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SYRIE - Source Mediapart - Par Thomas Cantaloube

Va-t-on vers un armement des rebelles syriens par les puissances étrangères ?

Vendredi, 23 mars 2012 - 10h44 AM

vendredi 23 mars 2012

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Malgré la reprise en main, par la force, des villes de Homs et Idlib par le régime de Bachar El-Assad à la mi-mars, les rebelles syriens ne semblent pas près de déposer les armes. Depuis une semaine, les combats se sont déplacés à la périphérie, et même parfois au centre, de Damas.

De nombreux témoignages font état de l’emploi de tanks et d’artillerie lourde par l’armée dans les banlieues de Harasta et de Douma, au nord de la capitale, et à nouveau à Homs depuis mercredi 21 mars. Ces violences semblent démontrer qu’en dépit de la puissance de feu fort supérieure du régime, en dépit des 8.000 morts comptabilisés par l’ONU depuis un an, en dépit de la violence de la répression, les insurgés n’ont pas perdu espoir de renverser la dictature syrienne. La question est : comment ?

Après des débuts pacifiques (marches silencieuses, manifestations spontanées, rassemblements éclairs) et la volonté de régler les choses « en interne », il est clair que ces derniers mois ont vu le pays basculer dans la confrontation armée – certains analystes commencent à parler de guerre civile – et que l’appel à une intervention étrangère n’est plus aussi tabou dans les rangs de l’opposition.

Dans un bureau de trading des beaux quartiers parisiens prêté par des amis de sa cause, Nofal al-Dawalibi, le président du Conseil national syrien uni (CNSU), organise l’appui à la révolution et prépare la transition. Derrière lui, un tableau blanc affiche un organigramme gouvernemental composé de ministres et de gouverneurs régionaux. Le CNSU agit en réaction au Conseil national syrien (CNS), créé à l’automne dernier et devenu l’organe le plus médiatique de l’opposition, qui est jugé à la fois trop « mou » et trop dominé par les Frères musulmans.

Elégant, parfaitement francophone, Nofal al-Dawalibi est un homme d’affaires basé à Riyad, issu d’une vieille famille syrienne, qui entend franchir une étape dans la révolution telle qu’elle est menée depuis l’extérieur du pays. « Il n’y a pas de négociation possible avec un régime qui commet des massacres », annonce-t-il. « Quant à réunir l’opposition, c’est désormais devenu mission impossible. » Ces dernières semaines ont en effet vu le CNS se diviser sur la question de la lutte armée, des liens avec l’Iran, de la domination des Frères musulmans, de l’émergence de milices…

Le CNSU n’est certes pas représentatif, mais il tient un discours qui commence à se répandre parmi les opposants syriens. « Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale, assure Nofal al-Dawalibi. Ce n’est plus un choix mais un devoir pour la communauté internationale de soutenir la révolution syrienne. Par conséquent, nous demandons cinq choses : des corridors humanitaires, une zone d’exclusion aérienne, l’appui à l’Armée de libération syrienne (ALS), des frappes chirurgicales contre les éléments militaires du régime, et une aide humanitaire au peuple syrien. »

Etant donné le précédent libyen (détournement de la résolution de l’ONU qui a braqué la Russie et la Chine) et la complexité autant sociétale que géopolitique de la Syrie, il y a peu d’appétence en Occident pour une nouvelle intervention militaire.

Deux autres options sont en revanche considérées. La première concerne tout ce qui touche à des corridors humanitaires ou à des zones protégées. « Mais pour cela il faut à tout prix que Damas accepte de négocier un tant soit peu avec l’ONU et la mission de Kofi Annan, ou même avec la Russie, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent », explique un diplomate onusien. La seconde option est celle d’armer les rebelles syriens, et elle a été bruyamment appuyée par deux influents sénateurs américains, proches des néo-conservateurs, John McCain et Lindsey Graham.

Le Qatar et l’Arabie saoudite se sont apparemment déjà engagés sur cette voie, le premier pays via une « offre d’assistance » du gouvernement libyen, et le second en envoyant directement des caisses d’armement par la Jordanie. Selon un responsable de l’ALS rencontré à Paris, qui ne donne que son prénom, Khaled, « le sang qui a coulé n’est pas le même que celui de 1982 (lorsque Hafez El-Assad avait maté une rébellion à Deraa en tuant plusieurs dizaines de milliers de personnes). Le sang qui coule en ce moment sera un carburant additionnel à la révolution. Nous allons reprendre des actions dans d’autres régions où le gouvernement aura des surprises, et nous allons mener nos actions beaucoup plus fortement à Damas. Mais pour cela, nous avons besoin de davantage d’armement ».

Les insurgés ne sont pas de tendres agneaux

« La détermination des Qataris et des Saoudiens est très forte », assure un diplomate français qui connaît très bien la Syrie. « Mais, pour le moment, Paris, Londres et Washington font la même analyse, à savoir que l’internationalisation du conflit qui passerait par la fourniture d’armes aux rebelles comporte plus de risques que de bénéfices. C’est cruel à dire pour les gens qui se battent en Syrie et souffrent, mais ce n’est pas l’armement de l’opposition, en tout cas pas cela tout seul, qui fera tomber le régime demain. »

Car la question qui se pose derrière la fourniture d’armes aux insurgés est simple : entre quelles mains aboutissent-elles ? L’ALS est davantage un label qu’une chaîne de commandement articulée. On a beaucoup expliqué que cette « armée » était composée de déserteurs de l’armée régulière mais, pour le diplomate français, « il s’agit essentiellement de citoyens ordinaires qui en ont eu marre de la répression et ont décidé de prendre les armes. Quant aux soldats ayant fait défection, ce sont principalement des jeunes appelés avec peu d’armement et peu d’expertise militaire ».

L’absence d’un commandement militaire centralisé est également un problème crucial. Le président du CNS, Burhan Ghalioun, a récemment déclaré : « Nous voulons organiser ceux qui portent des armes aujourd’hui. La révolution a commencé de manière pacifique et l’est restée pendant des mois, mais la réalité d’aujourd’hui est différente. Nous savons que certains pays ont exprimé le souhait d’armer les révolutionnaires. Le CNS assurera la liaison entre ceux qui veulent aider les révolutionnaires. Il est hors de question que des armes entrent en Syrie dans la confusion. »

Pourtant Kamal al-Labwani, un dissident respecté, s’est plaint de ce que le CNS, dont il a démissionné, agisse de manière « irresponsable », en ne créant pas un commandement militaire unifié. Il accuse les Frères musulmans de « monopoliser les financements et les soutiens militaires ». Si cela continue ainsi, « cela conduira au désastre, en particulier si la révolution se constitue en milices ».

D’autant que les insurgés ne sont pas de tendres agneaux, si l’on en croit le rapport publié par l’ONG américaine Human Rights Watch qui dénonce « de graves abus commis par des combattants rebelles – kidnapping, détention, torture de membres des forces de sécurité ainsi que des milices gouvernementales, les shabeehas ». L’organisation pointe également des exécutions de membres des forces de sécurité et de civils par des rebelles armés. « Les méthodes brutales et violentes du gouvernement syrien ne justifient en rien de mauvais traitements de la part des combattants rebelles armés », a lancé Sarah Leah Whitson, directrice de HWR au Proche-Orient. « Les leaders de l’opposition doivent dire clairement à leurs troupes de ne pas torturer, kidnapper ou exécuter quiconque en aucune circonstance. »

Quand on parle d’armer des rebelles, le boomerang de l’Afghanistan des années 1980 n’est jamais loin. Comme l’analyse Jonathan Tepperman, le rédacteur en chef de la revue américaine Foreign Affairs : « L’opposition que nous armerions est fragmentée et désorganisée. (…) La Syrie est un pays profondément divisé, avec un gouvernement s’appuyant sur une minorité qui dirige différentes ethnies (arabes, kurdes) et des groupes religieux qui ne s’apprécient pas (sunnites, alaouites, chrétiens, druzes). En ajoutant encore plus de poudre au mélange, vous obtenez la recette d’une vilaine guerre inter-communautés. (…) Choisir une politique parce qu’elle est bon marché, gratifiante et facile à “vendre” politiquement est rarement une bonne idée, spécialement quand elle est susceptible d’envenimer les choses. »

Consciente des réticences occidentales à mettre le doigt dans l’engrenage et à emboîter le pas du Qatar et de l’Arabie saoudite, l’opposition syrienne n’entend pas pour autant abandonner la partie. Elle sait que « le régime syrien est loin d’avoir donné toute sa puissance de feu », selon les mots d’un diplomate français, et elle entend en faire un atout. « Plus le régime utilise la force, plus cela signifie qu’il se sent menacé, et plus il encourt le risque de la condamnation internationale, dont celle des Russes, donc plus il approche de sa fin », décrypte Khaled, le responsable de l’ALS. Autrement dit, plus l’ALS attaque et pousse le régime à la répression, plus les puissances occidentales se sentent obligées de réagir et plus elles sont susceptibles d’aider l’ALS. Un engrenage qui rappelle celui d’autres guerres dans lesquelles les Occidentaux ont fini par plonger.