Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > L’Holocauste comme atout politique d’Israël

Publié le dimanche 22 avril 2007.

L’Holocauste comme atout politique d’Israël

par Amira Hass

dimanche 22 avril 2007

L’abandon des survivants par les institutions est, à juste titre, dénoncé à tous les niveaux. La transformation de l’Holocauste en un atout politique contre les Palestiniens fait partie du consensus.

L’atout d’Israël pour son combat contre les Palestiniens

Le cynisme propre à l’attitude des institutions de l’Etat juif à l’égard des survivants de l’Holocauste n’est pas une révélation pour ceux qui sont nés et qui vivent parmi eux. Nous avons grandi avec un abîme entre la présentation de l’Etat d’Israël comme lieu de la renaissance du peuple juif et le dénuement de chaque survivant de l’Holocauste et de sa famille. La « réinsertion » personnelle a dépendu de la situation de chacun : les plus forts avant les autres, ceux qui n’avaient trouvé aucun soutien parmi les institutions de l’Etat. Dans les années 50 et 60, nous avons considéré comme humiliant nos parents pour être allés "comme des moutons à l’abattoir", une honte pour les nouveaux Juifs, les Sabras, oubliant la tragédie de leurs parents de la Diaspora.

On peut arguer que durant les deux premières décennies, beaucoup dans cette attitude peut être imputé au manque d’information et à la faiblesse très humaine des capacités à saisir toute la signification du génocide à échelle industrielle perpétré par l’Allemagne. Mais la conscience des aspects matériels de l’Holocauste s’est manifestée très tôt avec les institutions juives et sionistes qui ont commencé dès le début des années 40 à discuter des possibilités de demander des indemnités de guerre. En 1952, un accord sur les indemnités avec l’Allemagne était signé par lequel ce pays acceptait de payer des centaines de millions de dollars à Israël pour couvrir les coûts d’absorption des survivants et de payer leur réinsertion.

L’accord obligeait l’Allemagne à dédommager aussi bien les survivants individuellement mais la loi allemande faisait la distinction entre ceux qui appartenaient au « cercle de la culture allemande » et les autres. Ceux qui étaient capables de prouver leur lien avec le cercle supérieur ont reçu une somme plus élevée, même s’ils ont émigré d’Allemagne avec le temps. Les survivants des camps de concentration hors de ce « cercle » n’ont reçu que la somme ridicule de 5 marks par jour. Et les représentants israéliens ont avalé cette distorsion.

Ceci fait partie des sources de ce cynisme financier que les médias dénoncent aujourd’hui pour plusieurs raisons : l’âge avancé et la santé déclinante des survivants, la dégradation délibérée de la protection sociale, la présence de survivants venant de l’ancienne Union soviétique qui ne sont pas inclus dans l’accord d’indemnités, l’activisme médiatique d’organisations d’entraides non gouvernementales, et l’engagement bienvenu de journalistes en affaires sociales.

Ils sont choqués par le trou existant entre l’appropriation officielle de l’Holocauste, laquelle est comprise en Israël et perçue comme justifiée, et l’abandon des survivants.

Faire de l’Holocauste un atout politique est utile à Israël d’abord pour son combat contre les Palestiniens. Quand l’Holocauste se trouve d’un côté de la balance, en même temps que la conscience coupable (et c’est bien ainsi) de l’Occident, alors la dépossession du peuple palestinien de sa patrie en 1948 se retrouve minimisée et brouillée.

L’expression « sécurité pour les Juifs » a été consacrée comme le synonyme exclusif de [« leçons de l’Holocauste ». C’est ce qui a permis à Israël de différencier systématiquement les citoyens arabes. Pendant 40 années, la « sécurité » a servi de justification pour maîtriser la Cisjordanie et de la Bande de Gaza et leurs habitants qui ont été spoliés de leurs droits de vivre au même niveau que les résidents juifs, citoyens israéliens couverts de privilèges.

La sécurité a été utilisée pour créer un régime de séparation et de discrimination sur une base ethnique, de style israélien, sous les auspices de « discussions pour la paix » qu’on fait durer une éternité. Transformer l’Holocauste en un atout permet à Israël de présenter toutes les formes du combat palestinien (même sans arme) comme un maillon de la chaîne antisémite dont le point culminant fut Auschwitz. Israël se donne ainsi lui-même l’autorisation de monter encore plus de barrières, de murs et de miradors militaires autour des enclaves palestiniennes.

Séparer le génocide du peuple juif de son contexte historique du nazisme et de ses objectifs de meurtre et d’assujettissement, le séparer de la série de génocides perpétrés par les hommes blancs hors d’Europe créent une hiérarchie parmi les victimes, en haut de laquelle nous nous tenons. Les chercheurs sur l’Holocauste et l’antisémitisme n’ont rien trouvé à dire quand, à Hébron, l’Etat pratique la purification ethnique via les colons, ses émissaires, et ils ignorent les enclaves et le régime de séparation que l’Etat est en train d’installer.

Quiconque critique la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est dénoncé comme antisémite, si ce n’est comme négationniste de l’Holocauste. De façon absurde, délégitimer toute critique d’Israël rend plus difficile la réfutation des futiles analogies faites entre la machine à tuer nazie et le régime israélien de discrimination et d’occupation.

L’abandon des survivants par les institutions est, à juste titre, dénoncé à tous les niveaux.

La transformation de l’Holocauste en un atout politique afin de l’utiliser dans le combat contre les Palestiniens alimente les mêmes sources du cynisme officiel, mais cela fait partie du consensus.

Amira Hass écrit pour Ha’aretz. Elle est l’auteur de « Boire la Mer à Gaza ».

20 avril 2007 - Publié en anglais sur Counterpunch - photos par la publication - traduction : JPP