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Une vérité bien connue mais trop délaissée par les médias et les « politologues »

Des dirigeants à vendre !

par Mourad Zarrouk,

mardi 15 août 2006

Original : http://www.aljazeera.net/NR/exeres/5D4E2606-AED1-4C29-B38A-2F3EFE433A80.htm/

L’auteur est professeur à l’Université Abdel Malek Sâadi- Maroc - et chercheur à l’Université Libre de Madrid.

Il y a deux ans, précisément au mois d’août 2004, j’ai participé au festival d’Asila au nord du Maroc et j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les interventions présentées à cette occasion.
Je me souviens surtout d’un participant qui avait interpellé violemment le ministre des affaires étrangères espagnol Miguel Angel Moratinos, le rendant responsable de l’échec de la solution du problème du Moyen-Orient, en sa qualité d’ancien envoyé spécial de l’Union européenne dans la région.
Le ministre s’énerva et s’exclama : "Alors c’est nous qui sommes responsables de cet échec ? D’accord, mais je vais vous révéler quelque chose que je devrais garder secret. Savez-vous qui se dresse contre l’expérience politique palestinienne ? Ce sont précisément les pays arabes voisins qui ont peur de ce modèle. J’ai essayé avec Romano Prodi d’envoyer un hélicoptère au président Arafat, encerclé à la Mouquatâ, afin de le faire ramener à Beyrouth pour y participer au sommet arabe. Alors Amr Moussa m’a répliqué que ce serait la plus grande humiliation pour les Arabes !"
Je me suis souvenu des propos du ministre espagnol alors que je suivais la révélation par l’Egypte et la Jordanie de « l’implication » du mouvement Hamas dans des relations avec des éléments terroristes locaux, malgré les dénégations répétées du mouvement.
Il y a dans la région des pays qui s’obstinent à appliquer à tout prix l’agenda américain, quelqu’en soient les moyens et les résultats, sans que cela influe sur la faible popularité de régimes qui ont perdu tous leurs paris mais gagné toutes les élections truquées.
Il y a ce qu’il est convenu d’appeler les pays modérés, qui sont en fait l’exemple de la servitude et de l’aplatissement. Ces pays ne sont guère modérés quand il s’agit de la gestion de leurs affaires intérieures, puisqu’ils ne respectent pas les droits de l’homme et offrent le spectacle de régimes pourris et vieillissants. C’est l’état de l’ensemble des régimes arabes sans exception.
L’expérience palestinienne dérange. En dix ans, jamais le truquage n’effleura une élection, y compris celle qui fit la victoire de Yasser Arafat.
Mais l’expérience palestinienne n’est pas seule à déranger leurs altesses et leurs excellences. L’expérience libanaise terrorise les dictatures arabes parce qu’elle regorge de leçons susceptibles d’être transposées hors du pays du Cèdre.
Le pays est sorti il y a 20 ans d’une guerre civile qui a tout détruit et ravagé. Il a su dépasser les attentats politiques, les agressions israéliennes et réaliser ce à quoi avaient échoué des pays qui se sont libérés de la colonisation depuis 50 ans, ainsi que ceux qui avaient gaspillé les revenus pétroliers.
Les Libanais ont retenu de cette épreuve que le confessionnalisme et le sectarisme constituent une discorde qui tue, disperse les efforts et dilapide les biens et qu’ils devaient s’unir pour reconstruire le Liban sur des bases solides.
J’étais ravi de voir, l’année dernière à Beyrouth, à l’occasion de la distribution des prix aux étudiants méritants à l’Université catholique, qu’il y avait dans le lot des étudiantes musulmanes. C’était là un signe très fort que les espaces vitaux de la société s’étaient débarrassés de l’esprit confessionnel.
J’ai trouvé au Liban une liberté d’_expression comme il n’en existe nulle part ailleurs chez les autres peuples arabes. J’ai rendu visite au siège du journal An Nahar qui surplombe la mer au loin. C’était au mois d’avril, avant que des mains assassines n’attentent à la vie de Gébrane Tuéni, le directeur de ce monument du journalisme, au mois de décembre de la même année. Je n’avais remarqué aucune crainte, aucune peur dans l’exercice du métier journalistique. Des femmes et des hommes qui méditent le bleu azur tout en travaillant sérieusement leurs papiers et à échafauder leurs plans d’avenir.
N’est-ce pas que ce genre d’expérience terrorise les vautours qui nous étranglent ?
Le soir même, nous étions au pied de la tombe de Rafic Hariri qui venait d’être assassiné depuis plus de deux mois. Quand j’ai commencé à lire la fatiha à la mémoire du défunt, je vis mon ami Henri faire le signe de croix avec beaucoup de tristesse et je compris que Hariri n’était pas mort mais que c’était la haine et l’esprit confessionnel qui venaient de mourir.
J’ai trouvé que les musulmans sunnites et chiites, les chrétiens maronites et orthodoxes et les druzes débattaient des problèmes du Liban avec beaucoup de maturité...Un débat libre et de haut niveau et un peuple qui a prouvé qu’il n’avait pas besoin d’un leader éternel pour le rassembler et auquel il fait des courbettes matin et soir.
C’est le Liban que j’ai connu et l’affaire ne se limite pas à la transparence de ses élections et au grand dynamisme de ses activités. Le peuple libanais est un peuple fier qui refuse que sa dignité soit bafouée et de devenir l’otage d’un régime comparable aux régimes fascistes qui dirigent les pays arabes.
C’est pour cette raison que les ennemis des Libanais, parmi leurs frères, doivent savoir que la marche vers la dignité ne connaîtra pas de reflux quelque soit l’issue de l’agression israélienne. L’expérience libanaise continuera à servir de modèle pour ceux qui veulent s’en inspirer.
Les régimes arabes ont perdu depuis longtemps leur raison d’être et leur rôle se réduit à une trahison par ci par là, à l’exercice de la torture par procuration ou à toucher des commissions sur des opérations commerciales.
Si le modèle libanais a réussi dans un pays multiconfessionnel, pourquoi ne réussirait-il pas entre des forces politiques que ne séparent pas des différences religieuses mais simplement des choix politiques ?
Après le deuxième massacre de Qana, il ne reste plus beaucoup de choix aux peuples arabes. Ils se trouvent tous devant une responsabilité morale et historique, pour entamer la marche vers l’émancipation et l’autodétermination, l’étape de la nationalisation du colonialisme ayant trop duré et le temps de la vraie indépendance est enfin venu.
Ce qui s’est passé en Palestine, en Iraq et au Liban ne constitue qu’une étape qui sera suivie par d’autres et il paraît difficile de les éviter. Nous sommes dans la position de celui qui ignore seulement sur quel côté il va tomber.
Si leurs Majestés et Excellences ont échoué à constituer, je dirai, non pas une puissance, mais simplement un groupe de pression, un lobby, suffisamment fort, pour défendre le droit de leurs peuples à une vie digne ou simplement à la vie, nous les dispensons du pouvoir et libre à eux de profiter des milliards qu’ils ont pillés quoique leur vie entière ne suffira pas à dépenser, voire à dilapider, tout ce qu’ils ont ramassé.
Pas besoin de parler ici des formes de l’échec banal qui conduit un homme politique, dans un Etat qui se respecte, à démissionner. Cela semble difficile à obtenir.
Je parle de l’échec mortel, de la trahison et des crimes politiques, de l’instrumentalisation des services de sécurité et de la justice, pour protéger des régimes dictatoriaux, du pillage des deniers publics et des politiques affamant les peuples.
Aucun défenseur d’un dirigeant arabe ne peut échapper à l’un de ces traits de caractères : il profite des bienfaits matériels ou du trafic d’influence, vil et méprisable, ou craint le changement même positif, parce qu’il est atteint de léthargie organique.
Le premier monarque dans l’histoire de l’islam à avoir été vilipendé par ses sujets fut Mouâouya parce qu’il avait usurpé le pouvoir sans en être digne et si la nation garde aujourd’hui le silence, cela ne veut pas dire que les dirigeants ont raison mais que la Oumma a tort.
Je ne suis pas un adepte de la violence, du désordre et de la discorde, mais je suis de ceux qui défendent la dignité et la dimension morale dans l’exercice de la politique, deux choses qui se sont tellement effondrées dans ce qui se passe au Moyen -Orient actuellement et à la lumière des nouvelles trahisons.
Majestés, Excellences : savez-vous que chaque manifestation de soutien au Liban et à la Palestine, est une condamnation pour vous ? Savez-vous que vos positions dans toutes ces crises sont des positions de régimes dictatoriaux et non pas celles de peuples épris de liberté ?
Après votre mort, votre place sera garantie dans les poubelles de l’histoire. Personne ne vous regrettera, ne se souviendra de vous en bien et encore moins avec nostalgie. Les peuples, quant à eux, se souviendrons de vous à la manière dont vous a évoqués ce vieillard qui, il y a quelques années, se tint debout au centre du Caire, portant un drapeau palestinien sur lequel il avait écrit « Majestés, Excellences : TFOUH " (=je vous crache dessus, NDT)

Traduit de l’arabe par Ahmed Manaï, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité lingistique (www.tlaxcala.es). cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction à condition d’en respecter l’intégrité et de mentionner la source et les auteurs.