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Opinion trés largement partagée

Lettre ouverte à Monsieur de Villepin, Premier Ministre

par Marc Haglund,

mercredi 15 novembre 2006

M. Le Premier Ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75700 Strasbourg, 14 novembre 2006

Monsieur le Premier Ministre,

Attaché depuis bien longtemps aux principes et aux valeurs gaullistes, j’ai très souvent apprécié la lucidité, la fermeté et le courage avec lesquels vous avez exercé vos responsabilités publiques successives.

C’est pourquoi je ne puis taire la vive préoccupation que j’éprouve à la lecture de l’allocution que vous avez prononcée au récent dîner du Congrès Juif Mondial.

S’agissant des affaires intérieures de notre pays, vous avez longuement évoqué l’action du gouvernement face à l’éventualité d’une affirmation de l’antisémitisme. Il va de soi que le racisme anti-juif, comme toutes les variantes de cette imbécillité barbare et parfois criminelle, est rejeté par tous les citoyens de bon sens, et qu’on ne peut qu’approuver que la vigilance ne se relâche pas à cet égard Il va également de soi qu’il y a lieu de soigneusement éviter la confusion, à laquelle certains appellent, entre l’antisémitisme, en effet intolérable, et la critique de la politique du mouvement sioniste et de l’état d’Israël.

Ceci posé, je n’ai pas manqué d’éprouver une gêne certaine à lire que notre gouvernement, par la voix éminente de son chef, croit approprié de rendre compte de son action dans ce domaine à une organisation internationale à caractère privé, devant laquelle notre République n’a nulle responsabilité.

Ma préoccupation a de nouveau gagné en détermination devant l’exposé que vous avez fait, devant ce même organisme, de l’orientation, particulièrement chaleureuse envers Israël, de notre politique étrangère au Proche et Moyen Orient.

Il ne m’échappe pas que le maintien de la politique gaulliste d’amitié avec le monde arabe, et
notamment avec sa fraction Palestinienne, depuis si longtemps si durement et si injustement victime de la politique de colonisation israélienne, n’est pas particulièrement aisée face à la fréquente inconsistance des directions arabes.

Mais je ne puis que déplorer son abandon, car il faudra bien qu’un jour la crise actuelle trouve sa solution, et nous ne manquerons pas de nous retrouver en face de ce monde arabe que nous semblons avoir décidé de laisser largement à son sort. Je souhaite bien entendu me tromper largement sur ce point.

Je constate en outre que la politique de réchauffement des relation franco-israéliennes n’est à l’origine d’aucun progrès dans l’évolution du problème vers une solution acceptable. La politique du gouvernement israélien, telle qu’elle se manifeste dans les faits, consiste en une épuration ethnique des territoires occupés dans l’oubli pur et simple des résolutions de l’ONU ainsi que des déclarations liminaires de la Feuille de Route.

Et ces relations chaleureuses n’ont pas empêché la force aérienne israélienne de se livrer, il y a deux semaines, à des provocations inadmissibles à l’égard du contingent français de la FINUL. En toute connaissance de cause bien entendu.

J’en viens au point qui m’a très vivement heurté dans votre allocution, où, à s’en tenir à la lecture ordinaire des textes, vous affirmez deux axiomes de notre politique étrangère avec lesquels je ne puis être qu’en désaccord.

Le premier concerne la mise au point par l’Iran d’une capacité de défense nucléaire. Vous avez en effet déclaré « un Iran doté d’une capacité nucléaire militaire est inacceptable ». Et pourquoi une situation dont on s’accommode sans trop de mal lorsqu’il s’agit de l’Inde, du Pakistan, d’Israël, et même de la Corée du Nord deviendrait-elle inacceptable dès lors qu’il s’agit de l’Iran ? Je n’ai certes que peu de sympathie pour les aspects totalitaires du régime de ce pays, mais je ne puis que constater qu’il est loin d’être le principal fauteur de guerre de la région, alors qu’il a de bonnes raisons de chercher à se protéger des uns ou des autres. A quel titre le lui interdire ? Après tout, cette démarche était déjà celle du chah Pahlevi, dont le régime n’était pas non plus parfaitement démocratique.

Le second me semble plus grave. A l’heure où Israël sort, enragé semble-t-il et prêt à chercher une revanche, d’une aventure militaire parfaitement injustifiée au Liban, où son gouvernement vient de s’élargir par la présence à un poste de lourde responsabilité, d’un personnage jugé infréquentable par beaucoup, je ne comprends pas quel sens il faut donner à votre déclaration : « A l’heure où la région court le risque d’une nouvelle flambée de violence, la France se tient résolument aux côtés d’Israël. Elle ne transigera pas sur sa sécurité, qui passe par le règlement du conflit israélo-palestinien. ».

Le compte-rendu diffusé par les médias était que la France, devant la possibilité d’un embrasement général de la région, se déclarait un soutien inconditionnel d’Israël. Dans cette interprétation, cette déclaration ne peut être comprise que comme un encouragement à l’aventure donné à un gouvernement qui n’a guère besoin d’incitations à cet égard.

Comment des gaullistes pourraient-ils se reconnaître dans pareille attitude ?

Monsieur le Premier Ministre, je veux croire que mon ignorance des voies et des méthodes de la diplomatie m’a conduit à une interprétation erronée.

Je puis vous assurer que je ne suis pas seul dans cette opinion.

Je vous demande, instamment, de rétablir les choses dans leur vérité et leur simplicité. La France de De Gaulle n’est pas devenue le dévoué et inconditionnel serviteur des aventures israéliennes. Dites-le. Vite et fort.

Je vous prie, Monsieur le Premier Ministre, de bien vouloir agréer l’assurance de ma déférente considération.

Marc-Eric Haglund

Marc-Eric Haglund

11 rue Marguerite Perey
67 000 Strasbourg