Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Israël creuse sa propre tombe

Une évidence de plus en plus crédible et une opinion mondiale de plus en plus informée (ndlr)

Israël creuse sa propre tombe

par Patrick Seale - Jeune Afrique

dimanche 1er juillet 2007

En s’obstinant à rejeter les propositions de paix arabes, en préférant s’en remettre à la force et encore à la force, l’État hébreu se condamne - et condamne la région - à des décennies de violence et de guerre.

Que faudrait-il pour persuader Israël de reconsidérer son attitude à l’égard de ses voisins arabes, et en premier lieu à l’égard des Palestiniens ? La victoire du Hamas à Gaza est sûrement une claire indication qu’un changement de cap israélien est urgent. Tous les efforts de l’État hébreu pour briser le gouvernement démocratiquement élu du Hamas ont été vains. Sa politique de boycottage, de siège, sa volonté d’affamer les populations, ses bombardements et ses tirs de mitraille, ses assassinats ciblés, le blocage des droits de douane et des taxes, la destruction systématique des institutions palestiniennes n’ont eu pour résultat que de créer une bombe à retardement de famine, de désespoir et de défi sur le flanc d’Israël.

Et pourtant, les Israéliens semblent n’avoir rien appris. Au lieu de chercher à faire la paix avec les Arabes, de prendre la main qui leur est tendue, ils s’obstinent à rejeter toutes les propositions de paix, préférant s’en remettre à la force et encore à la force, et à leur talent à manipuler leur allié américain. À Washington, le 19 juin, le Premier ministre Ehoud Olmert a réussi à bloquer une velléité américaine de relancer des négociations israélo-palestiniennes. Il a persuadé George W. Bush - un président qui s’est complètement emmêlé les pieds au Moyen-Orient - que les conditions n’étaient pas réunies pour des pourparlers de paix ni avec les Palestiniens ni avec les Syriens.

L’attribution du portefeuille de la Défense à Ehoud Barak, un ancien Premier ministre et chef d’état-major qui estime que sa priorité est de reconstituer la capacité de dissuasion d’Israël, est un autre signe annonciateur de guerre plutôt que de paix. De source israélienne, on indique que Barak, même en privé, se refuse à admettre qu’il a commis des erreurs en 1999 et en 2000, lorsqu’il était Premier ministre, et qu’il n’a pas profité de l’occasion de faire la paix à la fois avec le leader palestinien Yasser Arafat et le président syrien Hafez al-Assad. Ce n’est pas une bonne référence pour un homme qui devrait jouer un rôle de premier plan en Israël dans les mois et les années à venir.

Condoleezza Rice, la malheureuse secrétaire d’État américaine, dont on aurait pu penser qu’elle projetait de donner un coup de pouce aux contacts israélo-palestiniens, s’est manifestement fait doubler par les faucons pro-israéliens, dont Elliott Abrams, au Conseil de sécurité nationale. On affirme à Washington que la lutte contre le « terrorisme » reste la priorité américano-israélienne. Le président Mahmoud Abbas, qui doit aux bontés de Tsahal et des colons d’exercer son autorité sur trois ou quatre bantoustans coupés de tout en Cisjordanie, a reçu l’ordre de se joindre aux représailles contre ses frères palestiniens s’il veut avoir droit à quelques miettes de la table des riches.

Aux yeux de la plupart des observateurs indépendants, il paraît évident que la politique impitoyable, agressive et expansionniste d’Israël n’a eu pour résultat qu’une détérioration régulière de sa position stratégique. L’État hébreu s’est donné, ou plutôt a fait surgir, des ennemis sur plusieurs fronts : le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, un grand nombre de Palestiniens qui ont tout perdu et qui vivotent dans des camps de réfugiés, la Syrie au nord, l’Iran un peu plus loin et des groupes extrémistes en bien d’autres endroits, témoins de la colère d’une grande partie du monde arabo-musulman. Quelques autres tendances devraient alerter les Israéliens. L’opinion européenne avertie est de plus en plus scandalisée par le comportement de l’État hébreu, alors que les Arabes sont de mieux en mieux instruits, de mieux en mieux armés et beaucoup, beaucoup plus riches qu’avant. L’explosion démographique arabe produit des dizaines, et peut-être des centaines de milliers de recrues potentielles pour des guerres asymétriques qu’Israël est mal préparé à mener, mais qui semblent être le type de guerre de l’avenir.

Si cela ne suffisait pas, la tendance à laquelle Israël devrait peut-être porter la plus grande attention est que son principal allié, les États-Unis, est embourbé dans une guerre impossible à gagner, dans laquelle il s’est engagé en grande partie parce que les amis américains d’Israël, les néoconservateurs de Washington, ont pensé que si l’Amérique écrasait l’Irak, Israël n’aurait plus rien à craindre à l’Est. Il pourrait alors continuer à s’emparer de territoires cisjordaniens sans risquer de réaction arabe sérieuse.

Les néocons font maintenant campagne pour une guerre des États-Unis contre l’Iran, comme s’ils ne voyaient pas que l’opinion américaine supporte de moins en moins bien que l’Amérique soit entraînée dans des guerres lointaines et coûteuses pour le compte d’Israël. L’État hébreu reconsidère-t-il, du coup, sa stratégie ? Rien ne semble l’indiquer. Il se refuse à admettre que les rapports de force sont peut-être en train de changer dans la région. Il persiste à croire qu’il peut éradiquer le Hezbollah du Liban et le Hamas de Gaza, et mettre à genoux la Syrie et l’Iran - ou s’arranger pour que les États-Unis le fassent pour lui. Pour éviter des pourparlers de paix qui pourraient entraîner une cession de territoire, l’État hébreu continue de présenter le Hamas comme une « organisation terroriste » qui n’a d’autre but que la destruction d’Israël, ce qui permet d’avoir recours à la vieille astuce : « Comment pourrait-on négocier avec quelqu’un qui veut vous tuer ? »

Le Hamas est-il une organisation terroriste ou un mouvement de résistance légitime à l’occupation et à l’oppression ? Les Américains se sont ralliés à la thèse terroriste, et la fragile et frileuse Union européenne (UE) les a imités, même si certains de ses membres le regrettent. Le Hamas a certainement perpétré des attentats-suicides contre des civils israéliens au cours de la seconde Intifada, ce qui peut lui valoir, en effet, l’étiquette terroriste. Mais au cours de cette même Intifada, Israël a tué quatre fois plus de Palestiniens que le Hamas et les autres groupes palestiniens n’ont pas tué d’Israéliens. Plus récemment, au cours des seize mois qui se sont écoulés entre la victoire électorale du Hamas en janvier 2006 et avril 2007, Israël a tué 712 Palestiniens, dont beaucoup d’enfants, alors que sur la même période les Palestiniens ont tué 29 Israéliens (militaires et civils). Si le terrorisme se définit comme le meurtre de civils innocents à des fins politiques, lequel des deux camps est le plus grand terroriste ?

Le Hamas veut-il faire disparaître Israël ? Il ne fait pas de doute qu’il en rêve, tout comme Israël rêve de faire disparaître le Hamas. Mais les rêves sont une chose, la politique en est une autre. Le Hamas s’applique actuellement à rétablir l’ordre à Gaza. Il désarme les gangs qui vivent d’extorsion et de chantage, comme le gang Daghmush, qui détient le correspondant de la BBC Alan Johnston. Et il s’efforce de satisfaire les besoins immédiats d’une population de 1,4 million de personnes démunies, entassées sur un petit territoire dont Israël a fait la plus grande prison à ciel ouvert du monde. Voici ce que Ismaïl Haniyeh, le Premier ministre Hamas et désormais maître de Gaza, déclarait au quotidien français Le Figaro des 16-17 juin : « Notre programme est clair. Nous souhaitons la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, c’est-à-dire à Gaza, en Cisjordanie avec Jérusalem-Est comme capitale. L’OLP reste en charge des négociations sur ce point. Nous nous engageons à respecter tous les accords passés, signés par l’Autorité palestinienne. Nous souhaitons la mise en œuvre d’une trêve réciproque, globale et simultanée avec Israël. »

On aimerait qu’Ehoud Olmert ou l’un de ses amis tiennent des propos aussi raisonnables ! Tout au contraire, Israël se propose de poursuivre, et même d’intensifier sa politique de bouclage de la bande de Gaza. Comme l’a dit Tzipi Livni, la ministre israélienne des Affaires étrangères, le 18 juin, au Luxembourg, à ses collègues de l’UE : « Il faut profiter au maximum de la scission entre la Cisjordanie et Gaza. Elle sépare les modérés des extrémistes. » Elle a pressé les autres ministres de continuer à isoler le Hamas tout en facilitant la vie du Fatah en mettant fin aux quinze mois de boycottage financier de l’Occident. Mais cela suffira-t-il à sauver Mahmoud Abbas ?

Une politique consistant, d’un côté, à nourrir la Cisjordanie et, de l’autre, à affamer Gaza peut-elle réussir ? C’est peu probable. Les responsables israéliens de la sécurité refuseront de supprimer les centaines de barrages qui font de la vie des Palestiniens un enfer. Le puissant mouvement des colons israéliens n’acceptera pas de renoncer à créer des colonies, et encore moins d’en supprimer. Et les dirigeants israéliens remueront ciel et terre pour éviter d’engager des pourparlers de paix avec les Arabes sur la base des frontières de 1967. Le résultat sera que Mahmoud Abbas s’enfoncera de plus en plus dans l’illégalité et aura de plus en plus une image de « collabo » ; que le déclin du Fatah se poursuivra inexorablement ; et qu’Israël et ses voisins seront condamnés à des décennies de violence et de guerre.

Patrick Seale

Comme un observateur avisé me le faisait remarquer ces jours derniers, « le Moyen-Orient est aujourd’hui dans la situation de l’Europe à la veille de la Grande Guerre de 1914-1918. Une étincelle pourrait suffire à embraser la région. »

* Patrick Seale est un analyste et auteur réputé sur le Proche-Orient. Contributeur régulier à Gulf News. Il a notamment publié des ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Syrie et une biographie d’Abu Nidal.

Patrick Seale - Jeune Afrique, le 24 juin 2007