Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Les capitales arabes scrutent les soulèvements en Égypte

Source : Econostrum

Les capitales arabes scrutent les soulèvements en Égypte

Mercredi, 3 juillet 2013 - 6h31 AM

mercredi 3 juillet 2013

============================================

<

De Tunis à Rabat en passant par Alger, les événements conduisant à une seconde révolution égyptienne sont observés avec bienveillance ou détachement, mais personne ne peut empêcher les populations de faire un parallèle avec leur propre situation. L’étincelle du Caire pourrait-elle embraser de nouveau la région comme le fit celle de Sidi Bouzid en décembre 2010 ?

MÉDITERRANÉE. L’onde de choc du début de la seconde révolution égyptienne commence à atteindre les autres pays de la région, en transition ou pas. Les discussions, les réactions se multiplient en Afrique du Nord notamment.

La Tunisie parait sonnée. Vacillant entre envie et admiration, les Tunisiens restent scotchés devant le petit écran afin de suivre la gigantesque manifestation égyptienne « Tamarod (rébellion) ». Ils scrutent les diverses pressions pour exiger le départ de Mohamed Morsi, saluent la démission de six de ses ministres et se partagent sans modération la déclaration du chef de l’État major égyptien que Mohamed Morsi vient de rejetter mardi 2 juillet 2013 au matin. Les Tunisiens estiment qu’ils ont donné le « relais » de la révolution aux Égyptiens et pensent qu’ils « nous le rendent en nous montrant comment faire dégager les incapables et les marchands de la religion qui se drapent d’une fausse écharpe démocratique… » écrit un activiste face au silence radio des principaux partis politiques du pays sur les événements en Égypte

Sur la place « Tahrir », les pancartes brandissant le fameux « Dégage » tunisien restent toujours levées. C’est comme si l’on retrouvait un peu de Tunis au Caire. Même si c’est surtout cet esprit révolutionnaire que les opposants cherchent à rallumer à Tunis pour réagir à une situation socioéconomique très difficile, à une transition démocratique qui prend l’eau avec l’absence d’une feuille de route, de dates pour les élections et surtout une constitution fortement contestée.

Si un mouvement tunisien « Tamarod » a bel et bien vu le jour, réunissant plus de 90 000 signataires en deux semaines, les divers appels qui sont lancés pour manifester à « l’égyptienne » contre l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) restent vains.

Du côté de l’ANC, le spectacle est désolant. Le premier débat parlementaire sur le projet attendu depuis des mois de Constitution a été marqué par des échanges d’invectives et une longue suspension en raison de tensions entre les élus des partis de la troïka, dont principalement celui des islamistes, et des opposants. Les nouvelles venant du Caire ne sont pas étrangères à la tension qui prévaut dans les couloirs du Bardo et qui s’en ressentent jusqu’au principal Journal télévisé de la chaine nationale « Wataniya » qui présente les manifestations égyptiennes comme un simple fait divers.

Le gouvernement tunisien se veut rassurant

Du côté du gouvernement, le ton se veut rassurant. Le chef du gouvernement Ali Laârayedh écarte « l’éventualité de reproduction du scénario de l’Égypte en Tunisie » et affirme qu’il a une grande confiance en les Tunisiens ainsi qu’en leur degré de conscience quant à la situation délicate du pays. Il ajoute qu’il est persuadé que le peuple tunisien sait considérer à juste titre les efforts déployés par le gouvernement en fonction des opportunités disponibles. Le chef du gouvernement souligne que la Tunisie emprunte « la voie de l’union et non pas celle de la désunion ».

La Tunisie et l’Égypte sont différentes du fait de leur poids démographique (population, villes, paupérisation…), sociopolitique (société, religion, rôle de l’Université de Lazhar...), militaire (importance de l’armée, histoire et poids économique de l’armée...) et géostratégique, donc difficile de dresser des analogies.

Pour le moment, la Tunisie, comme tout le monde arabe, retient son souffle face aux événements qui s’accélèrent en Égypte et se pose beaucoup de questions sur son devenir.

Au vu des dissensions qui animent sa classe politique, aux déclarations d’un Président de la République qui se dit favorable à une rallonge de cinq ans de pouvoir et à celles d’un chef d’État major qui affirme que le pays est en voie de « somalisation » dans les six prochains mois si rien n’est fait, la situation apparait instable.

L’Algérie pense d’abord à ses propres problèmes

La population algérienne ne semble pas particulièrement réactive, en ce 1er juillet 2013, face à l’immense mobilisation populaire égyptienne.

Cette indifférence n’est pas l’expression d’un manque d’intérêt pour ce qui se passe au pays du Nil. Mais les Algériens se montrent avant tout absorbés par leurs propres problèmes. Des lycéens recalés au baccalauréat à la suite d’accusations de fraude ont manifesté en plein centre de la capitale. Des chômeurs ont défilé à Ouargla (600 km au sud d’Alger) afin de réclamer du travail alors que les avocats se sont rassemblés devant la Cour de Justice de la capitale pour dénoncer le projet de d’organisation de leurs professions qui sera soumis le 2 juillet 2013 à la Chambre basse du Parlement.

L’apparente indifférence de la rue algérienne ne s’étend toutefois pas aux membres de la classe politique, aux médias et aux éléments les plus politisés. C’est ainsi que les islamistes algériens craignent, à l’instar de leurs homologues égyptiens, pour l’avenir politique d’un président et de Frères musulmans pris en étau entre la population et les mouvements révolutionnaires d’une part et l’armée de l’autre. Les courants démocrates, nationalistes et de gauche voient plutôt d’un bon œil la fin espérée de l’emprise des Frères musulmans sur les institutions politiques égyptiennes.

Le Maroc observe confiant

Le Maroc, qui avait su contenir les mécontentements lors des printemps arabes, observe d’un œil lointain les événements égyptiens. Une manifestation pourrait être organisée mardi 2 juillet 2013, devant l’ambassade d’Égypte à Rabat, par le Mouvement du 20 février, né dans le sillage des révolutions arabes. Le mouvement laïque et révolutionnaire marocain voit dans les dernières manifestations de la place Tahrir, au Caire, matière à espérer. Le reste de la population regarde ces manifestations avec intérêt, mais sans passion.
Sans être indifférents, les Marocains ne se sentent pas concernés. Les opinions varient en fonction de la position politique a priori de chacun. À l’extrême gauche, le mouvement démocrate quasi révolutionnaire soutient les opposants à Mohamed Morsi. « Je suis très optimiste. Je pense que la deuxième révolution égyptienne à la possibilité d’atteindre ses objectifs [...] » s’enthousiasme Rachid Hababa membre de la coordination casablancaise du Mouvement du 20 février, syndicaliste et membre du PSU (Parti Socialiste Unifié). « Morsi le traître, Morsi le dictateur rétrograde doit être déchu. Il gouverne au seul profit des islamistes. J’espère qu’il va réagir à la volonté du peuple comme son prédécesseur, avant que cela ne dégénère en guerre civile notamment entre laïques et islamistes », alerte Ibtissame Betty Lachgar, membre du MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles).

Cadre dans une société de construction, Fakhr Motii est social libéral. Il traite d’ordinaire l’actualité politique marocaine avec humour à travers une bande dessinée satyrique qu’il publie sur Facebook. « Les frères musulmans vont faire de Morsi un bouc émissaire, par contre ils perdront l’appui de groupuscules extrémistes qui gravitent autour des Frères. Ceux-là sont capables de tout. On pourrait voir un scénario qui ressemble à celui de l’Algérie des 90’s, que Dieu nous en préserve ».

Israël sans illusions

S’il existe des mouvements salafistes au Maroc, les frères musulmans n’y ont pas d’attache. Les partisans purs et durs de Mohamed Morsi sont donc rares. Dans le royaume, les sympathisants islamistes lui témoignent un soutien mesuré. À Casablanca, Radi, comptable, n’est pas militant pour un mouvement particulier, mais il se déclare partisan du président égyptien. « Morsi a été élu président légitimement, il a le droit de continuer à gouverner jusqu’aux prochaines élections. Il peut écouter et tenir compte des revendications des manifestants, mais il est légitime », insiste-t-il.

L’aversion d’autres Marocains vis-à-vis des Frères musulmans les conduit à soutenir les manifestants. « Le président Morsi doit démissionner, car il ne parvient pas à reconstruire le pays », assure pleine de conviction Camilia étudiante marocaine d’origine grecque. « Il y a beaucoup de morts à cause de Morsi, car il refuse d’écouter le peuple », estime Khadija, jeune mère au foyer. Elle explique qu’elle n’a jamais voté, mais qu’elle déteste les frères musulmans.

Dubitatif, Hamzaoui Saïd, 80 ans, retraité n’a pour sa part aucun espoir. « Si Morsi tombe, il en viendra un autre encore pire, car les Arabes sont incapables de s’entendre. Chacun veut le pouvoir pour lui seul, Morsi comme les autres. Seuls les pays qui comme le Maroc bénéficient d’une monarchie ancienne et généreuse avec son peuple n’ont pas ce problème », estime-t-il.

Au Maroc, le roi Mohamed VI reste dans la position d’arbitre protecteur. Préoccupés par le sort des Égyptiens, les Marocains n’envisagent pas une seconde que le scénario qui se déroule place Tahrir puisse se jouer au Maroc. « Le Maroc reste loin de tout ça. Il a un monarque très brillant, le pays est bien géré », résume Youssef, retraité. Le roi représente l’unité nationale, la stabilité du pays, et garde une image d’homme généreux.

Les capitales arabes ne sont pas les seules à observer la révolution égyptienne en cours. Un autre voisin, Israël suit les événements. La presse locale israélienne reflète le peu d’espoir de sa population par rapport à son grand voisin.

Pour les Israéliens, la population égyptienne ne veut pas un président, mais un magicien. Quelqu’un capable de réduire le chômage et le taux de criminalité. Mais pour eux cette situation va créer une paralysie. Car si Morsi démissionne, un nouveau gouvernement verra le jour et tout recommencera. Et si Morsi reste au pouvoir, il sera au pied du mur et devra continuer à faire face à la pression de la rue. Le journal Globes parle ainsi de la volonté du renversement du président égyptien comme d’une illusion temporaire.

Frédéric Dubessy avec Amal Belkessam (Alger), Amel Belkaied (Tunis), Julie Chaudier (Casablanca) et Ludivine Tur.

Frédéric Dubessy avec les correspondants