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Un jour de la vie de Naplouse sous couvrefeu

par Kirsten Sutherland

mardi 6 mars 2007

publié le lundi 5 mars 2007.

J’ai demandé à la conductrice bénévole de la PMRS pourquoi elle risquait sa vie en permanence pour apporter de la nourriture et des médicaments aux familles bloquées : « C’est ma façon de combattre ».

Naplouse, le 26 février 2007
Le Dr Ghassan Hamdan, directeur de la PMRS (Palestinian Medical Relief Society) de Naplouse, s’est levé à 5 h ce matin après seulement deux heures et demie de sommeil. Jusqu’à tôt ce matin, il avait distribué des médicaments et de la nourriture, dispensé des soins en urgence aux habitants de la Vieille Ville de Naplouse sous couvre-feu, tel que l’ont imposé les Israéliens avec interdiction pour eux de quitter leur maison depuis dimanche matin.
Il a été réveillé par un appel lui disant qu’une maison, juste à l’extérieur de la Vieille Ville, avait été attaquée par les soldats israéliens et qu’il y avait peut-être des victimes civiles. Quand il est arrivé sur place, on lui a dit que les troupes israéliennes étaient arrivé dans l’immeuble résidentiel vers 4 h 45 et en avaient forcé les habitants à descendre sur la rue. L’une d’entre eux, Mona Tbeileh, était accusée par les soldats d’héberger des hommes « recherchés » dans son appartement. Mona a nié catégoriquement, disant aux soldats que son époux était à l’étranger et qu’elle et son fils étaient seuls dans l’appartement au rez-de-chaussée. Elle dit aux soldats qu’ils pouvaient fouiller l’appartement pour en avoir la preuve et elle s’est même proposée comme bouclier humain. Ils ont refusé de fouiller l’appartement et vers 5 h 15, ils ont balancé des explosifs par la porte de l’appartement pour lui mettre le feu. (1)
Mona et sa famille nous ont montré les dégâts : les impacts de balles dans les murs et le tas de meubles et d’affaires de la famille, tout carbonisés, se consumant encore depuis l’incendie du matin. La fille de Mona, Niveen, 19 ans, montre un cadre noirci en me disant, « C’était mon lit. Remercions Dieu que j’ai dormi chez mon cousin la nuit dernière. Quand ils m’on appelée pour me dire ce qui est arrivé, je suis devenue folle. Je m’inquiétais pour ma maman et mon frère. Il a fallu 5 heures pour éteindre le feu. Tout a été détruit. »
Le Dr Mustaf Barghouthi, député, qui a rendu visite à la famille plus tard dans la journée dit : « C’est un exemple de plus de la façon dont les militaires israéliens croient pouvoir agir impunément. La maison et les biens de cette famille ont été détruits. Ca sert à quoi ? Que vont-ils faire maintenant ? Personne ne les indemnisera pour la perte de leur maison. Naplouse est en train de revivre 2002. »
Le Dr Barghouthi se réfère à la période de 2002 où Naplouse a passé presque 200 jours sous un couvre-feu prolongé, quand les habitant de Naplouse ont été forcés de passer pratiquement 80% du temps entre le 18 juin et le 31 décembre à l’intérieur des maisons (souvent 24 h d’affilée) (2). En tant que tels, les Nabulsis ont l’habitude de telles formes de punition collective.
Le dernier couvre-feu a commencé dimanche, 24 février, quand jusqu’à 80 véhicules blindés et bulldozers ont envahi la ville à l’aube pour ce qu’ils appellent une « opération d’arrestations ». Les troupes israéliennes ont pris le contrôle des stations locales de télévision et de radio et ont lancé des messages demandant des informations sur l’endroit où se trouvaient les 5 hommes recherchés. Des maisons ont été occupées et les murs en ont été défoncés pour permettre aux soldats de passer de l’une à l’autre sans s’aventurer à l’extérieur. Un civil a été tué dans sa maison par une balle dans le cou ; par ailleurs, 20 personnes ont été blessées par des balles enrobées de caoutchouc

Les secteurs des deux hôpitaux publics de Naplouse, Al-Watani et Rafidya, ont été déclarés zones militaires fermées. Quand nous nous sommes rendus à l’hôpital au cœur de Naplouse, son entrée était bloquée par 4 jeeps israéliennes avec 16 soldats qui arrêtaient toutes les ambulances et les cliniques mobiles d’entrer et de sortir de l’hôpital. (3)
En outre, les écoles et les universités ont été obligées de fermer, des dizaines de milliers d’élèves et d’enseignants sous couvre-feu ne pouvant y venir enseigner ou étudier, des institutions éducatives elles-mêmes ont été déclarées zones militaires fermées. (4)
« Personne ne pose la question de savoir s’il était nécessaire de mettre 250 000 personnes sous couvre-feu, de les empêcher d’accéder aux cliniques et hôpitaux et de fermer les écoles ; personne ne demande cela » fait remarquer le Dr Barghouthi.
Cette remarque s’est justifiée tout à fait quand, accompagnant l’équipe de la clinique mobile de la PMRS autour de la Vieille Ville pour apporter les médicaments essentiels aux malades chroniques souffrant d’hypertension et de diabète, aussi bien que du lait en poudre pour les bébés, du pain, et d’autres nourritures de base, nous sommes tombés sur deux véhicules blindés bloquant l’une des entrées principales de la Vieille Ville. A peine visible derrière ces blindés, il y avait un homme handicapé dans un fauteuil roulant avec son frère qui essayaient, depuis plus d’une heure, d’arriver à leur maison, juste à quelques mètres à l’intérieur de la Vieille Ville.
Le Dr Ghassan a essayé de négocier avec les soldats pour qu’ils laissent les deux hommes rentrer chez eux, mais ils lui ont répondu que ce n’était pas possible, sans donner aucune raison.
Après quelque insistance de notre part, une volontaire internationale de la PMRS a dit qu’elle pouvait prendre l’homme handicapé chez elle. « Je vois que vous n’êtes pas Arabe » lui a crié l’un des soldats. Quand elle a souligné qu’il y avait des marches pour monter dans sa maison et qu’elle ne pourrait pas arriver à porter l’homme toute seule, elle a été alors autorisée à accompagner les deux hommes dans leur propre maison à la condition qu’ils restent à l’intérieur et qu’elle revienne immédiatement.
En progressant plus loin dans la Vieille Ville, on a trouvé un espace où le contraste est saisissant avec le temps où Naplouse vit dans des circonstances plus normales : une cité dont les ruelles étroites, sinueuses, fourmillent de marchands sur étals, de charrettes de légumes, d’enfants qui jouent au football ; une cité célèbre pour son hospitalité où les gens vous appellent pour boire un café chez eux, ou pour manger un kunafe, dessert nabulsi traditionnel, dans leur boutique.

Aujourd’hui, nous trouvons un terrain vague désert, couvert d’un tapis de pierres, celles qui furent lancées sur les jeeps israéliennes postées, menaçantes, partout dans la Vieille Ville ; des « check-points » improvisés faits de branches d’arbres et de poubelles en feu ont été installés par des habitants pour essayer de gêner le passage des jeeps israéliennes ; et des visages aux fenêtres, regardant en bas dans les rues, certains avec crainte, d’autres simplement avec ennui.
Alors qu’on nous étions brusquement bloqués, en portant de la nourriture en poudre à un enfant handicapé de 5 ans qui ne pouvait manger rien d’autre, par la présence d’un autre véhicule blindé israélien à l’entrée de la rue de sa maison, j’ai demandé à la conductrice bénévole de la clinique mobile, une ancienne à la PMRS, Taher Kosa, 27 ans, pourquoi elle risquait sa vie en permanence pour apporter de la nourriture et des médicaments aux familles bloquées. « C’est ma façon de combattre » me répond-elle. « Certaines personnes combattent par l’enseignement, d’autres en tant que journalistes dans les médias. C’est mon devoir. Et quand vous avez des collègues qui consacrent leur vie pour aider les autres et qui sont toujours les premiers sur place, quel que soit le danger, cela vous motive tellement que vous voulez suivre leur exemple. »
Cette détermination laisse à chaque fois à celles et ceux qui viennent ici de la crainte mêlée d’admiration à l’égard du peuple palestinien. L’occupation israélienne, caractérisée quotidiennement par des faits comme ceux d’aujourd’hui à Naplouse, entrera dans sa 40ème année cette année. Pourtant, en dépit des pressions militaires, politiques et économiques massives, alors que la société palestinienne est proche de l’effondrement sous leurs poids, et devant les ratés répétés à un haut niveau de la communauté internationale pour exiger la fin de l’occupation d’Israël, ces motivations tiennent les Palestiniens dans la continuité de leur combat pour vivre en paix, libres et dignes.

Notes
1) Violation de l’article 13.2 du Protocole additionnel des Conventions de Genève du 12 août 1949 concernant la Protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) : « Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. »
Egalement de l’article 53 de la Convention de Genève relative à la Protection des personnes civiles en temps de guerre : « Il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’Etat ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires. »
2) Voir la Banque mondiale, octobre 2004 : Quatre années d’Intifada, de bouclages et de crises économiques palestiniennes : évaluation . Page 2.
3) Violation de l’article 18 de la Convention de Genève relative à la Protection des personnes civiles en temps de guerre : « Les hôpitaux civils organisés pour donner des soins aux blessés, aux malades, aux infirmes et aux femmes en couches ne pourront, en aucune circonstance, être l’objet d’attaques ; ils seront, en tout temps, respectés et protégés par les Parties au conflit. »
De l’article 5 du Protocole additionnel à la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II) :
« Personnes privées de liberté :
Outre les dispositions de l’article 4, les dispositions suivantes seront au minimum respectées à l’égard des personnes privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues :
a) les blessés et les malades seront traités conformément à l’article 7 ;
b) les personnes visées au présent paragraphe recevront dans la même mesure que la population civile locale des vivres et de l’eau potable et bénéficieront de garanties de salubrité et d’hygiène et d’une protection contre les rigueurs du climat et les dangers du conflit armé. »
De son article 7 :
« Protection et soins :
1. Tous les blessés, les malades et les naufragés, qu’ils aient ou non pris part au conflit armé, seront respectés et protégés.
2. Ils seront, en toutes circonstances, traités avec humanité et recevront, dans toute la mesure du possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne sera faite entre eux. »
4) Violation de l’article 50 de la Convention de Genève relative à la Protection des personnes civiles en temps de guerre : « La Puissance occupante facilitera, avec le concours des autorités nationales et locales, le bon fonctionnement des établissements consacrés aux soins et à l’éducation des enfants. »
Vidéos durant les opérations des 25, 26 et 28 février
Vidéo sur le 4ème jour de l’opération, le 28 février :
For downloading (good quality) : https://video.indymedia.org/en/2007...
For watching (low quality) : http://www.youtube.com/watch?v=zJES...
Vidéo sur le deuxième jour de l’opération, 26 février :
For downloading (good quality) : http://video.indymedia.org/en/2007/...
For watching (low quality) : http://www.youtube.com/watch?v=3_hX...
Vidéos sur le premier jour de l’opération, 25 févruer :
For downloading (good quality) : http://video.indymedia.org/en/2007/...
For watching (low quality) : http://www.youtube.com/watch?v=sXxF...
Leurs auteurs peuvent être contactés aux adresses : ripplescross@yahoo.com et a-films@no-log.org

Kirsten Sutherland
Naplouse, Palestine occupée - Live from Palestine, 1er mars 2007 sur Electronic Intifada
Trad. : JPP - photos de l’auteur.