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Le courage d’un homme politique fait d’autant plus ressortir la lâcheté d’autres et non des moindres ! (ndlr)

La passion selon Jimmy Carter

par PATRICK SEALE

jeudi 15 février 2007

L’ancien président des États-Unis victime d’un procès en sorcellerie pour avoir osé écrire quelques vérités sur l’État hébreu.

On célèbre à bon droit ces Justes qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs de l’extermination nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale. De la même manière, Jimmy Carter mérite qu’on lui érige un monument pour le courage avec lequel il s’efforce de préserver le peuple palestinien de la destruction méthodique et impitoyable à laquelle se livre Israël.

En osant dire quelques vérités sur l’État hébreu dans son dernier livre, Palestine : Peace not Apartheid (« Palestine : la paix, pas l’apartheid »), Jimmy Carter n’a pas risqué sa vie. Mais il s’est exposé à un tir de barrage des groupes juifs, aux attaques de ses collègues démocrates tels que Nancy Pelosi, la nouvelle présidente de la Chambre des représentants, et aux calomnies de ses anciens partenaires du Centre Carter d’Atlanta, en Géorgie, qu’il a créé pour travailler au règlement des conflits, superviser les élections et entretenir la flamme vacillante du processus de paix israélo-palestinien.

Le sort fait à Carter illustre à nouveau les périls auxquels s’expose aux États-Unis une personnalité lorsqu’elle provoque la colère du lobby juif et de ses nombreux partisans. L’utilisation du mot « apartheid » dans le titre de son livre et l’usage répété qu’il en fait dans le texte ont soulevé la fureur des pro-Israéliens les plus ardents. Mais Jimmy Carter, l’apôtre du parler vrai, croit qu’il faut appeler un chat un chat.

Il décrit carrément « la politique actuelle » du gouvernement israélien comme « un système d’apartheid, avec deux peuples qui occupent le même territoire, mais qui sont complètement séparés l’un de l’autre, avec des Israéliens en position totalement dominante, qui résistent à la violence en privant les Palestiniens de leurs droits humains fondamentaux ».

Président des États-Unis de 1977 à 1980, Jimmy Carter est un chrétien convaincu et pratiquant. La passion qu’il met à défendre la paix au Moyen-Orient est nourrie par sa foi chrétienne. « Ayant étudié les leçons de la Bible depuis ma petite enfance et les ayant enseignées pendant vingt ans, je me suis passionné pour la Terre sainte. » Lors d’un voyage en Israël avant d’être élu président, raconte-t-il, « j’ai pris un bain rapide dans le Jourdain, là où je pensais que Jésus avait été baptisé par saint Jean-Baptiste ». Mais la conviction avec laquelle Carter défend les Palestiniens a une autre source psychologique : le sentiment d’avoir été trahi par l’ex-Premier ministre israélien Menahem Begin.

Carter a été l’architecte des accords de Camp David en 1978, signés par Begin et par le président égyptien Anouar al-Sadate, qui ont jeté les bases du traité de paix israélo-égyptien de l’année suivante. Mais ces accords prévoyaient également une « pleine autonomie » pour les habitants des Territoires occupés, avec un retrait des forces civiles et militaires israéliennes de la Cisjordanie et de Gaza, ainsi que la reconnaissance du peuple palestinien en tant qu’entité politique distincte, avec le droit de décider de son avenir, étape capitale de la création d’un État palestinien.

Carter pensait qu’il avait la promesse de Begin de geler la création de colonies pendant les négociations sur le statut final de la Cisjordanie et de Gaza, auxquelles les Palestiniens, comme il était spécifié dans les accords, devaient participer sur un pied d’égalité. Au lieu de quoi Begin « a manœuvré ou délibérément violé » sa promesse.

Dans une brève autocritique, Carter écrit : « Peut-être la plus grave erreur de Camp David a-t-elle été de ne pas mettre noir sur blanc la promesse de Begin de geler la colonisation. »

Le livre de Carter est écrit dans une langue simple, sans fioritures, mais il exprime une profonde irritation contre le comportement d’Israël. L’ancien président des États-Unis raconte comment il a contraint Israël à évacuer le Liban après l’invasion de 1978 en menaçant de signaler au Congrès que les armes américaines étaient utilisées illégalement.

À propos de la nouvelle invasion de 1982, sous la présidence de Ronald Reagan, Carter écrit : « J’ai été profondément perturbé par cette invasion, et j’ai fait part de ma préoccupation à certains dirigeants israéliens de haut rang… J’ai reçu une réponse inquiétante : “Nous avions le feu vert de Washington.” »

Il dresse une liste de dizaines d’occasions où les Israéliens se sont conduits de manière inadmissible : démolitions punitives de maisons palestiniennes ; arrestations massives ; destructions de milliers de très vieux oliviers ; fermeture fréquente d’écoles et d’universités palestiniennes qui obligeaient les élèves et les étudiants à rester chez eux ou dans la rue pendant de longues périodes ; interception et confiscation de l’aide étrangère envoyée par des pays arabes, et même de fonds envoyés par le gouvernement américain à des fins humanitaires ; et, surtout, mainmise accélérée sur des territoires arabes et multiplication des colonies. Carter n’hésite pas à qualifier la « barrière de sécurité » construite en terre palestinienne de « mur de prison ». L’économie palestinienne, écrit-il, a été « ramenée de force à l’âge préindustriel ».

Carter raconte comment, le 29 mars 2002, le lendemain du jour où vingt-deux pays de la Ligue arabe avaient approuvé un plan saoudien proposant des relations normales avec Israël si l’État hébreu se retirait sur les frontières de 1967, « un important commando israélien a cerné et détruit l’immeuble abritant les bureaux de Yasser Arafat à Ramallah, n’épargnant que quelques pièces. Sauf pour une brève période, Arafat devait être confiné dans ce petit espace jusqu’aux derniers jours de sa vie. »

On trouve cependant dans le livre de Carter quelques pages moins sombres, comme celles où il raconte que, lors d’une visite à Arafat et à sa femme Souha à Gaza, leur petite fille, « vêtue d’un joli ensemble rose, est venue s’asseoir sur [ses] genoux ». Il rappelle sa sympathie pour Sadate : « De la centaine de chefs d’État que j’ai rencontrés lorsque j’étais président, il était mon préféré et mon ami personnel le plus proche. » Et évoque les heures de discussions, souvent très vives, qu’il a eues avec le président syrien Hafez al-Assad. Le soir des élections législatives palestiniennes de janvier 2006 remportées par le Hamas, Carter a rencontré les dirigeants islamistes et les a pressés de renoncer à la violence. Parmi eux se trouvait Mahmoud al-Zahar, ministre des Affaires étrangères, dont la maison a été tout récemment touchée par des roquettes tirées par des partisans du Fatah, dernier épisode d’une guerre fratricide suicidaire.

Le message de Jimmy Carter est clair et net : la seule option qui « puisse être finalement acceptable en tant que base de la paix » est « un retrait d’Israël sur les frontières de 1967, comme spécifié par la résolution 242 des Nations unies, comme promis par les accords de Camp David et les accords d’Oslo et comme recommandé par la Feuille de route du Quartet international [États-Unis, UE, ONU, Russie] ».

Si Jimmy Carter était aujourd’hui à la Maison Blanche, la paix aurait une chance. Mais il n’y est pas.