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Par Alain GRESH - Le Monde Diplomatique

Egypte-Actualités : Analyse

Lundi, 4 novembre 2013 - 8h59 AM

lundi 4 novembre 2013

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Avec l’ouverture du procès de l’ancien président Mohamed Morsi, lundi 4 novembre, les tensions montent en Egypte. Et, surtout, la contre-révolution ne cache plus ses objectifs : le retour à l’ordre ancien, à peine ravalé.

L’ampleur des manifestations du 30 juin 2013, qui ont abouti au renversement du président Mohammed Morsi par l’armée, ont créé l’illusion, chez nombre d’Egyptiens et chez des commentateurs politiques, que nous avions affaire à « un mouvement rectificatif », qui devait remettre sur ses rails la révolution égyptienne grâce à la mise à l’écart des Frères musulmans. Il n’en a rien été, et j’ai déjà évoqué ici cette contre-révolution en marche. Tout, depuis, est venu confirmer cette dérive.

Je n’aborderai pas ici les manifestations d’opposition organisées par les Frères musulmans depuis le mois de juillet. A les suivre, aussi bien sur les réseaux sociaux que sur la chaîne de télévision Al-Jazira, on hésite entre une certaine admiration pour ces militants qui, malgré une répression féroce, continuent de manifester avec courage et abnégation, et l’aveuglement d’un mouvement incapable de tirer les leçons de ses échecs. Il est vrai que l’essentiel de la direction est désormais sous les verrous, après l’arrestation de Essam Al-Erian, vice-président du Parti de la justice et de la liberté (PJL), le parti-façade des Frères (David D. Kirkpatrick, « High-Anking Muslim Brotherhood Is Seized in Egypt », International New York Times, 30 octobre 2013).

Ces militants sont soumis en prison à des mauvais traitements, à la torture, qui peuvent conduire à la mort. Ainsi de Salah Ahmed Youssef, un homme de trente-cinq ans, membre de la direction du syndicats des pharmaciens, décédé en détention le 30 octobre. Peu de gens s’en émeuvent. L’organisation Human Rights Watch vient de sortir un communiqué sur le fait que les responsables policiers de tueries de manifestants désarmés n’étaient pas poursuivis (« Egypt : Protester Killings Not Being Investigated »). (...)

Terminons quand même sur une note d’optimisme, l’entretien du journal Le Monde avec Richard Jacquemond (« Richard Jacquemond : “Il y a une tradition d’osmose entre l’Etat et l’intelligentsia égyptienne” », 17 octobre), grand traducteur de la littérature arabe, et bon connaisseur de la scène intellectuelle égyptienne :

« Ce n’est que dans les dix ou vingt dernières années que les nouvelles générations (d’intellectuels) ont commencé à se dégager de cette emprise (de l’Etat), à construire une scène culturelle indépendante, en dehors du “système”. Un système à bout de souffle, comme le montre la faible participation au “congrès des intellectuels” que vient de réunir le ministre de la culture, au Caire, il y a quelques jours. »

- Question : Quels écrivains ont osé prendre le contre-pied de la pensée dominante ?

« Pour le moment, aucun ou presque. Une des rares voix audibles qui soit sur une position “ni ni” (ni l’armée ni les Frères) est celle d’Ahdaf Soueif, une grande écrivaine d’expression anglaise qui a une forte présence médiatique en Egypte et au Royaume-Uni ; elle milite à Thuwar (“révolutionnaires”), une énième coalition, créée il y a quelques semaines autour du Mouvement du 6 avril, de groupes d’extrême gauche et de défenseurs des droits de l’homme. On peut aussi citer Bilal Fadl, un chroniqueur très populaire chez les jeunes. Mais attention, le silence ne vaut pas acquiescement. Ne nous laissons pas abuser par l’unanimisme de façade, les portraits omniprésents du général Sissi et les chansons patriotiques reprises ad nauseam. Surtout qu’avec l’état d’urgence et le retour de l’Etat policier moubarakien (les arrestations ne se limitent pas aux cadres et sympathisants des Frères) la peur, qui avait disparu depuis le 28 janvier 2011, revient en force. Redisons-le, la fin de l’histoire n’est pas écrite. »