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Source : Info Palestine

Yasser Arafat : L’Assassinat Par Uri Avnery

Dimanche 24 novembre - 11 H 12 AM

dimanche 24 novembre 2013

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Uri Avnery

Dès le début, je n’ai pas eu le moindre doute quant au fait que Yasser Arafat a été assassiné. Bien que beaucoup eussent un mobile, seule une personne avait à la fois les moyens et une haine profonde et durable contre lui - Ariel Sharon.

Pour les Israéliens, Arafat était l’incarnation même du peuple palestinien.

Dès le début, je n’ai pas eu le moindre doute quant au fait que Yasser Arafat ait été assassiné.

C’était une question de simple logique.

En revenant des funérailles, je suis tombé sur Jamal Zahalka, membre de la Knesset pour le parti nationaliste arabe Balad [Ligue démocratique nationale], qui est un Docteur en Pharmacologie hautement qualifié. Nous avons échangé des considérations et sommes parvenus à la même conclusion.

Les résultats des experts suisses la semaine dernière n’ont fait que confirmer ma conviction.

Tout d’abord, un simple fait : les gens ne meurent pas simplement sans raison.
J’avais rendu visite à Arafat quelques semaines avant que cela n’arrive. Il paraissait en relativement bonne santé. En partant, j’ai fait remarquer à Rachel, mon épouse, qu’il semblait plus vif et plus alerte qu’à notre dernière visite.

Quand subitement il est tombé très malade, il n’y avait pas de raison évidente. Les médecins de l’hôpital militaire français où il fut transféré sur l’insistance de Souha, son épouse, et où il mourut, firent une autopsie exhaustive de sa dépouille. Ils ne purent trouver aucune explication à son état. Rien.

En soi c’était déjà très étrange. Arafat était le leader de son peuple, un chef d’Etat de facto, et on peut être sûr que les médecins français n’ont rien négligé pour établir leur diagnostic.

Cela ne laissait que les radiations ou le poison. Pourquoi aucun poison n’a-t-il été détecté à l’autopsie ? La réponse est simple : pour détecter un poison, il faut savoir ce qu’on recherche. La liste des poisons est quasi illimitée et une recherche de routine se limite à un petit nombre de poisons. Le corps d’Arafat n’a pas été examiné pour rechercher la présence de polonium.

Qui avait la possibilité d’administrer le poison ?

En fait, pratiquement tout le monde.

Au cours des nombreuses visites que je lui rendues, j’ai toujours été surpris par le laxisme des mesures de sécurité.

Lors de notre première rencontre, dans Beyrouth assiégé, je fus surpris de la confiance qu’il me témoignait. Chacun savait à l’époque que des dizaines d’agents du Mossad et d’espions phalangistes passaient la ville au peigne fin à sa recherche. Il ne pouvait pas être sûr que je n’étais pas moi-même un agent du Mossad, ou que je n’étais pas suivi, ou que je ne portais pas sur moi, à mon insu, l’un ou l’autre dispositif de localisation.

Plus tard, à Tunis, la fouille de sécurité sur les visiteurs était sommaire. Les mesures de sécurité du Premier ministre israélien étaient infiniment plus strictes.

A la Mukata’a (« enceinte ») de Ramallah, aucune mesure de sécurité n’avait été ajoutée. J’y ai partagé plusieurs repas avec lui, et là encore, j’ai été surpris de son ouverture d’esprit. Des invités américains et d’autres étrangers qui étaient (ou semblaient être) des activistes pro-palestiniens étaient invités par lui en toute liberté, ils s’asseyaient à ses côtés et auraient pu aisément glisser du poison dans sa nourriture. Arafat plaisantait avec ses invités et leur offrait de sa propre main des amuse-gueule de choix.

Certains poisons se passent de nourriture. Un simple contact physique suffit.

Et pourtant cet homme était l’une des personnes les plus menacées au monde. Il avait beaucoup d’ennemis mortels, une demi-douzaine de services secrets planchaient sur son élimination. Comment pouvait-il être aussi détendu ?

Lorsque je m’en plaignais à lui, il me disait qu’il croyait à la protection divine.

Un jour, alors qu’il volait dans un jet privé du Tchad en Libye, le pilote annonça qu’il n’y avait plus de carburant. Il allait s’écraser au milieu du désert. Les gardes du corps d’Arafat le couvrirent de coussins et formèrent un cercle autour de lui. Ils furent tués, mais lui survécut pratiquement sans une égratignure.

Depuis, il était devenu encore plus fataliste. C’était un musulman pieux – mais non ostentatoire. Il croyait qu’Allah l’avait chargé de libérer le peuple palestinien.

Alors, qui a perpétré l’assassinat ?

Pour moi, il n’y a guère de doute possible.

Bien que beaucoup eussent un mobile, seule une personne avait à la fois les moyens et une haine profonde et durable contre lui - Ariel Sharon.

Sharon fut furieux quand Arafat lui glissa entre les doigts à Beyrouth. Sa proie était tellement proche - et la voilà loin. Le diplomate arabe-américain Philip Habib réussit à présenter un arrangement qui permit aux combattants de l’OLP, y compris Arafat, de quitter la ville sans déshonneur et en armes. J’étais allongé sur le toit d’un entrepôt dans le port de Beyrouth quand les troupes de l’OLP, drapeaux au vent, furent escortées jusqu’aux navires.

Je ne vis pas Arafat. Ses hommes le cachaient au milieu d’eux.

Depuis lors, Sharon n’a jamais caché sa détermination à le tuer. Et quand Sharon était résolu à faire quelque chose, jamais, au grand jamais, il ne renonçait. Même dans des questions mineures, s’il était contrarié, il réamorçait son effort encore et encore, jusqu’à ce qu’il réussisse.

Je connaissais bien Sharon. Je connaissais sa détermination. A deux reprises, sentant que Sharon était près d’atteindre sa cible, je suis allé à la Mukata’a avec Rachel et quelques collègues pour servir de bouclier humain. Plus tard nous avons eu la satisfaction de lire une interview de Sharon où il se plaignait de ne pas avoir été en mesure d’exécuter l’assassinat planifié parce que « il y avait quelques Israéliens à l’intérieur ».

C’était plus qu’une vendetta personnelle. Pour lui, et pas seulement pour lui, il s’agissait d’une cause nationale.

Pour les Israéliens, Arafat incarnait le peuple palestinien, un objet de haine abyssale. Il a été haï plus que tout autre être humain, après Adolf Hitler et Adolf Eichmann. Cet homme personnifiait le conflit avec le peuple palestinien sur plusieurs générations.

C’est Arafat qui avait ressuscité le mouvement national palestinien moderne, dont l’objectif suprême était de contrecarrer le rêve sioniste de prendre possession de toutes les terres entre la mer et le Jourdain. C’est lui qui avait mené la lutte armée (en d’autres mots : le terrorisme). Et quand il se tourna vers un accord de paix, quand il reconnut l’État d’Israël et signa les Accords d’Oslo, il fut plus haï encore. La paix était liée à la restitution de territoires aux arabes, et qu’est-ce qui pouvait être pire ?

Depuis longtemps la haine envers Arafat avait cessé d’être rationnelle. Pour beaucoup c’était un rejet physique absolu, une potion empoisonnée de haine, d’aversion, d’hostilité, de défiance. Une quarantaine d’années après son entrée en scène, des millions et des millions de mots avaient été écrits sur lui en Israël, mais je crois bien n’avoir jamais vu une seule parole positive à son propos.

Pendant toutes ces années, toute une armée d’hommes de main propagandistes ont mené sans relâche une campagne de diabolisation contre sa personne. Toutes les accusations imaginables ont été lancées contre lui. L’assertion qu’il avait le sida, accusation tellement utilisée maintenant dans la propagande secrète israélienne, fut inventée à ce moment afin de mobiliser les préjugés homophobes. Inutile de le dire, aucune preuve d’homosexualité n’a jamais été produite. Et les médecins français n’ont pas décelé la moindre trace de sida.

Le gouvernement israélien est-il capable de décider le passage à un tel acte ? C’est un fait établi : il en est capable.

En septembre 1997, une équipe de tueurs israéliens fut envoyée à Amman pour assassiner Khaled Mechaal, le dirigeant du Hamas. L’instrument choisi était le Levofentanyl, un poison mortel qui ne laisse aucune trace et produit des effets similaires à une attaque cardiaque. Il est administré par simple contact physique [spray].

L’action fut un fiasco. Les tueurs vus par des passants se réfugièrent à l’ambassade d’Israël, où ils furent assiégés. Le roi Hussein, généralement un collaborateur d’Israël, était furieux. Il menaça de pendre les coupables à moins qu’un antidote ne soit immédiatement fourni. Le premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahou, céda et envoya le chef du Mossad à Amman avec le produit demandé. Mechaal était sauvé.

Par la suite, en 2010, une autre équipe fut envoyée assassiner un autre agent du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, dans un hôtel à Dubai. Là encore, travail raté – même s’ils réussirent à tuer leur proie en le paralysant pour ensuite l’asphyxier ; une caméra de l’hôtel les filma et leur identité fut révélée.

Dieu sait combien de meurtres non ratés ont été perpétrés de cette manière.

Bien sûr Israël n’est pas seul en ce domaine. Auparavant, un espion russe, Alexander Litvinenko, avait eu le mauvais goût de déplaire à Vladimir Poutin. Il fut assassiné par le même polonium radioactif qu’Arafat, mais avant sa mort un médecin avisé détecta le poison. Des années plus tôt, un dissident bulgare avait été empoisonné par une fine fléchette tirée depuis un parapluie. On peut supposer que tout service secret qui se respecte possède de tels moyens de tuer.

Pourquoi Sharon n’a-t-il pas tué Arafat plus tôt ? Après tout, le leader palestinien était assiégé depuis très longtemps dans son quartier-général. J’ai vu par moi-même des soldats israéliens à quelques mètres de son bureau.

La réponse est politique. Les Etats-Unis craignaient que si on voyait Israël tuer le chef de l’OLP, un héros pour des dizaines de millions de personnes dans le monde arabe, la région exploserait à nouveau contre les USA. George Bush fils l’a interdit. La réponse fut de le faire de manière qu’aucune trace ne puisse remonter jusqu’à Israël.

Pour Sharon, c’était de toute façon plutôt habituel. Quelques semaines avant son invasion du Liban en 1982, il parla de son plan au Secrétaire d’Etat US, Alexander Haig. Ce dernier l’interdit – à moins qu’il y ait une provocation crédible. Et voilà justement qu’un attentat rocambolesque eut lieu contre l’ambassadeur israélien à Londres, la provocation fut dûment estampillée comme intolérable, et la guerre fut déclenchée.

A présent, pour la même raison, le gouvernement Netanyahou nie énergiquement toute implication israélienne dans l’assassinat d’Arafat. Plutôt que de se glorifier du succès de l’opération, notre puissante machine de propagande prétend que les experts suisses sont incompétents ou sont des menteurs (probablement aussi des antisémites), et que les conclusions sont fausses. Un professeur israélien respecté répète à l’envi que tout cela est absurde. On va jusqu’à ressortir des oubliettes la bonne vieille histoire de sida.

Sharon lui-même, dans son interminable coma, ne peut réagir [étrange coïncidence, Sharon a eu une crise cardiaque peu après le décès d’Arafat et n’est jamais sorti du coma]. Mais ses anciens assistants, tous des menteurs chevronnés, continuent à débiter leurs fables mensongères.

De mon point de vue, l’assassinat d’Arafat était un crime contre Israël.

Arafat était l’homme qui était disposé à faire la paix et qui était capable d’amener le peuple palestinien à l’accepter. Il en a aussi posé les conditions : un État palestinien avec des frontières basées sur la Ligne Verte, avec pour capitale Jérusalem-Est.

C’est exactement cela que ses assassins ont voulu empêcher.

* Uri Avnery, né en 1923, est un écrivain israélien, militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu, fondateur de Gush Shalom (Le Bloc de la Paix). Il appartient à la gauche radicale israélienne et se définit comme post-sioniste. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.