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En attendant le printemps 2012, la solidarité s’établit et les points se mettent sur les i (ndlr)

Six jeunes révolutionnaires arabes en visite à Genève

Jeudi,20 octobre 2011 - 13h45

jeudi 20 octobre 2011

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Source : La Tribune de Genève

Six acteurs du printemps arabe ont été invités par le DFAE. Après Berne, ils étaient mercredi soir à Genève pour témoigner de leur expérience... renversante.

Marion Moussadek | 20.10.2011 | 12:47
Dernière mise à jour : 20.10.2011 | 13:01

Ils habitent habituellement à des milliers de kilomètres les uns des autres mais ont passé la semaine ensemble, entre Berne et Genève.

Leur dénominateur commun, outre leur langue maternelle ? Tous ont joué un rôle dans le soulèvement –abouti ou en cours- de leurs pays respectifs. C’est ce qu’on a appelé le « printemps arabe », un qualificatif que certains refusent car « Au Yémen et au Bahreïn par exemple, l’hiver sera rude ». Mercredi soir à Genève, près de 200 personnes se sont pressées pour les entendre à la Maison des Savoises. De la Syrienne Lubna, contrainte de garder l’anonymat, à l’activiste tunisien Sofiane Belhaj, nommé au sein de la Haute instance de transition, les cas de figure sont très différents. Mais tous les témoignages sont poignants.

« Quand je vois mon camarade libyen Loay qui, étudiant en architecture, me raconte comment il a dû enjamber les corps pour récupérer des armes et continuer de combattre, je me sens privilégié. Car si tout n’est pas ficelé en Tunisie, au moins, le gros de la révolution est derrière nous », lâche Sofiane Belhaj, 29 ans et qui, avant la révolte, était étudiant à Bruxelles. « Mais à quoi bon étudier Sciences politiques ou journalisme, ou droit quand on ne peut pas exercer ensuite ? », raconte le jeune homme, béret écossais vissé sur la tête. Néanmoins, il ne se fait désormais plus de souci pour son avenir qui a de bonnes chances de prendre forme au sein de la nouvelle sphère politique. Le jeune, au français impeccable, a été récemment nommé au sein de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.

Dans les geôle de Ben Ali

D’étudiant tranquille dans la capitale belge, Sofiane a atterri dans les geôles du ministère de l’Intérieur. « J’ai fait partie d’une des dernières rafles de Ben Ali. » Le jeune s’est fait repérer en frappant fort sur la Toile : il a traduit les câbles diplomatiques de Wikileaks en français et en arabe. Avant d’être kidnappé chez lui, en plein Tunis. Puis relâché, à la chute du régime.

La chute du régime, c’est ce qu’attendent la Bahreïnie Maryam al-Khawaja, 24 ans, et la Yéménite Hend Nasiri, 21 ans. Entre les deux jeunes femmes une complicité inébranlable semble s’être nouée. La plus jeune s’exprime en arabe et compte sur son aînée, bilingue anglais, pour traduire ses propos. Dans son malheur, la Yéménite a presque eu de la chance.

Lorsque les premières manifestations ont éclaté, immédiatement réprimées dans le sang, elle et sa famille étaient en Egypte, où sa mère se rendait pour affaires. « On a su que notre maison avait été visée par un missile. Il ne restait plus qu’un immense cratère. On n’a jamais su si c’était l’œuvre de groupes tribaux ou à l’inverse, de milices du gouvernement. Toujours est-il que ce n’était plus le moment de rentrer. »

Du haut de ses 21 ans, Hend, qui coordonne les forces politiques et sociales de plusieurs capitales arabes, est étonnamment lucide : « J’ai bien peur que les salafistes ne profitent du chaos actuel au Yémen, même s’ils ne représentent que 12% de la population… A moins que tout cela ne finisse en une vaste guerre civile qui morcèle le pays ».

Prison à vie

Maryam, du Bahreïn, ne peut plus rentrer dans son pays non plus. Non pas parce que, comme Hend, sa maison a été détruite. Mais à cause de son militantisme en faveur des droits de l’Homme « Je serais arrêtée de suite si je tentais de passer la frontière. » Les arrestations arbitraires, elle connaît. Son père, citoyen danois et bahreïni, oeuvrait pour l’ONG irlandaise Front line Defenders. Il moisit désormais dans une prison bahreïnie. « C’est le jour de mon anniversaire que j’ai appris le verdict : mon père a été condamné à la prison à vie », dit-elle dans un sourire amer. Son oncle et son beau-frère sont également emprisonnés non pas pour leur activisme direct, mais pour leurs liens familiaux « répréhensibles ». Lors de l’arrestation, sa tante a été violée et son garçonnet de 4 ans a été mis en joue par un soldat qui riait à gorge déployée.

Maryam, dont le visage cerclé par son hijab est déterminé, insiste : « Ce qui est vraiment différent dans le cas du Bahreïn, c’est qu’un Etat étranger (l’Arabie saoudite, ndlr), a traversé la frontière pour venir aider son voisin à réprimer le mouvement populaire. C’est inacceptable mais personne ne bronche ! » Et de procéder à un calcul macabre : « Le Bahreïn bat tous les records en termes d’arrestations arbitraires, dans les pays du printemps arabe. Et c’est le deuxième à accuser le plus grand nombre de morts. Mais les médias ne s’en font pas l’écho », déplore-t-elle.

Le Bahreïn, le grand oublié

Comme pour lui répondre, la Syrienne Lubna, journaliste à Dubaï pour la chaîne saoudienne Al-Arabiyya, esquisse un sourire navré : « C’est vrai, nous ne pouvons pas diffuser les images de la répression au Bahreïn. Mais nous diffusons les images de la Syrie. C’est déjà pas mal », lâche-t-elle, dépitée de ne pouvoir prétendre faire plus.

Les premières élections libres de la Tunisie sont attendues ce dimanche. « Quel que soit le résultat, c’est la démocratie. Je n’ai pas peur », affirme Sofiane auquel reviendra le mot de la fin : « Nos craintes actuelles en Tunisie sont relatives quand je vois celles de mes camarades que j’ai côtoyés toute la semaine. »