradation dramatique survenue dernièrement ne diffère en rien de qui se plaît à condamner le Fatah du matin au soir, comme s’il cherchait à remporter la palme du « radicaliste irréductible » ! Dans les deux cas les schémas adoptés sont ceux de la division verticale, propice à l’éclosion des visions duales et à l’ostracisme qu’elles impliquent. Ces schémas nous privent de deux paramètres importants [pour évaluer de la situation] : les détails et le contexte.

La gauche est la partie dont on est le plus en droit d’exiger un assujettissement de ses positions politiques à une réalité sociale et de classe. Sur ce point, il est quasiment absurde de ne pas tenir compte du fait que le boycott israélo-américano-arabe officiel du gouvernement élu de l’Autorité Palestinienne a porté la tension et la frustration à leur extrême provoquant l’explosion. Ceci n’est pas seulement vrai pour le gouvernement du Hamas mais aussi pour le gouvernement palestinien d’union nationale issu de l’accord de la Mecque. Ce dernier avait impliqué les différentes formations palestiniennes et en premier le Hamas et le Fatah. Et bien que cet accord ait été l’expression de la volonté nationale palestinienne, il fut immédiatement étouffé, tué dans l’œuf, au nom de cette p… qu’on nomme « légitimité internationale ». Légitimité qui exige du palestinien ployant sous le joug de l’occupation la reconnaissance de son oppresseur et de son droit à l’existence alors que cette occupation persiste dans tous les projets tendant à consolider son contrôle colonialiste, continue à imposer des faits accomplis sur le terrain et rejette le partenariat et la parité.

Le plus grave quand on entre dans le jeu de la répartition des accusations excessives, de la dichotomie du noir et blanc, taxant l’un de fondamentaliste, l’autre de collaborateur, c’est que l’on fait diverger la lumière du point focal qui est l’occupation israélienne soutenue par les américains et les régimes arabes. Celui qui se laisse entraîner par ses sentiments aux « jeux infantiles » du sectarisme tribal au bénéfice de tel parti ou de tel autre s’apercevra qu’il a oublié le criminel principal, l’occupation israélienne, et il risque de se retrouver plus tard en train d’ânonner des échantillons d’inepties conformes à celles propagées par Israël, la Maison Blanche et les régimes arabes serviles, sur « la modération et l’extrémisme », « la démocratisation » de la région à coups de promesses, de menaces, d’asphyxie des peuples et de mépris de leurs volontés et intérêts.

Dans la mesure où le combat fratricide palestinien ne date pas d’hier, il est insensé de se mettre en devoir de forger des positions hâtives au rythme de la production d’images télévisées enregistrant l’évènement comme isolé de l’ensemble. Il existe un contexte pour les évènements, et celui-ci grouille de détails. Qui reste convaincu que le but principal est de mettre fin à l’occupation colonialiste doit garder en tête que la seule garantie pour atteindre ce but est de se fixer pour tâche de défendre la pierre angulaire palestinienne, la pierre de l’unité nationale. Dans les temps faciles, il est aisé de répéter des slogans unitaires, mais le véritable défi est de serrer dans sa main le charbon ardent* de l’unité nationale, lorsque des épreuves capitales submergent notre quotidien.

[NdT] * Serrer dans sa main le charbon ardent : expression inspirée de la tradition musulmane, formule attribuée à un Compagnon du Prophète : « Vient un temps où le croyant qui tient à sa foi est tel celui qui serre dans sa main un charbon ardent. »

Traduction de l’arabe M.A. pour la CCIPPP

Hisham Naffa’ : écrivain et journaliste palestinien habitant à Haïfa. Al-Akhbar [Liban], -
http://www.al-akhbar.com/ar/node/37575

Hisham Naffa’