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La vérité toute nue dépeinte par un courageux israélien.

Les exigences d’un voleur (en français puis en anglais)

Par Gideon Levy

lundi 26 novembre 2007

Nous recommandons, avec beaucoup d’insistance, d’aller sur le site référencé ci-dessous et de lire les réactions des lecteurs. Vous partagerez alors sans doute notre amertume en constatant que s’il y a en effet quelques lettres de lecteurs qui saluent l’honnêteté et le courage de Gideon Levy, l’écrasante majorité des réactions sont des invectives, des outrages, des insultes qui traduisent une opinion publique solidement installée dans le racisme, le colonialisme, le mépris de tout ce qui n’est pas soi-même, la volonté délibérée d’ignorer purement et simplement la décence, la morale et le droit et de s’en remettre en tout et pour tout à la force des armes. Les héritiers des chemises brunes et de l’OAS sont au pouvoir. Pas à Rome ou à Alger. A Tel Aviv.

C’est une maladie bien étrange que le fascisme. Elle commence par s’abriter derrière l’apparence, ô combien légitime, ô combien nécessaire, de la volonté de vivre d’un peuple qui sent son existence même menacée et elle en devient la dégénérescence. Le moment où la transition s’opère est facile à définir, mais pas toujours à détecter : c’est celui où le groupe, à force de lutter pour sa propre survie, en vient à s’autoriser d’écraser d’autres groupes humains tout aussi dignes de respect que lui. On a vu cela partout et dans tous les temps.

Anouilh avait très bien vu que la ligne rouge est celle que marque Antigone : on ne peut refuser les lois non écrites de la collectivité humaine, faute de quoi on devient fasciste. Tous les écoliers ont écrit des milliers de pages là-dessus. Bien des choses sont affaire de goût, d’opinion, de circonstance, etc. Pas celle-là. Et le pouvoir du fascisme est tel qu’il tache le plus aisément du monde le brave type qui n’y prend pas garde et qui ne voit rien venir. Et on se trouve avec des personnages, parfois de très grande qualité, des Heidegger ou des Webern, des Camus, et bien d’autres, au beau milieu de l’université nazie, au beau milieu du colonialisme français, au beau milieu du PCUS ! Heureusement il y en toujours -pas beaucoup- l’un ou l’autre pour dire « non » : Thomas Mann, Germaine Tillon ou Gideon Levy !

Il y a une petite chason allemande : « Viele, viele, viele, viele Künste, viele Künste kann der Teufel... » Eh bien, l’un de ses tours (Künste), et je crois l’un des plus périlleux, c’est l’usage des euphémismes. On évite les mots ou les expressions qui fâchent ou qui choquent. Il y a belle lurette qu’on ne dit plus « les Territoires Occupés ». On dit « les Territoires ». C’est pour faire plus court bien sûr ! D’ailleurs on ne dit même plus maintenant les Territoires. On dit la Judée et la Samarie...Comment des gens qui sont fondamentalement des juifs pourraient-ils ne pas être chez eux en Judée, voyons !

Le comité de rédaction


Les exigences d’un voleur 26/11/07

http://www.haaretz.com/hasen/spages/927531.html

Ha’aretz
dernière mise à jour 19:38 - 25/11/2007

Le discours public en Israël est momentanément sorti de sa profonde torpeur. « Donner ou ne pas donner », telle est la question Shakespearienne - « faire des concessions » ou « ne pas faire de concessions ». Il est heureux que des signes de vie se soient enfin manifestés dans le public israélien. Il valait la peine d’aller à Annapolis ne fût-ce que pour cela.

Mais ce discours ne repose sur rien et reflète une pensée distordue. On ne demande pas à Israël de « donner » quoi que ce soit aux Palestiniens ; on lui demande seulement de restituer : de leur restituer leur terre volée et de restaurer leur dignité foulée aux pieds en même temps que leurs droits humains et leur humanité. C’est cela, le premier problème fondamental, le seul qui mérite ce titre, et que nul n’y revienne.

Personne ne parle plus de moralité. La justice est devenue un concept archaïque , un tabou, délibérément effacé de toutes les négociations. Deux millions et demi de personnes – des fermiers, des marchands, des avocats, des chauffeurs, des adolescentes romanesques, des hommes amoureux, des vieilles gens, des femmes, des enfants, et des combattants qui emploient des moyens violents pour une cause juste- tous vivent depuis 40 ans sous une botte brutale. Pendant ce temps, dans nos cafés et dans nos salons, nous parlons de « donner » ou de « ne pas donner »

Les hommes de loi, les philosophes, les écrivains, les enseignants, les intellectuels, les rabbins, vers lesquels on se tourne pour trouver les éléments fondamentaux des préceptes moraux, ont tous participé à ce discours distordu. Que diront-ils à leurs enfants - le jour où l’occupation sera finalement devenue un cauchemar du passé – sur la période où ils ont exercé leur influence ? Que diront-ils de leur rôle là-dedans ? Les étudiants israéliens se tiennent sur les checkpoints dans le cadre de leur service militaire et décident brutalement du destin des gens, et se dépêchent de rentrer à l’université pour suivre un cours d’éthique, oubliant ce qu’ils ont fait la veille et ce qui se fait en leur nom chaque jour. Les intellectuels publient des pétitions, « Faire des concessions » ou « Ne pas faire de concessions », ce qui détourne l’attention du problème fondamental. Il y a des débats enflammés sur les questions de corruption – si le premier ministre Ehud Olmert est corrompu ou non et comment la Cour Suprême voit saper son autorité. Mais personne n’aborde la question ultime : est-ce-que l’occupation n’est pas la plus grande et plus terrible des corruptions qui ait pris naissance ici, au point d’étendre son ombre sur tout le reste ?

Les responsables de la sécurité sont terrifiés à la pensée de ce qui pourrait arriver si nous enlevions un checkpoint ou libérions des prisonniers, tout comme les Blancs d’Afrique du Sud qui tombaient dans une trouille frénétique du « grand massacre » qui s’ensuivrait si on reconnaissait leurs droits aux Noirs. Mais ce ne sont pas là des questions légitimes. Il faut en finir avec l’incarcération et des milliers de prisonniers politiques devraient être libérés sans condition.

Tout comme un voleur n’a pas à présenter ses exigences - ni de conditions préalables ni quoi que ce soit – au propriétaire du bien qu’il a volé, Israël ne peut pas présenter d’exigences à l’autre partie aussi longtemps que la situation demeure ce qu’elle est.

La sécurité ? Nous devons nous défendre par des moyens défensifs. Ceux qui ne croient pas que la seule sécurité que nous connaîtrons viendra de la fin de l’occupation et de la paix peuvent se retrancher au sein de l’armée, et derrière des murs et des barrières. Mais nous n’avons pas le doit de faire ce que nous faisons. Tout comme il ne viendrait à l’idée de personne de trucider les habitants de tout un quartier, ou de le harasser et de l’incarcérer parce qu’il y a quelques criminels qui y vivent, il n’y a aucune justification à traiter abominablement un peuple entier au nom de notre sécurité. La question de savoir si la fin de l’occupation menacerait ou affaiblirait la sécurité d’Israël n’est pas le problème. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir, de conditions pour restaurer la paix.

Personne ne va parler de cela à Annapolis. Même si les véritables problèmes fondamentaux étaient soulevés, ils se concentreraient sur des questions secondaires : les frontières, Jérusalem, et même les réfugiés. Mais ce serait une façon de se dérober devant le problème essentiel. Après 40 années, on aurait pu s’attendre à ce que le véritable problème central soit enfin évoqué pour une discussion honnête et courageuse : Israël a-t-il le droit moral de continuer l’occupation ? Il y a longtemps que le monde aurait dû poser cette question. Les Palestiniens auraient dû se concentrer seulement sur ce point ? Et par dessus tout, nous, nous qui portons le poids de cette faute, aurions dus être terriblement troublés par la réponse à cette question.

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et voici l’original en anglais :

Last update - 19:38 25/11/2007

Demands of a thief

By Gideon Levy

Tags : occupation, Annapolis

The public discourse in Israel has momentarily awoken from its slumber. "To give or not to give," that is the Shakespearean question - "to make concessions" or "not to make concessions." It is good that initial signs of life in the Israeli public have emerged. It was worth going to Annapolis if only for this reason - but this discourse is baseless and distorted. Israel is not being asked "to give" anything to the Palestinians ; it is only being asked to return - to return their stolen land and restore their trampled self-respect, along with their fundamental human rights and humanity. This is the primary core issue, the only one worthy of the title, and no one talks about it anymore.

No one is talking about morality anymore. Justice is also an archaic concept, a taboo that has deliberately been erased from all negotiations. Two and a half million people - farmers, merchants, lawyers, drivers, daydreaming teenage girls, love-smitten men, old people, women, children and combatants using violent means for a just cause - have all been living under a brutal boot for 40 years. Meanwhile, in our cafes and living rooms the conversation is over giving or not giving.

Lawyers, philosophers, writers, lecturers, intellectuals and rabbis, who are looked upon for basic knowledge about moral precepts, participate in this distorted discourse. What will they tell their children - after the occupation finally becomes a nightmare of the past - about the period in which they wielded influence ? What will they say about their role in this ? Israeli students stand at checkpoints as part of their army reserve duty, brutally deciding the fate of people, and then some rush off to lectures on ethics at university, forgetting what they did the previous day and what is being done in their names every single day. Intellectuals publish petitions, "to make concessions" or "not to make concessions," diverting attention from the core issue. There are stormy debates about corruption - whether Prime Minister Ehud Olmert is corrupt and how the Supreme Court is being undermined. But there is no discussion of the ultimate question : Isn’t the occupation the greatest and most terrible corruption to have taken root here, overshadowing everything else ?

Security officials are terrified about what would happen if we removed a checkpoint or released prisoners, like the whites in South Africa who whipped up a frenzy of fear about the "great slaughter" that would ensue if blacks were granted their rights. But these are not legitimate questions : The incarceration must be ended and the myriad of political prisoners should be released unconditionally. Just as a thief cannot present demands - neither preconditions nor any other terms - to the owner of the property he has robbed, Israel cannot present demands to the other side as long as the situation remains as it is.

Security ? We must defend ourselves by defensive means. Those who do not believe that the only security we will enjoy will come from ending the occupation and from peace can entrench themselves in the army, and behind walls and fences. But we have no right to do what we are doing : Just as no one would conceive of killing the residents of an entire neighborhood, to harass and incarcerate it because of a few criminals living there, there is no justification for abusing an entire people in the name of our security. The question of whether ending the occupation would threaten or strengthen Israel’s security is irrelevant. There are not, and cannot be, any preconditions for restoring justice.

No one will discuss this at Annapolis. Even if the real core issues were raised, they would focus on secondary questions - borders, Jerusalem and even refugees. But that would be escaping the main issue. After 40 years, one might have expected that the real core issue would finally be raised for honest and bold discussion : Does Israel have the moral right to continue the occupation ? The world should have asked this long ago. The Palestinians should have focused only on this. And above all, we, who bear the guilt, should have been terribly troubled by the answer to this question.